Intervenons-nous

Les organisations AfreWatch et BEST veulent mettre en place le Baromètre National de la Responsabilité Sociétale des Entreprises en RDC. Il s’agit d’un outil de monitoring du respect par les entreprises, des obligations relevant de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), tel qu’organisé par la législation minière et d’autres standards internationaux.

Lors d’un atelier de validation de la note méthodologique de collecte des données, tenu à Kinshasa du 2 au 3 juin dernier, ces structures ont fait savoir qu’à ce jour, plus de 3000 titres miniers et d’exploitation des carrières ont été octroyés en RDC.

AfreWatch et BEST regrettent cependant que la plupart de ces entreprises n’aient pas fourni d’effort pour se conformer aux dispositions légales en matière de RSE. Ainsi, le baromètre national de la RSE a pour vocation de faire autorité en matière responsabilité sociétale des entreprises minières en RDC.

«Plusieurs de ces titulaires des droits miniers signent des contrats d’amodiations plus ou loin légaux pour permettre une exploitation artisanale ou semi-industrielle qui ne profitent pas à l’Etat congolais et aux communautés et qui ont un impact dévastateur sur l’environnement. Cependant, le baromètre national de la RSE n’a pas la prétention de couvrir toutes ces entreprises dans toutes les provinces du pays et au même moment. Il sera, comme tous les outils de ce type, évolutif. Les recommandations des parties prenantes (Services publiques, Entreprises et Organisation de la société civile, etc.) ainsi que les leçons apprises dans la mise en œuvre et la capacité à mobiliser les ressources nécessaires permettront une montée en puissance progressive du baromètre national de la RSE,» a fait savoir Philippe Ruvunangiza, directeur du BEST.

Lire aussi Masisi : à Rubaya le BEST renforce les capacités des responsables des coopératives sur le cahier des charges et l’impact environnemental

AfreWatch et BEST font savoir que le Baromètre national de la RSE fournira des informations « précises et plus détaillées » sur divers sujets relatifs aussi bien à la propriété réelle des entreprises, à la localisation, nature et la durée de leur droit, à leur capital et leur actionnariat, aux EIES et PGES, à la transparence, au contenu local, au cahier de charge de la RSE, à la dotation pour financement des projets de développement, ainsi qu’à la redevance minière.

Baromètre
AfreWatch et BEST dans un atelier à Kinshasa

Il fournira également des recommandations aux parties prenantes, dans le but de faire avancer le respect de la Responsabilité sociétale des entreprises.

«Il va permettre aux entreprises de mesurer, de s’engager, de construire un dialogue efficace avec les communautés autour de la RSE, sur la base d’un diagnostic partagé, et de se comparer et mesurer leurs progrès au cours des années. Aux pouvoirs publics, c’est pour leur permettre de mesurer les progrès réalisés par les entreprises dans le respect des obligations relevant de la RSE et envisager des mesures correctives. Et aux organisations de la Société Civile comme outil de monitoring et de plaidoyer sur les activités des entreprises relevant de la RSE et l’adoption et la mise en œuvre des politiques publiques plus dynamique,» explique de sa part, Marline Babwine, chargée des programme du BEST.

Comparé à l’ITIE qui concentre son action sur la fiscalité et plus généralement sur la transparence des industries extractives, le baromètre de la RSE se veut être un référentiel de la responsabilité sociétale des entreprises. Il aura la particularité de fournir des informations désagrégées sur la RSE, notamment des cahiers des charges, dotation, redevance minière, délocalisation, protection de l’environnement, contenu local, consultation des communautés, loyauté des pratiques, etc.

Contexte

En République Démocratique du Congo, le législateur a rendu obligatoire la responsabilité sociétale (RSE) à l’endroit des titulaires des droits d’exploitation minière et des carrières permanentes par la promulgation de la loi N° 18/001 du 09 mars 2018 modifiant et complétant la loi N° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code Minier. Des mesures d’application ont été également mis en place par le décret N°18/024 du 08 juin 2018 modifiant et complétant le Décret N°038/2003 du 26 mars 2003 portant Règlement minier.

Cette importante réforme a été décidé après plusieurs années de négociation entre les différentes parties prenantes à savoir l’Etat congolais, les entreprises minières et les organisations de la société civile ; à la suite du constat partagé que la hausse exponentielle de la production des minerais en RDC consécutive à la promulgation de la loi N° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code Minier n’avait permis, ni aux populations congolaise ni à l’Etat congolais, de bénéficier de des potentialités que recèle l’exploitation minière en raison notamment de la corruption, du manque de transparence et de redevabilité aussi bien de l’Etat congolais que des entreprises minières.

