Intervenons-nous

Le manque de vulgarisation du cadre légal garantissant aux femmes l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive en République Démocratique du Congo, reste encore un obstacle pour plusieurs femmes, qui voudraient bénéficier de la contraception.

Dans certains hôpitaux au Sud-Kivu, par exemple, une femme mariée ne peut bénéficier d’une ligature tubaire bilatérale, en guise de contraception irréversible, malgré la nécessité de celle-ci et la demande de la femme, si elle ne présente pas une lettre d’accord, dument signée par son mari.

Tel est le cas d’une femme mariée, internée dans un hôpital à Bukavu, en attente d’un accouchement, que nous appellerons Faida. Âgée de 38 ans, elle a accouché tous ses 5 premiers enfants par césarienne indiqué, pour son bassin généralement rétréci.

Pour sa sixième grossesse, Faida a été conseillée de venir à l’hôpital un mois avant, car ayant eu des complications au courant de ses deux derniers accouchements. Selon l’infirmière qui la suit, elle a eu une « hémorragie du post partum », due à une atonie utérine au quatrième accouchement, et des signes de pré rupture utérine au 5ème. Pour ce 5ème accouchement, elle avait été trompée par un Pasteur qu’elle aura un accouchement miraculeux par voie basse. Elle a ainsi tenté de « pousser » à la maison, avant d’être sauvée de justesse et amenée à l’hôpital.

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Après ces complications, Faida avait été conseillée de pratiquer une ligature tubaire, pour préserver sa vie et éviter d’autres complications. Celle-ci a adhéré à cette proposition, mais le médecin lui a exigé de présenter une lettre signée de son mari, avant de réaliser l’acte.

A deux reprises, le mari a refusé de donner son consentement. Les médecins l’avaient même appelé après la cinquième césarienne, mais en vain. Celui-ci s’est s’opposé, montrant que « c’est Dieu qui donne les enfants », et qu’il n’est pas prêt à arrêter.

Faida, craignant pour sa vie, a alors tenté de négocier pour qu’une ligature soit pratiquée, mais elle ne reçoit pas l’accord des soignants.

«Chaque accouchement est une épreuve pour moi. J’ai déjà cinq enfants et si Dieu le veut, bientôt un sixième. C’est suffisant, je voudrais bien arrêter. Mais les médecins refusent de me ligaturer sans l’accord de mon mari. C’est mon corps, c’est moi qui le demande. J’ai essayé les pilules, mais à chaque fois quand j’oublie de les prendre, je retombe enceinte,» nous confie-t-elle.

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Interrogé sur ce sujet, le Docteur Mugisho Johnson, médecin traitant au sein de la Clinique Ruhigita à Bukavu, affirme que le cas de cette femme n’est pas une exception. Selon lui, cela est la règle dans les hôpitaux de Bukavu. Celui-ci explique que son hôpital procéderait de la même manière, car dans le passé, il a fait face à plusieurs procès en justice pour avoir pratiqué cet acte, sans consentement du mari, malgré l’accord de la femme.

«Dans le temps, nous appelions cela une ligature d’autorité, que nous pratiquions chez les femmes avec des antécédents de plusieurs césariennes itératives, avec des accouchements à risque. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous ne maitrisons pas les lois. Les juristes peuvent nous avoir facilement. C’est juste une question de prudence,» affirme-t-il.

Comme Faida, plusieurs femmes n’accèdent pas aux services de contraception en Républiques Démocratique du Congo, du fait du refus de leurs conjoints. Ceci suite au manque de vulgarisation des lois garantissant l’accès des femmes aux Soins de santé sexuelle et reproductive.

En effet, la RDC a ratifié, depuis 2008, le protocole de Maputo, qui à son article 14, souligne qu’il est crucial d’assurer la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des services de soins de santé sexuelle et reproductive à toutes les femmes ; et que les États ont l’obligation d’assurer des services complets, intégrés, basés sur les droits, centrés sur les femmes.

Bien plus, la loi n° 18/035 du 13 décembre 2018 fixant les principes fondamentaux relatifs à l’organisation de la Santé publique, accorde à la femme le droit de décider de la méthode contraceptive à utiliser, en cas de désaccord avec son mari.

L’article 82 de cette loi stipule : « Pour les personnes légalement mariées, le consentement des deux conjoints sur la méthode contraceptive est requis. En cas de désaccord entre les conjoints sur la méthode contraceptive à utiliser, la volonté du conjoint concerné prime »

Mais le constat est tel que seul le premier alinéa de cet article semble être pris en compte.

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Mme Marie Migani, actrice de la Société Civile du Sud-Kivu, et Coordonnatrice nationale du Centre d’Appui à la Promotion de la Santé (CAPSA), se dit très préoccupée par la situation de Faida, tout comme celle des autres femmes qui n’ont pas la possibilité de décider sur les méthodes contraceptives de leur choix. Pour elle, cette situation serait liée au manque d’information.

« De ma part, ce n’est ni le médecin, ni le mari de Faida, qui constituent le vrai problème. C’est un problème communautaire bâti sur des normes et considération sociales rétrogrades et entretenus par le manque d’information. La mise en place d’une approche communautaire qui met l’accent sur l’éducation familiale dès le bas âge, en matière des droits à la santé sexuelle et reproductive, pourra éviter ces genres de situation,» déclare-t-elle.

De sa part, Dr Nadia Sinzahera, responsable du service d’appui technique au sein du Programme National de Santé de la Reproduction (PNSR) au Sud-Kivu, dit être au courant de cette pratique dans les hôpitaux de la province. Elle appelle à la vulgarisation des différentes lois existantes en RDC en matière de droit à la santé sexuelle et reproductive, afin que les prestataires de soins puissent accéder à la demande des femmes se trouvant dans la même situation que Faida, sans peur d’être poursuivis.

«Il est vrai que notre pays a signé le protocole de Maputo et a adopté bien d’autres bonnes résolutions en matière de lois, mais le défis réside dans leur vulgarisation. Les programmes de formation au profit des prestataires des soins que nous développons grâce à l’appui financier et technique de nos partenaires intègre déjà cet aspect des lois. Nous sommes conscients que jusque-là nous n’avons pas encore atteint un grand nombre des personnes formé, mais nous espérons pouvoir intensifier les séances de renforcement de capacité afin d’éviter les cas comme celui de Faida,» fait-t-elle savoir.

Dr Nadia Sinzahera estime que le travail qui reste à faire dans ce sens est énorme, et exige l’intensification des activités d’information communautaire. Selon elle, ceci ne sera possible que grâce aux efforts non seulement des services étatiques, mais l’appui des organisations nationales et internationales.

Narcisse Bisimwa

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