Accès Humanitaire

L’Union Européenne (UE) a pris des sanctions contre neuf nouvelles personnes accusées d’être responsables d’actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou de graves atteintes à ces droits en RDC ainsi que du soutien apporté au conflit armé, à l’instabilité et à l’insécurité en RDC. Mais ces sanctions s’apparentent à des sanctions « riquiqui ».




Il s’agit principalement de chefs de groupes armés : Bernard Maheshe Byamungu du M23, de Janvier Karairi Buingo de l’APCLS, de Charles Sematama et Michel Rukunda, alias « Makanika » du Twirwaneho, de Ahmad Mahmood Hassan de l’ADF, de Justin Maki Gesi de la CODECO, de Apollinaire Hakizimana des FDLR. S’y ajoute le colonel Simon (Salomon) Tokolonga, commandant du 3411e  régiment des FARDC. Enfin, « last but not least »,  est aussi sanctionné Jean-Pierre Niragire (alias Gasasira) des RDF. 

Lire aussi: RDC : les motifs de sanctions de l’UE contre Gasasira, Byamungu, Makanika, Sematama, Karairi, Tokolonga,…

Selon l’UE, « le capitaine Jean-Pierre Niragire occupe la fonction dirigeante de commandant des forces spéciales des Forces de défense rwandaises déployées dans la région du Nord-Kivu de la RDC depuis mai 2022. »




L’UE ajoute : « L’objectif des actions militaires des Forces de défense rwandaises sur le territoire de la RDC est de renforcer le Mouvement du 23 mars/Armée révolutionnaire congolaise (M23/ARC), un groupe armé non gouvernemental opérant dans l’est de la RDC, notamment en lui fournissant des troupes et du matériel. »

Lire aussi: L’UE frappe fort en RDC: Makanika, Sematama, Karairi, Byamungu, ….sanctionnés !

Et l’UE formule des accusations graves et précises : «  Le M23/ARC appuie le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité en RDC et est responsable de graves atteintes aux droits de l’homme dans ce pays, en particulier en se livrant à des attaques contre des civils et les forces armées congolaises (FARDC), ainsi qu’à des assassinats, des tortures et des viols et en recourant au travail forcé, ayant entre autres commis une série d’assassinats visant des civils dans la ville de Kishishe le 29 novembre 2022. En tant que commandant des forces spéciales des Forces de défense rwandaises déployées dans la région du Nord-Kivu, Jean-Pierre Niragire est donc responsable du soutien apporté au groupe armé M23/ARC, qui entretient le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité en RDC, notamment en lui fournissant des troupes et du matériel. »




Qui sont ses supérieurs hiérarchiques ?

On ne peut que se réjouir de la confirmation par l’UE de l’intervention de l’armée rwandaise sur le territoire de la RDC, ce qui s’appelle en droit international une agression.

Peut-on dire pour autant, comme le font certains, que l’Union Européenne « tape fort », qu’elle « prend des actions pour marquer la rupture avec l’impunité », qu’elle formule «  un message fort et clair à l’endroit de ceux qui tuent, pillent et encouragent la violence en RDC. » Pas du tout.




Sanctionner Jean-Pierre Niragire (alias Gasasira) commandant des forces spéciales des RDF (Forces de défense rwandaises) déployées dans la région du Nord-Kivu est totalement insuffisant.

Le commandant Gasasira n’agit évidemment pas de sa propre initiative. Ce « capitaine » ne fait qu’obéir aux ordres qui lui sont donnés par ses supérieurs hiérarchiques. Et qui sont ses supérieurs hiérarchiques ? Le dernier rapport du groupe d’experts des Nations-Unies pointe du doigt le Général James Kabarebe, ancien Chef d’état-major général des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et actuel conseiller principal du Président rwandais Paul Kagame en matière sécuritaire. Il est en charge de la coordination depuis Kigali, de l’appui de l’armée rwandaise au M23.




Les experts de l’ONU notent que les officiers de l’armée rwandaise (RDF) qui participent à ces opérations d’appui du Rwanda au M23 depuis Kigali sont notamment, le Général de brigade Andrew Nyamvumba qui est le commandant des opérations au Congo, le Général Mubarak Muganga qui est le Chef d’état-major de la défense et Vincent Nyakarundi, Chef d’état-major général. Tout ce beau monde a lui aussi un supérieur hiérarchique : Paul Kagame, le chef de l’État rwandais.




Le capitaine Gasasira n’est qu’un « sous-fifre » (définition : personne située bas dans une hiérarchie, personne chargée de basse besogne … ). Il est incompréhensible et même inadmissible que l’UE sanctionne uniquement ce « subalterne » qui ne fait qu’exécuter les ordres qui descendent depuis le sommet de la chaine de commandement de l’armée rwandaise.

