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    24 août 1998- 24 août 2023 : 25 ans après le massacre de Kasika dans la Chefferie de Luindi, territoire de Mwenga au Sud-Kivu. Des victimes directes et indirectes se souviennent encore de ce jour-là comme si c’était hier. Abdallah Mapenzi est journaliste. Il avait 9 ans quand son père a été assassiné. Aujourd’hui, il n’a pas fini le deuil parce que Justice n’a pas encore été faite. (Témoignage).

    J’avais 9 ans, témoigne Abdallah. Le 26 Août 1998, ma famille apprend que le corps sans vie de notre père a été retrouvé à Mukasa, Kasika dans la chefferie de Luindi. Il serait mort depuis au moins 48 heures. Amoureux de l’agriculture, il a été assassiné, comme plusieurs centaines d’autres habitants par des militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) en expédition en RDC. Depuis, personne d’entre nous ne saura s’il a été tué le 23 ou le 24 août, dit d’emblée cet homme à la quête de la justice.

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    Ce 24 août 1998, des militaires de l’ANC/APR ont massacré plus d’un millier de civils, dont de nombreuses femmes ainsi que des enfants et des bébés dans les villages de Kilungutwe, Kalama et Kasika, dans le territoire de Mwenga, à 108 kilomètres de Bukavu.

    Avant d’être tuées, la plupart des femmes ont été violées, torturées et ont subi la mutilation de leurs organes génitaux. Ce massacre a été organisé en représailles à la suite de la mort, le 23 août, d’une vingtaine d’officiers de l’ANC/APR dans une embuscade tendue par des Maï-Maï sur la route reliant Bukavu à Kindu. De nombreux corps d’enfants et de bébés ont été jetés dans les latrines. Avant de partir, les militaires ont pillé les trois villages et incendié de nombreuses habitations, selon le Rapport Mapping.

    « En date du 24 aout, notre feu papa, amoureux de l’agriculteur de son état a été tué par les militaires rwandais de l’APR alors qu’il revenait de sa cachette pour récupérer certains de ses objets laissés à son domicile à Ilemba, Mukangala, Kasika non loin du terrain de football de la Paroisse Saint Joseph Mukasa de Kasika ».

    Abdallah avait seulement 9 ans et venait de terminer la classe de 3ème année primaire à Bukavu.

    « La triste nouvelle de la tuerie de notre père nous a été donnée vers 19 heures après 2 à 3 jours du massacre. Son corps a été retrouvé à côté de la RN2 à Mukasa, à plus d’un kilomètre de chez nous », témoigne Abdallah Mapenzi.

    Pendant ce temps, la mère de Abdallah Mapenzi était hospitalisée suite à une intervention chirurgicale dans une structure de Bukavu. Ce n’est pas facile de lui annoncé cette terrible nouvelle.

    Son père parti, le journaliste n’a rien oublié depuis. Son départ a laissé un vide énorme dans sa vie et celle de sa famille.

    « Notre père était tout pour nous. Sa disparition a totalement bouleversé la vie de notre famille sur tous les plans. Son épouse, notre mère, a toujours de chocs jusqu’à présent. Sur le plan moral et physique, toute notre famille est affectée. Avoir tué un innocent ; une personne qui n’avait ni arme et/ou un quelconque lien avec une quelconque armée est injuste ».

    « Notre papa n’est pas mort mais a été tué »

    Depuis l’âge de neuf ans, Abdallah n’a jamais revu son cher papa. Pourtant cadet de sa famille, il avait droit à plus d’attention comme tous les enfants dans sa situation.

    «Imaginez-vous à l’âge de 9 ans, l’amour qui caractérise un père et son fils cadet. Je suis toujours sous le choc depuis l’annonce de la mort de mon père malgré que j’essaie de me surpasser de ce drame mais les blessures sont toujours là. Notre papa n’est pas mort mais il a été tué … »

    Ce n’est pas seulement lui. Toute la famille de Abdallah est aujourd’hui affectée. Tous, grands-frères et sa sœur exigent justice.

    « A chaque jour et à chaque instant dans notre famille, nous pensons à cette tristesse tuerie. Au fait que nous n’avons jamais enterré notre père. Nous prions toujours  pour lui et pour ses bourreaux. Ses arrières fils et filles nous demandent toujours où est parti leur grand-père. Toute la famille veut l’enterrer dignement et sur sa parcelle familiale ».

    Mais ce petit enfant qui est devenu journaliste refuse de clore la page sans justice. Une justice qui peut aider à faire le deuil et permettre à ce que des milliers d’autres reposent finalement en paix.

    « Pour que ce sujet soit clos définitivement, nous réclamons une justice équitable pour toutes les victimes de guerre en RDC. Que les auteurs soient punis conformément aux droits internationaux et humanitaires. Un tribunal spécial pour la RD Congo pourrait aider les victimes à être remis dans leurs droits », pense-t-il.

    Celui-ci regrette donc que rien n’ait évolué jusqu’à présent.

    « Rien n’évolue de la part du gouvernement congolais car les personnes impliquées dans ce massacre circulent librement dans le pays sans aucune inquiétude. En plus de cela, elles occupent encore et toujours des postes décisionnels au pays. J’aimerai bien savoir pourquoi mon père a été tué ».




    Aujourd’hui Abdallah est conscient que nombreuses victimes ont peur et nombreuses d’ailleurs sont animées par la honte d’avoir connu cet événement. Il appelle à une solidarité pour arriver à avoir justice.