Des études montrent, en effet, que si les ressources minières de la RDC était exploitée judicieusement elles pourraient induire d’immenses opportunités pour le développement social et économique du pays. Malheureusement, force est de constater que plutôt que ces ressources minières produisent la paix ;

Elles sont au contraire au centre des controverses et des conflits parfois violents qui oppose plusieurs protagonistes y compris les Etats, les entreprises multinationales, les communautés des zones minières, etc.

Dans le même moment, des nouvelles études montrent que la transition énergétique en cours occasionnera une augmentation de l’activité extractive dans les prochaines décennies. Des organisations de la société civile belge affirment dans un dossier intitulé « Les minerais de la transition énergétique : vers une société sobre en carbone » : « qu’aujourd’hui au moins 23 minerais sont nécessaires à la production de plus en plus intensive des panneaux solaires, des éoliennes, des voitures électriques ainsi qu’au stockage de l’énergie. Il s’agit notamment de l’aluminium, du fer, du cobalt, du cuivre, du lithium, du plomb, du nickel, de l’étain, des terres rares, de l’argent et du zinc ; minerais dont la RDC dispose d’un potentiel non négligeable. Ainsi la transition énergétique menace de provoquer une véritable ruée vers ces matières premières »

La RDC étant un des pays producteurs de la plupart de ces minéraux sera donc une des destinations de cette ruée.

L’atlas de la justice environnementale, coordonné par des chercheurs de l’Université autonome de Barcelone indique que « Partout dans le monde, des communautés se battent pour défendre leur terre, leur eau, leur air ou leurs forêts menacés par de grands projets ou des activités extractives aux impacts sociaux et environnementaux majeurs ».

Il en est de même en RDC ou une résistance plus ou moins violente se développe autour des projets miniers ainsi qu’autour de l’exploitation minière artisanale. La délivrance effrénée des titres miniers (voir Site du Cadastre Minier) laisse entrevoir une explosion des conflits lié à l’accès et à l’exploitation des ressources naturelles.

En outre, l’impact de l’activité extractive sur la dégradation de l’environnement et le réchauffement climatique n’est plus à démontrer. Les compagnies minières partagent largement les responsabilités dans des catastrophes écologiques tel que la pollution des eaux et l’asséchement des cours d’eaux, le déboisement, etc. ; dans un document intitulé « Industrie minière : vers un avenir durable » on peut lire « Au vu de la diminution de la teneur et de la qualité des gisements, l’industrie minière se voit contrainte de déployer davantage de moyens pour extraire la même quantité de minerais. La gestion de l’eau, de l’énergie et des déchets constitue une part importante des dépenses d’une mine, souvent implantée dans des régions arides et éloignées. De plus, les déchets générés sont potentiellement dangereux ». Grâce à plus d’engagement de la part des entreprises minière en matière de responsabilité sociétale, le secteur peut améliorer son impact environnemental et minimiser l’héritage négatif pour les générations actuelles et futures.

La nouvelle législation minière (voir ci-dessus) a introduit et/ou renforcer des dispositions favorables au développement communautaire, à la transparence, à la fiscalité, à la participation des congolais au capital des entreprises minières, à la protection de l’environnement, à l’industrialisation du secteur minier, à la délocalisation des populations appelées à se déplacer pour laisser la place à l’industrie minière, à l’obligation de débuter les travaux, etc. qui si elles étaient appliquées pourraient certainement réduire le potentiel de conflit par un respect plus accru des droits humains par les acteur de l’exploitation minière mais aussi contribuer à la sauvegarde des écosystèmes dont dépend l’avenir de l’humanité toute entière. Il s’agit entre autres de dispositions relatives a : 

