Le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018, appelle à une médiation transparente et inclusive dans les négociations en cours entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, tout en exprimant de vives réserves face à un processus opaque et peu représentatif, notamment pour les femmes et les jeunes.
Dans une déclaration rendue publique ce jeudi 19 juin 2025, Mukwege alerte sur les risques d’un accord qui ignorerait la reconnaissance de l’agression de la RDC par le Rwanda, en évoquant un processus qui, selon lui, pourrait blanchir les crimes passés et présents « sous couvert de coopération économique ».
Le gynécologue congolais s’inquiète du contenu de la déclaration conjointe du 18 juin issue des pourparlers techniques tenus à Washington en présence de la sous-secrétaire d’État américaine aux affaires politiques. Il déplore un texte vague, se limitant à des principes généraux comme le respect de l’intégrité territoriale, l’interdiction des hostilités ou encore l’intégration conditionnelle des groupes armés non étatiques.
Pour Mukwege, cet accord reviendrait à récompenser l’agresseur, à légitimer le pillage des ressources naturelles de la RDC, et à sacrifier la justice au profit d’une paix de façade. Il insiste : « La justice est non négociable, et les richesses du sous-sol congolais ne peuvent être bradées de manière opaque dans le cadre d’une logique extractiviste néocoloniale. »
Le médecin rappelle que cette déclaration fait l’impasse sur la résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 20 février 2024. Celle-ci exige notamment un cessez-le-feu immédiat, le retrait des Forces de défense rwandaises du territoire congolais, la fin de leur soutien au M23, ainsi que le démantèlement des administrations parallèles illégales dans les zones occupées.
Mukwege insiste sur la nécessité d’associer les femmes et les jeunes aux pourparlers, mais aussi d’intégrer les mécanismes de justice transitionnelle pour en finir avec l’impunité et prévenir la répétition des crimes : massacres, viols massifs, déplacements forcés. « Le conflit en cours est la continuité de trente ans de guerres d’agression et de crimes internationaux. »
Il rejette l’idée d’un accord d’intégration économique ou de cogestion des ressources naturelles avec le Rwanda sans justice préalable. Il appelle également à revitaliser l’Accord-cadre d’Addis-Abeba de 2013 pour la paix, la sécurité et la coopération dans la région des Grands Lacs, et à organiser une conférence internationale de haut niveau, avec l’appui des institutions garantes et des partenaires internationaux.
Enfin, Mukwege exhorte les acteurs impliqués à fixer un calendrier clair pour le cessez-le-feu et à prévoir des sanctions fortes et coordonnées en cas de non-respect des engagements. « Le chemin de la paix dans la région des Grands Lacs est possible, si et seulement si les efforts en cours sont animés par la volonté politique et la bonne foi de toutes les parties », conclut-il.
Séraphin Mapenzi