    Abdallah Mapenzi demande aussi à ce que toutes les victimes réclament justice pour qu’elles arrivent enfin à clore le dossier de ce massacre douloureux. Un massacre dont les séquelles hantent toujours des milliers des ressortissants de Kasika. 

    Comme lui, des nombreuses autres victimes demandent justice sans savoir le jour que cela pourrait arriver.

    Contexte 

    Les faits se déroulent en effet le 23 août 1998 à Kasika, soit 3 semaines après le déclenchement de la guerre d’agression, et le 24 août à Kilungutwe au fin fond des collines, où la presse écrite, la radio et la télévision, ne sauraient facilement accéder.

    C’est le dimanche 23 août 1998, à Kasika, jour de célébration des cultes, et le lundi 24 août 1998, jour du marché qui regroupe à Kilungutwe généralement plus de trois mille personnes provenant aussi bien de Kasika que des localités environnantes, où bivouaquent les soldats rwandais venus de Kamituga, que le drame commence.




    Soudain, la population civile se retrouve encerclée par ces soldats qui entrent dans les habitations, maison par maison, égorgeant hommes, femmes et enfants sans pitié. Dans certaines maisons, « il est question d’y entrer pour vérifier et achever ceux qui n’étaient pas totalement morts. A défaut, des familles entières sont surprises par le feu sur la case. Ceux des villageois qui n’étaient pas dans leur maison ne sont pas plus chanceux non plus. C’est ainsi que le drame de la famille régnante et des religieux, se déroule dans l’Eglise (Paroisse de Kasika), en pleine célébration eucharistique.

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    Le Chef coutumier Mubeza III, de son vrai nom Na Luindi François, est ligoté et assassiné par machette, son cœur extrait, la tête coupée. Son épouse n’aura pas un traitement de faveur. Elle est éventrée et le fœtus extrait de son sein pour être découpé en morceau.




    L’Abbé économe de la Paroisse de Kasika, Stanislas Wabula Kombe, des religieux et religieuses catholiques connaîtront le même sort. Les uns à coup de baïonnettes, les autres à coup de machettes enfoncées dans les ventres et dans les têtes, ils seront tous tués.

    Les massacres se poursuivront dans la journée du 24 août 1998 sur les infortunés des villages voisins qui venaient innocemment au marché de Kilungutwe, ne sachant pas que la localité avait été envahie.




    Ceux des paysans qui se trouvaient dans les périphéries du village ne seront pas non plus épargnés. Ainsi, arrivés à Chibeke, à 5 km de Burhuza et à 50 km de Kasika, dans l’après-midi du lundi 24 août 1998, le commando rwandais se déploiera dans la plantation Chibeke (propriété d’un colon, Monsieur Van Der Walle), il tuera le gérant de cette plantation du nom de Salu avec sa vieille sentinelle.

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    Le décompte provisoire révélé par les témoignages des rescapés religieux, confirmé par les sources indépendantes telle que le C.I.C.R., fera état au bout de l’opération, de 1.200 tués, sans compter ceux dont les cadavres seront retrouvés plus tard, au fur et à mesure des recherches, dans les buissons.

    Le rapport du CADDHOM mentionne également que plus de 1.200 victimes Banyindu périssent du 23 au 24 août 1998(10).




    Lorsqu’on sait que Luindi est une petite collectivité à grande concentration avec une densité de plus de 19 habitants au kilomètre-carré, on peut imaginer l’étendue du désastre qui s’était abattu sur cette partie du territoire de Mwenga, dans le Sud-Kivu, en l’espace de deux jours.

    Et comme s’ils s’étaient rendus à l’évidence que la tâche n’avait pas été accomplie à la perfection, les mêmes troupes rwandaises, profitant des contestations soulevées autour de la succession du Chef coutumier défunt (Mubeza III) par Monsieur Nyumba, dit Mubeza IV (proche des Rwandais), nettoieront Kasika en juin 2000 du reste de ses habitants, rescapés de la première expédition. Bilan de l’opération : 74 morts recensés par la Société Civile, et principalement par les Eglises locales.




    Les auteurs, co-auteurs et commanditaires de ces barbaries sont connus, à savoir respectivement : les Commandants (AFANDE) Muhire et Mukarayi pour le premier massacre, et le Commandant Machumu pour le deuxième. Quant à Monsieur Benjamin Serukiza, Vice-Gouverneur, il est cité comme commanditaire des deux opérations, en raison de la réunion de sécurité de la province organisée et présidée par lui, et ayant décidé de ces « croisades ».

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    A noter que Mukarayi, alias November-Papa, qui a joué un rôle significatif dans l’invasion et l’occupation du Sud-Kivu est, comme le souligne A. Bulambo Katambu du CADDHOM, parmi les promoteurs de ce que l’on appelle la rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) de 1998. C’est lui, confirme A. BULAMBO, qui dirigea les opérations militaires ayant conduit au massacre de plus de 1200 villageois à Kasika, soit 8% d’une population évaluée à près de 19.000 âmes (les Banyindu).




    Il s’en suivra pourtant d’autres massacres aussi dévastateurs que ceux décrits ci-dessus. Les populations de Burhinyi, Lulingu, Kigulube, Mboko, Makobola, Nindja, Idjwi en feront, elles aussi les frais.

    Jean-Luc M.

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