Intervenons-nous

37 Organisations de défense des droits humains ont saisi le Premier Ministre ce mercredi 13 avril 2022, pour demander la fin de la répression, et le respect des droits humains dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, sous état de siège.

Dans une lettre lui adressée, ces organisations demandent à Sama Lukonde d’appeler publiquement à la libération de toute personne arrêtée ou condamnée pour avoir critiqué l’état de siège, et de demander des sanctions contre tout membre de l’armée ou de la police qui s’est distingué dans les actes d’atteinte aux droits humains.

Appel à la fin de la répression et le respect des droits humains dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sous état de siège.

Excellence Monsieur le Premier Ministre,

Motivés par la mission d’évaluation de l’état de siège que vous effectuez actuellement dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, nous nous saisissions de cette occasion afin de vous livret nos constatations et recommandations quant au respect des droits humains dans les provinces ci-haut citées.

Nous, les 37 Organisations de la société civile congolaise soussignées, sommes très inquiets de la dégradation de la situation des droits humains et les massacres continus dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri depuis l’instauration de l’état de siège au mois de mai 2021. En effet, cette mesure qui avait été prise en réponse l’insécurité persistante dans l’Est du pays, caractérisée par des tueries des civils commis par différents groupes armés, n’a pas permis jusque-là d’apporter les résultats escomptés. Bien au contraire, le nombre de massacres perpétrés témoigne de l’insécurité qui persiste ainsi que de la limite de la réponse militaire. Aussi, la population vit dans une peur permanente du prochain massacre, l’armée n’arrivant pas à sécuriser y compris les personnes vivant dans des zones à risque, même les déplacés.

Lire aussi Etat de siège: «A ce stade, nous n’envisageons pas d’élections sans ces deux provinces» (Sama Lukonde)

Par ailleurs, loin de sécuriser la population civile, les autorités militaires ont restreint l’exercice des libertés publiques en réprimant des manifestations pacifiques, en procédant à des arrestations arbitraires, des intimidations, des passages à tabac, en lançant des poursuites judiciaires contre toutes les voix qui critiquent cette mesure ou appellent la fin de l’état de Siège.

Alors que les autorités militaires avaient pourtant assuré qu’elles respecteraient les droits de l’homme et le droit international humanitaire, nos organisations ont documenté l’arrestation de dizaines d’activistes, de journalistes, de membres de l’opposition et même de parlementaires qui ont exprimé leur opinion de manière pacifique sur la situation en cours et l’état de siège. Au moins un activiste a été tué par les forces de sécurité lors d’une manifestation.

A titre illustratif, il y a près de deux semaines, un tribunal militaire a condamné douze activistes du mouvement citoyen Lucha à une année de prison pour provocation et incitation à des manquements envers l’autorité publique pour avoir manifester devant la mairie de Beni en novembre dernier appelant à la fin des massacres et à la levée de l’état de siège. Monsieur le Premier Ministre, savez-vous comment la manifestation en question s’est déroulée ? Le groupe ne comptait pas vingt personnes, des jeunes tenant des pancartes devant I ‘hôtel de ville tentant simplement d’attirer l’attention sur leur environnement de vie quotidienne. La brutalité de la réponse militaire et policière nous interpelle : cette quinzaine de jeunes congolais doivent-ils être considérés comme une telle menace pour notre pays qu’ils méritent d’être battus comme ils l’ont été ? Permettez-nous de porter à votre attention, Monsieur le Premier Ministre, que l’une des militantes, âgée de 21 ans seulement, est encore à ce jour hospitalisée souffrant de graves complications suite aux coups reçus à la tête ; elle est par ailleurs encore sous le coup de poursuites judiciaires.

Un autre membre de l’opposition est détenu à Bunia et poursuivi de propagation de fausses informations pour avoir critiquer l’état de siège Sur les réseaux sociaux. Deux parlementaires sont toujours en détention en attente d’un procès pour avoir critiqué ou s’être opposés à l’état de siège. La liste de cas similaires continue et ne cesse de s’allonger à mesure que les autorités militaires voient leur mandat prolongé.

Quoiqu’étant conscients des mesures restrictives qui accompagnent l’état de siège y compris les perquisitions des domiciles, l’interdiction des publications et des réunions jugées de nature à porter atteinte à l’ordre public, la circulation des personnes dans certains lieux et à certaines heures, le remplacement de l’administration civile par celle militaire au niveau des cours et tribunaux, etc…. il sied de rappeler, Monsieur le Premier Ministre, que conformément au Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, certains droits peuvent être suspendus sous un régime d’urgence tel que l’état de siège « dans la stricte mesure où la situation l’exige » et de manière proportionnée. Nous nous inquiétons du fait que les mesures restrictives qui s’imposent dans ces deux provinces vont au-delà de celles autorisées par le pacte ci-haut mentionné menaçant l’exercice des droits fondamentaux et libertés publiques garanties par les lois de la république.

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Par ailleurs, aucune loi n’encadre jusque-là les modalités d’application de l’état de siège pourtant décrété il y’a bientôt un an.

Au regard des faits présentés ci-haut, nous vous recommandons lors de votre séjour :

  • D’appeler publiquement à la libération de toute personne arrêtée ou condamnée pour avoir critiquer l’état de siège ;
  • De demander des sanctions contre tout membre de l’armée ou de la police qui s’est distingué dans les actes d’atteintes aux droits humains y compris tuerie, torture, etc. ;
  • D’interpeller les autorités militaires sur le droit de la population à s’exprimer librement durant cette période et éviter de recourir à la force, sauf si cela est nécessaire et de manière proportionnée en réponse à des incidents précis ;
  • De garantir aux organisations de la société civile qu’elles ne seront pas considérées comme des forces négatives ;
  • De rendre une visite de soutien aux personnes détenues pour avoir exprimé leur point de vue sur l’état de siège ;

  • De faire adopter la loi portant modalités pratiques de l’application de l’état siège imposée par l’article 85 alinéa 3 de la Constitution.

Goma, le 13 avril 2022

Les signataires

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