  1. Développement communautaire
  • L’obligation pour les titulaires du Permis d’exploitation, du Permis d’exploitation des rejets, du Permis d’exploitation de petite mine, de l’Autorisation d’exploitation de carrières permanente de verser des quotités de la redevance minière à l’état central (50%), aux provinces (25%) et les entités territoriales décentralisées (15%) et au fond minier pour les générations futures (10%) ;
  • La Création d’une dotation de 0,3 % du chiffre d’affaires des titulaires des droits d’exploitation minière et des carrières permanentes pour financement des projets de développement ;
  • L’obligation de signer un cahier de charge de la responsabilité sociétale entre les titulaires des droits d’exploitation minière et des carrières permanentes et les communautés affectées par leurs activités ;
  • L’obligation de construction du bâtiment abritant le siège social dans le chef-lieu de la province de l’exploitation ;
  • L’obligation faite au titulaire d’un droit minier d’exploitation de construire un bâtiment abritant son siège social selon les normes des standards internationaux au chef-lieu de la province d’exploitation dans les cinq ans à dater de la délivrance du titre.
  1. Protection de l’environnement
  • Remplacement de l’avis environnemental par le certificat environnemental, préalable à l’obtention d’un permis d’exploitation, délivré par l’Agence Congolaise de l’Environnement à l’issue de l’instruction environnementale et sociale attestant que l’exécution du projet ainsi que l’exploitation de l’ouvrage se conforment aux principes de sauvegarde environnementale et sociale ;
  • L’obligation pour tout titulaire des droits d’exploitation minière et des carrières permanentes de réparer les dommages causés aux personnes, aux biens et à l’environnement du fait de ses activités minières, même en l’absence de toute faute ou négligence. (Article 285 bis).
  1. Innovations sur la transparence et la gouvernance
  • L’obligation faite à l’Etat congolais de prendre des mesures légales ou réglementaires particulières en application des normes nationales, régionales et internationales en matière de transparence dans l’industrie minière, de traçabilité et de certification des substances minérales, notamment la divulgation et la publication des contrats et des bénéficiaires réels des actifs miniers ainsi que les déclarations de tous les impôts, taxes, droits et redevances dus et payés à l’Etat, les contrats miniers, leurs annexes (Par exemple EIES, PGEP …) et avenants ;
  • L’obligation faite aux titulaires des droits miniers ou de carrières d’exploitation de publier à la fin de chaque mois sur un formulaire ad hoc, les quantités produites, vendues ou exportées des substances minérales, leurs qualités, leurs valeurs, les montants de divers impôts, droits, taxes et redevances dus et payés au profit du Trésor public, aux entités territoriales décentralisées et aux organismes de l’Etat
  1. Industrialisation du secteur minier
  • L’obligation faite au titulaire d’un droit minier d’exploitation ou d’une Autorisation d’exploitation de carrière permanente de traiter ou de faire traiter les substances minérales en produits marchands dans ses propres installations ou auprès des entités de traitement agréées établies sur le territoire national ;
  • L’obligation faite au titulaire d’un droit minier d’exploitation ou d’une autorisation d’exploitation de carrière permanente de présenter à la Direction des mines son plan d’industrialisation contenant un programme de traitement des produits miniers extraits de son périmètre dans ses propres installations ou auprès des entités de traitement agréées établies sur le territoire national.
  1. Participation des congolais
  • L’obligation faite au titulaire d’un droit minier d’exploitation ou d’une Autorisation d’exploitation de carrière permanente de veiller à participation, à au moins 10%, des personnes physiques de nationalité congolaise au capital social des sociétés minières ;
  • L’obligation faite au titulaire d’un droit minier d’exploitation ou d’une Autorisation d’exploitation de carrière permanente de réservée la sous-traitance aux seules entreprises tenues par les congolais
  1. Règlementation du déplacement et de réinstallation des communautés affectées
    • L’obligation pour tout opérateur minier de procéder préalablement à l’indemnisation, à la compensation et à la réinstallation des populations en cas de déplacement conformément à la directive spécifique sur le processus de déplacement, d’indemnisation, de compensation et de réinstallation des populations est annexée au Règlement Minier.

Depuis la promulgation de cette nouvelle législation, les organisations de la Société Civile dans leur diversité et pluralité et en fonction de leurs ressources se sont lancées dans le suivi de la mise en application de la nouvelle loi, mais comme l’indique une étude publié par Cordaid intitulée « Deux ans après la promulgation de la législation minière révisée en RDC : Les communautés locales continuent d’attendre les retombées…».

Rien ou presque n’a changé et trois ans après la réforme, selon des organisations de la Société Civile qui considèrent que les résultats sont peu satisfaisants, les entreprises continuent à s’enrichir au détriment des communautés et du pays, le secteur reste géré dans une grande opacité malgré les efforts des organisations de la société civile, l’environnement continuent être dégradé en raison de l’activité des exploitants miniers, les conflits se multiplient avec des nouveaux acteurs, la corruption bat son plein et la pauvreté continuent à sévir, la grande majorité des entreprises ne se sont pas encore mis en conformité avec la loi et l’Etat congolais de son côté semblent être l’artisan principal du viol de ses propres règlementations.

Freddy Ruvunangiza

Share.
Leave A Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.