Intervenons-nous

Comme à l’époque de Kabila, où les organisations dénonçaient des lois taillées sur mesure; Tshisekedi et son Union Sacrée ne veulent pas renoncer à ce qui est visiblement devenue une tradition. En effet, la nouvelle loi sur la CENI vient de susciter un véritable tollé dans le pays; et cela ne semble malheureusement pas inquiéter l’ancienne opposition aujourd’hui devenue majorité. Pourtant la nouvelle CENI sera du bonnet-blanc, blanc-bonnet mais cette fois avec comme chef d’orchestre Félix Tshisekedi.

Après l’adoption par l’Assemblée Nationale le 4 juin dernier; de la proposition de loi modifiant et complétant la loi organique portant organisation et fonctionnement de la CENI; des voix s’élèvent au sein de l’Opposition et différentes forces de la Société Civile pour rejeter cette loi; qui selon eux, n’a pas répondu aux attentes du peuple sur les reformes, notamment en ce qui concerne la dépolitisation, l’indépendance, mais aussi la transparence de la Commission électorale.

Côté Opposition, Martin Fayulu, ancien candidat à la présidentielle de 2018; a estimé que si la Société Civile, y compris les confessions religieuses; veulent les élections impartiales et apaisées en 2023; elles doivent rejeter cette loi « politisant la CENI à outrance», initiée selon lui par l’Union Sacrée et le FCC. Selon lui, ils devrait s’abstenir de désigner le président de la CENI.

«La mobilisation du peuple pour un consensus autour des réformes institutionnelles est un devoir citoyen. En l’espèce, les intérêts égoïstes ayant pris le pas sur l’intérêt général; le peuple congolais n’aura pas d’autre choix que de recourir à l’article 64 de la Constitution,» dit-il.

« On ne peut pas être à la fois juge et partie »

Au sein des Confessions religieuses, l’on estime que cette Loi dans sa configuration actuelle; porte des germes conflictogènes en période post-électorale; alors que le président de la République prône un processus électoral transparent et une période post-électorale pacifique; différente des précédents processus électoraux que la RDC a connus.

Les laïcs catholiques ont instamment plaidé pour la dépolitisation de la CENI, pour corriger une fois pour toutes les erreurs du passé et baliser la voie pour un avenir meilleur. Ils demandent aux sénateurs d’amender cette Loi dans le sens de redonner à la CENI son caractère d’institution d’appui à la démocratie; entièrement dépolitisée et dont la gestion sera confiée à la Société Civile.

«Pour mettre définitivement fin au cycle infernal de la politisation des institutions d’appui à la démocratie dans le pays; la CENI devra être composée exclusivement de représentants des forces vives; contrairement à la proposition de loi Lutundula qui suggère que 66,6% de membres soient issus des forces politiques et que seuls 33,3% proviennent de la société civile. En outre, le CALCC recommande aussi que le nombre des membres de cette institution soit réduit à 9 au lieu de 15; pour éviter de dilapider les ressources financières publiques,» disent-ils.

Et de préciser que « la dépolitisation de la CENI passe inéluctablement par une gestion exclusivement confiée à la Société Civile. On ne peut pas être à la fois juge et partie, ou encore arbitre et joueur ».

Un coup d’État contre la République

L’Eglise du Christ au Congo (ECC) a également qualifié lundi 7 juin dernier, de coup d’Etat contre la République, l’adoption de cette loi par l’Assemblée Nationale. Son Porte-parole, Pasteur Nsenga indique qu’elle n’apporte pas de réformes telles que souhaitées.

«Lorsque les réformes n’apportent aucun changement, elles ne servent à rien. C’est un coup dur, c’est un coup contre la République Démocratique du Congo. Nous devons arriver à transcender nos divergences et à situer les valeurs communes qui constituent notre raison de vivre ensemble, il s’agit ici d’un coup d’État à la République” dit-il.

Selon lui, le régime actuel fait exactement comme celui de Kabila, tant décrié.

Sous le régime de Joseph Kabila qu’on accusait de tous les maux, nous avons toléré certaines choses; mais on est curieux de voir pareilles choses sous le régime de Félix Tshisekedi qui prône le peuple d’abord. L’Union sacrée qui est composée de ses amis pour lesquels nous avons lutté. L’auteur même de la proposition, l’actuel ministre des affaires étrangères sait des discussions que nous avons eues à l’époque lorsqu’il élaborait cette proposition”, a ajouté le Révérend Eric Nsenga.

« Les grandes options de la réforme n’ont pas été retenues »

Dans un Communiqué publié ce mercredi 9 juin, le G13 dit également avoir suivi avec un vif intérêt le débat et l’adoption par l’Assemblée nationale de la proposition de loi organique portant organisation et fonctionnement de CENI. Selon lui, la modification de la loi organique sur la CENI aurait dû être une indication majeure; de la réelle volonté de répondre aux causes qui plombent l’organisation des élections crédibles en RDC depuis 2006 à 2018.

