Intervenons-nous

Après la condamnation de Matata Ponyo pour le scandale de Bukanga Lonzo, l’Oakland Institute et la CONAPAC tirent la sonnette d’alarme. Dans un communiqué conjoint, ils dénoncent les risques de dérives du nouveau projet agro-industriel de Ngandajika (PRODAN), financé par la Banque africaine de développement, et appellent à une réorientation urgente pour éviter un nouveau fiasco aux frais du contribuable congolais.

Le 20 mai, le verdict est tombé : Matata Ponyo, ancien Premier ministre de la République démocratique du Congo, a été condamné à dix ans de travaux forcés pour détournement de fonds dans le cadre du projet agro-industriel de Bukanga Lonzo. Son coaccusé, Deogratias Mutombo, ancien gouverneur de la Banque centrale, et Christophe Grobler, homme d’affaires sud-africain, écopent chacun de cinq ans. Le tribunal a ordonné la confiscation des biens de Ponyo et Mutombo ainsi que la privation de leurs droits civils et politiques pendant cinq ans. L’affaire repose sur les conclusions de l’Inspection générale des finances (IGF), qui, dès 2021, estimait à 285 millions de dollars les fonds détournés dans ce projet lancé en 2014.

Lire aussi : Crise du maïs : Matata Ponyo vante le projet « ambitieux mais combattu » de Bukangalonzo

Malgré les scandales entourant Bukanga Lonzo, le gouvernement de Félix Tshisekedi a relancé en 2021 une initiative similaire : le Programme d’appui au développement agro-industriel de Ngandajika (PRODAN), appuyé par un prêt de 50 millions de dollars de la Banque africaine de développement (BAD). Ce programme s’inscrit dans un plan plus vaste visant à créer 22 parcs agro-industriels, une idée initiée sous la présidence de Joseph Kabila.

Officiellement, le PRODAN se veut plus orienté vers le soutien aux agriculteurs locaux. Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une mauvaise conception du projet. L’Oakland Institute alerte sur une répartition budgétaire déséquilibrée : plus de 85 % des fonds sont destinés à la construction d’infrastructures et à l’acquisition d’équipements, au détriment du soutien direct à la production et à l’entrepreneuriat rural. Le rapport de la BAD, daté de décembre 2024, souligne également des retards de mise en œuvre et une faille majeure : l’absence de budget pour deux ponts essentiels sur les rivières Lubilandji et Kalelu, sans lesquels le transport des marchandises serait pratiquement impossible.

Frédéric Mousseau, directeur politique de l’Oakland Institute, prévient : « Le risque est dès lors très élevé que ce nouveau parc se révèle être un nouvel éléphant blanc, avec des machines et équipements coûteux qui finiront par rouiller sur place comme on l’a vu avec Bukanga Lonzo. »

Lire aussi : Affaire Bukanga Lonzo : la Cour de Cassation renvoi Matata Ponyo devant la Cour constitutionnelle

La CONAPAC (Confédération nationale des producteurs agricoles du Congo) partage ces inquiétudes. Sa présidente, Maman Espérance Nzuzi Muaka, déplore le manque de concertation avec les paysans et leurs organisations.

« Les paysans congolais sont une force vive capable de relever les défis de l’alimentation du pays et de la crise climatique. Pour jouer ce rôle, ils ont besoin d’un appui réel à la production et à l’écoulement de leurs produits, dans des conditions viables. »

Le projet PRODAN inclut certes la construction d’unités de transformation, d’infrastructures de transport et de stockage. Mais selon les critiques, ces installations seront inutiles si la production paysanne reste marginalisée. Dans un contexte où les routes sont souvent impraticables et les intrants agricoles de synthèse coûteux et difficiles à transporter, les organisations de terrain plaident pour une approche basée sur l’agroécologie. Cette stratégie, estiment-elles, favoriserait aussi l’entrepreneuriat local, notamment des jeunes et des femmes, à travers des initiatives comme la fabrication de compost, la production de semences locales ou les circuits courts.

« Le projet étant financé par la dette publique, c’est en réalité l’argent des contribuables congolais qui est engagé, comme pour Bukanga Lonzo, » rappelle Frédéric Mousseau.

Il appelle à une réorientation radicale du PRODAN, fondée sur une consultation inclusive. Faute de quoi, prévient-il, « on ne peut s’attendre qu’à un autre fiasco et de nouvelles poursuites judiciaires qui ne feront qu’entacher davantage la gouvernance du pays. »

Alors que la RDC tente de redorer son image et renforcer sa souveraineté alimentaire, le spectre des « éléphants blancs » continue de hanter les projets agro-industriels.

Edith Kazamwali

Share.
Leave A Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.