Crime et acte d’agression : définitions

Ces sanctions ne sont donc pas fortes. Au contraire, elles sont très faibles au regard de la gravité du crime commis par l’agresseur qui n’est sanctionné qu’à travers un sous-fifre, un subalterne et non à travers ceux qui portent la plus haute responsabilité dans ce crime d’agression.

Depuis 2010, à la suite de la Conférence de révision qui s’est tenue à Kampala, l’article 8 bis  a été ajouté au Statut de Rome : le « crime d’agression » s’entend de  « la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ».

Lire aussi: RDC : Kalev Mutond et Emmanuel Shadary, retirés de la liste des sanctions de l’UE

Selon le §2 du même article  « on entend par acte d’agression l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies ». Qu’il y ait ou non déclaration de guerre, les actes suivants sont des actes d’agression : L’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, (…) L’envoi par un État ou au nom d’un État de bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés qui exécutent contre un autre État des actes assimilables à ceux de forces armées d’une gravité égale à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours substantiel à de tels actes.

Au regard de ces définitions, la RDC est victime non pas d’un seul acte d’agression commis actuellement par la force armée d’un Etat (les Rwandese Defense Forces/RDF qui apportent un concours substantiel au M23) mais de multiples actes d’agression commis depuis presque 30 ans (l’Armée Patriotique Rwandaise/APR envahissant la RDC et apportant un concours substantiel en 1996 à l’AFDL, en 1998 au RCD-Goma, en 2004 au CNDP, en 2012 déjà au M23).

Une « accumulation de lâchetés et de renoncements »

La sanction de l’UE qui frappe uniquement le capitaine Jean-Pierre Niragire (alias Gasasira) commandant des forces spéciales des RDF déployées dans la région du Nord-Kivu est donc complètement « riquiqui » et totalement insuffisante. Elle devient même immorale et scandaleuse lorsqu’elle ne frappe pas la ou les personnes « effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État » et qui portent la plus haute responsabilité dans cette série de crimes d’agression. Pire, dans un tel contexte d’impunité, la mollesse de la sanction produit l’effet inverse de celui recherché : elle n’a aucun effet dissuasif sur les auteurs de ces actes d’agression au contraire elle contribue à les encourager à poursuivre leurs entreprises criminelles.

Lire aussi: RDC : Justin Bitakwira, Willy Ngoma, William Yakutumba… voici les 8 nouvelles personnes sanctionnées par l’UE

 A ce titre, la sanction riquiqui du Rwanda par l’UE est à ranger dans ce que deux journalistes du quotidien Le Monde, Jérôme Gautheret et Thomas Wieder, appellent une « accumulation de lâchetés et de renoncements ».

Dans un article passionnant consacré au procès de Nuremberg, au cheminement qui a conduit à ce procès inédit, étape décisive dans l’histoire de la justice pénale internationale, et à l’apparition dans les chefs d’accusation du « crime contre la paix », du « crime d’agression », ce crime qui « conduit à tous les autres », ils montrent comment une « accumulation de lâchetés et de renoncements conduisirent le monde à l’abîme en 1939 ». Alors qu’une nouvelle guerre ensanglante le continent européen, elle aussi déclenchée par un autocrate dont la politique expansionniste fut longtemps tolérée par les grandes démocraties, s’exprime la crainte qu’une nouvelle « accumulation de lâchetés et de renoncements » ne conduise à nouveau le monde à un autre abîme. Cela nous amène à exprimer une autre crainte et une autre question.  

Alors qu’une énième agression ensanglante la RDC et le continent africain, « elle aussi déclenchée par un autocrate dont la politique expansionniste fut longtemps tolérée par les grandes démocraties », l’ « accumulation de lâchetés et de renoncements » (de la part de l’Union Européenne, de la « communauté internationale », des Nations Unies, , etc.), n’est-elle pas une des causes principales de la répétition, depuis trois décennies, des crimes contre la paix et des crimes d’agression, qui conduisent à tous les autres crimes commis sur le territoire de la RDC depuis trois décennies : les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, voire même aussi les crimes de génocide.

Cet article du Monde nous aide à répondre à la question.

Cet article est une tribune du Collectif Mémorial RDC.
Share.

2 commentaires

  1. Pingback: RDC-UE : à Kinshasa, Didier Reynders évoque justice, sécurité et élection - La Prunelle RDC

  2. Pingback: Le Rwanda et l’UE signent un accord sur les minerais stratégiques - La Prunelle RDC

Leave A Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.