Mais à l’analyse du travail de l’Assemblée nationale, aucune leçon n’a été tirée du passé : «les grandes options de la réforme n’ont pas été retenues dans le texte adopté par l’Assemblée nationale; dont la noblesse et la force des principes de l’exposé des motifs contrastent fondamentalement avec la vacuité des dispositions de la loi. Il s’agit principalement des questions touchant à l’indépendance de la CENI et de ses membres; au contrôle opérationnel et financier de la CENI, au statut des agents permanents de la CENI comprenant le secrétariat national; les secrétaires provinciaux et les chefs d’antenne, d’une part et, des agents temporaires d’autre part,» dit ce communiqué.

Le G13 note ainsi que la grande ambition de la réforme, esquissée par consensus lors des consultations menées par le G13; a été sacrifiée sur l’autel du partage des postes au Bureau de la CENI, au profit d’une « réformette » sans envergure et sans prétention de changer la gouvernance électorale.

Selon le communiqué du G13, signé par 10 députés nationaux, la loi organique sur la CENI telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale; ne concourt pas à la tenue des élections libres, démocratiques; crédibles, inclusives et transparentes telles que souhaitées par tous. Bien au contraire, elle amplifie et enracine les maux décriés, y compris dans le Rapport de la CENI.

Il s’agit notamment des points ci-après :  
  • L’indépendance des membres de la CENI n’ayant pas été définie suivant un critère objectif; il est à parier que les hommes politiques qui seront désignés; s’activeront comme par le passé à subordonner la mission de la centrale électorale à celle de leurs partis politiques: au détriment de la neutralité, de la transparence, de la crédibilité et la liberté des scrutins.
  • L’institution d’un droit de récusation au profit de l’Assemblée nationale enfreint le principe de l’autonomie des composantes; en conférant indirectement aux politiques, dans leurs composantes majorité et opposition; un droit d’ingérence dans la désignation des membres de la Société civile.
  • L’abandon, sans alternative, de la proposition plaidant en faveur de l’institution d’un mécanisme souple; de financement régulier et continu du processus électoral par le biais d’un compte d’affectation spéciale; place l’Etat dans l’optique de la mobilisation hasardeuse des financements comme en 2011 et 2018; conduisant inévitablement à des malversations et actes d’improbité dans la passation des marchés de la CENI ;

  • Le refus de tout contrôle sur le Bureau de la CENI dont il a été dénoncé le manque de redevabilité et de transparence dans la gestion opérationnelle et financière; crée un conflit d’intérêt au profit du Bureau transformé en juge et partie, échappant à tout contrôle sérieux; effectif et indépendant, comme en 2011 et 2018. En effet, les 7 membres du Bureau de la CENI échappent de fait au contrôle; et sont garantis de l’impunité par le fait d’être un corps majoritaire; en recrutant un seul membre, parmi le reste des membres de la CENI.
  • Le refus de régler dans la loi le statut des Secrétaires exécutifs nationaux; soumis aujourd’hui encore par le Règlement administratif au régime du droit du travail consacre la précarité de l’administration électorale; dépourvue des garanties légales statutaires. Ainsi, l’administration électorale est asservie par le Président de la CENI; au service des intérêts partisans, au lieu de servir le service public électoral avec indépendance, loyauté et neutralité.
La Commission PAJ n’a retenue que 9 sur 19 recommandations 

La Société Civile à travers ses experts délégués, a participé aux travaux de la Commission Politique, Administrative et Juridique de l’Assemblée Nationale (PAJ); pour suivre et donner son point de vue sur cette loi. Le Consortium des Organisations de la Société Civile engagées pour le plaidoyer sur les reformes électorales en RDC; avait produit un Référentiel de son plaidoyer (à lire ici).

Mais dans la Commission PAJ de l’Assemblée Nationale, n’a pris en compte que 9 sur 19 recommandations de la Société Civile, soit plus ou moins 45%. Dans le tableau (à lire ici), le chercheur Bienvenue Karhakubwa relève la manière dont les recommandations du Référentiel de la Société Civile ont été prises en charge.

Dans un Communiqué de presse publié ce mercredi 9 juin, ce Consortium des Organisations de la Société Civile a également réitéré ses inquiétudes quant à la loi adoptée; et qui selon lui, traduisent l’amoindrissement de la confiance des parties prenantes au processus électoral, qui pourtant devrait être un gage d’apaisement.

«Considérant que le Sénat est la chambre des sages, qui prendra la mesure et la pertinence de ces préoccupations, le Consortium exhorte les honorables sénateurs à tenir compte des attentes de la population,» dit-il.

Pour l’instant, plusieurs observateurs ne cachent pas leur déception face au tripatouillage actuel du campa de la majorité alors que les « grands du monde » qui n’avaient jamais arrêté de donner des leçons de démocratie et de bonne gouvernance sont muets. Avec l’attitude, Tshisekedi sait qu’il jouit pour l’instant du soutien des États-Unis, intéressés à être le principal partenaire au détriment de la Chine et tant que ça continuera à être le cas, il sera toujours blanc comme neige. Les principes démocratiques s’appliquent selon les intérêts et les personnes!

Museza Cikuru

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