Au moins 5 heures, c’est le temps que les passagers du bateau Aganze 1 devraient attendre pour quitter dans une sorte de prison imposée par l’engin qui le transportait de Bukavu pour Goma. Le bateau naviguait entre vendredi et samedi et a été bloqué dans des roseaux près de Monvu à Idjwi. Des passagers accusent le capitaine d’avoir conduit en état d’ébriété et de s’être endormi.
Pour son business, le passager Ruhune quitte régulièrement Bukavu pour Goma. Et ce vendredi 29 septembre soir, il fait son choix. Il va tenter le coup avec le bateau Aganze 1 pour atteindre la ville volcanique. Tout semble normal jusque-là, parce que tous les rituels sont respectés et le bateau lève l’ancre.
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Le voyage est paisible sur le majestueux Lac Kivu reconnu pour sa douceur et ses paysages qui coupent le souffle. Mais c’était sans compter qu’après quelques heures de navigation, les choses tourneraient autrement.
Ruhune est assis calmement sirotant sa bière à côté de plusieurs autres clients déjà endormis et en attente de rejoindre Goma. Les uns doivent reprendre le voyage le même lendemain.
Mais peu après 23 heures, le bateau prend une autre direction et change de trajectoire. Personne ne s’imagine alors que le capitaine s’est endormi. Des témoignages rapportent qu’il sirotait également sa bière et qu’il se serait donc retrouvé en état d’ébriété.
Logiquement, l’engin va dans une direction qu’il a choisie et se retrouve coincé à quelques kilomètres de Monvu dans des roseaux et en plein sable ou en pleine boue.
Ruhune, comme d’autres passagers éveillés vont vite se rendre compte qu’ils sont bloqués et que le bateau ne peut plus bouger. Personne ne s’imaginera qu’il se réveillera sur la paisible île d’Idjwi au lieu de se retrouver à la destination finale.
Les cris de détresse s’amplifient pour les passagers, les coups de fil retentissent de partout pour alerter les familiers sur un éventuel danger. On ne sait jamais. La peur est à son comble.
« Et finalement on passera cinq heures dans cette peur. Vous ne pouvez pas imaginer comment nous avions la trouille de pouvoir perdre nos vies dans une situation totalement absurde. Chacun a appelé qui il pouvait appeler mais c’était aussi effrayant que ridicule », témoigne-t-il à LaPrunelleRDC.
Mais à partir de minuit, les passagers auront une lueur d’espoir. Le bateau Aganze 2 est arrivé par là. Lui, quittait Goma en direction de Bukavu. Ils n’avaient pas encore compris que la priorité n’étaient pas les passagers mais l’engin. Le bateau commencera des manœuvres pour tenter non pas de reprendre les passagers à bord de l’autre engin mais de sortir Aganze 1 dans les bourbiers.
Cette opération aura malheureusement duré plus de 5 heures et sans succès. Les manœuvres étaient tellement dangereuses et effrayantes pour les passagers que nombreux voyaient venir une catastrophe pour les deux engins qui tentaient de se tirer du gouffre.
Sprinter Nishuli, un autre passager était à bord de Aganze 2. Il raconte la situation :
« Nous sommes arrivés au lieu vers minuit et ensemble nous avons attaché des cordes au bateau, nous avons commencé à tirer le bateau qui est déjà coincé dans le sable et les roseaux se trouvant sur le rivage. Entre minuit et cinq heures du matin nous avons essayé de tirer le bateau mais ça n’a pas marché, les cordes étaient coupées. C’est à 5 heures du matin qu’il a été décidé de faire le transfert de passagers du bateau Aganze 1 à Aganze 2 qui se rendait à Bukavu. La majorité est montée et certains ont refusé d’abandonner les biens (marchandises) » explique-t-il, dépité.
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Ruhune est aussi parmi ceux qui décident de revenir sur Bukavu, cette fois vers 5 heures. Cet incident changera son itinéraire pour quelques temps jusqu’à ce que le bateau Mugote prenne le relai. Surement, contacté pour venir en aide à l’armateur de Aganze.
« Vers le matin, en parallèle de Kalambo que nous avons croisé le bateau Mugote qui a, à son tour, récupéré en premier lieu les passagers secourus se trouvant dans le bateau Aganze, qui passaient à travers des portes et fenêtres. En second lieu, je présume, qu’il est parti récupérer les passagers qui sont restés à Monvu pour les amener tous à leur destination, qui est Goma », a-t-il conclu.
Le passager Ruhune quittera donc d’un bateau à un autre après avoir retourné vers la destination initiale alors que Sprinter, lui est arrivé tardivement à Bukavu. En effet, Aganze 2 accostera vers peu après 10 heures à Bukavu au lieu de 6 heures d’habitude alors que les passagers qui étaient sur Aganze 1 n’attendront Goma que vers les après-midi de ce samedi. Ils devraient pourtant s’y retrouver le matin à 6 heures.
Les responsables de Aganze n’ont pas encore répondu aux différentes sollicitations de LaPrunelleRDC.CD.
Un lac paisible aux engins qui font peur ?
La situation de Aganze n’est pas un cas isolé. Des nombreux engins sur le lac Kivu connaissent des problèmes techniques sérieux et récurrents qui font craindre le pire.
Il y a quelques temps, le bateau « Emmanuel 3 » des célèbres Etablissements « Silimu », a défrayé la chronique avec des pannes en pleine navigation. Des moteurs qui s’éteignent et des promesses d’arrêt de navigation répétitives ont inquiété Bukavu et Goma ; les deux villes où les échanges sont intenses.
La situation sera donc réglée avec un nouveau moteur selon l’armateur.
En début août dernier, le bateau Karisimbi, lui, chavirera. Il posait aussi, depuis longtemps, des problèmes techniques.
Par chance, aucun passager ne périra mais des nombreuses marchandises seront englouties dans l’eau.
Quid du contrôle de l’Etat ?
Comme pour tous les incidents de Aganze 1, de « Emmanuel 3 », de Karisimbi ou encore des pirogues qui chavirent et qui tuent des centaines d’habitants, les services publics semblent absents et incapables d’imposer un contrôle rigoureux sur le Lac Kivu.
Les autorités politiques annoncent des mesures fracassantes dans le cas de chavirement de pirogues mais très peu suivies.
En effet, malgré la succession d’événements inquiétants, les dents du grand lion qui est l’Etat semblent déjà arrachées. L’Etat est d’ailleurs resté aphone pendant tous ces événements. Est-il incapable devant des puissants opérateurs économiques qui tiennent essentiellement le contrôle de la navigation sur le Lac Kivu ?
C’est en tout cas la question.
Y-a-il des mesures rigoureuses de contrôle pour se rassurer de la sécurité des passagers qui quittent Goma vers Bukavu et vice-versa ? Ceux qui conduisent ces bateaux sont-ils vraiment contrôlés et certifiés ? Le contrôle technique des engins est-il un « must » pour les armateurs ? Qui le fait et quand ?
Autant des questions qui doivent être abordées si on veut éviter des incidents sur le Lac Kivu. Des incidents qui peuvent être dramatiques si les mesures ne sont pas prises en amont.
En attendant, le Lac Kivu possède les engins dont la beauté ressemble bien à son magnifique paysage. Des chefs-d’œuvre, dit-on. Mais la question de la sécurité dans ces engins est capitale en ce moment et les passagers doivent être rassurés qu’ils peuvent quitter Bukavu et rejoindre Goma et vice-versa sans pouvoir crier au secours à chaque instant ! Leur bien-être mental en dépend aussi !