Intervenons-nous

Les exactions du M23, ainsi que la collaboration entre l’armée congolaise et des milices, attisent la violence ethnique dans le Nord-Kivu. Le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda a procédé à des exécutions sommaires et au recrutement forcé de civils dans l’est de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch (HRW) ce lundi 6 février 2023. En réponse à l’offensive du M23, l’armée congolaise collabore avec des milices à caractère ethnique responsables d’exactions.

Les parties belligérantes font de plus en plus appel aux loyautés ethniques, exposant les civils des zones reculées de la province du Nord-Kivu à un risque accru.

« Les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda dans le Nord-Kivu laissent dans leur sillage une série croissante de crimes de guerre contre les civils », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Le Rwanda devrait mettre fin à son soutien militaire au M23, tandis que les troupes gouvernementales congolaises devraient donner la priorité à la protection des civils et cesser de recourir à des milices responsables d’abus comme forces supplétives. »

Les enquêtes récentes du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RD Congo, ainsi que les recherches menées par Human Rights Watch, fournissent des preuves significatives –  photographiques et autres – que non seulement le Rwanda apporte un soutien logistique au M23, mais que les troupes rwandaises renforcent également le groupe armé ou se battent à ses côtés sur le territoire congolais. Le gouvernement rwandais a nié tout soutien aux rebelles du M23.

La reprise des hostilités entre le M23, l’armée congolaise et plusieurs autres groupes armés a contraint plus de 520 000 personnes à fuir leurs foyers, selon les Nations Unies. Cela a exacerbé une situation sécuritaire et humanitaire déjà catastrophique dans le Nord-Kivu et dans l’est de la RD Congo, plus largement. L’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières a mis en garde contre une catastrophe sanitaire potentielle, alors que le choléra se propage rapidement dans les camps de personnes déplacées en périphérie de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu.

Entre octobre 2022 et janvier 2023, Human Rights Watch a mené des entretiens en personne et par téléphone avec 51 survivants et témoins d’abus, ainsi qu’avec des membres des familles des victimes, des autorités locales, des activistes, des membres du personnel des Nations Unies, du personnel de sécurité, des membres de groupes armés, des journalistes et des diplomates étrangers.

Une femme de 38 ans a raconté qu’elle était chez elle, à Kishishe, avec son mari et leurs trois enfants le 29 novembre lorsqu’un groupe de combattants du M23 a défoncé la porte à coups de pied. « Ils ont pris mon mari et notre fils de force et les ont emmenés dehors ; ils m’ont dit : “Toi, maman, enferme-toi dans la maison, si tu sors on te tue !” », a-t-elle expliqué. « Alors j’ai fermé la porte derrière eux. Ils sont allés avec eux à quelques mètres et ils ont tirés sur eux, j’étais en train de regarder dans un trou [de la porte]. » Son mari a été grièvement blessé mais a survécu. Leur fils de 25 ans est décédé.

Human Rights Watch a constaté que le 29 novembre, les rebelles du M23 ont tué sommairement au moins 22 civils à Kishishe à la suite d’affrontements avec des factions du groupe Maï-Maï Mazembe, des Nyatura et des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Des informations fiables indiquent que les rebelles du M23 ont tué au moins 10 autres civils alors qu’ils recherchaient des membres des milices. D’autres rapports, émanant des Nations Unies et d’autres organisations, ont conclu que les combattants du M23 pourraient avoir tué illégalement beaucoup plus de personnes, y compris des combattants capturés.

Dans une déclaration du 3 décembre, le M23 a rejeté les allégations de meurtres et a déclaré que huit civils avaient été tués par des « balles perdues » pendant les combats.

À la fin de l’année 2022, alors que le M23 étendait son contrôle sur le territoire de Rutshuru et tentait de s’emparer de parties du territoire voisin de Masisi, plusieurs groupes armés, principalement organisés autour de l’appartenance ethnique, se sont déployés dans et autour de la ville rurale de Kitchanga, dans le Masisi.

En mai, le président congolais Félix Tshisekedi avait déclaré qu’il s’opposait à toute alliance entre les commandants militaires congolais et les groupes armés. Cependant, selon des sources sécuritaires, fin 2022, Kinshasa a envoyé deux officiers supérieurs de l’armée pour superviser les opérations militaires dans le Masisi – tous deux sont d’anciens chefs de milices hutues qui ont conservé des liens étroits avec des milices ethniques connues pour leurs exactions. Cela fait craindre de nouvelles attaques de représailles contre les civils des deux côtés, et des violences ethniques.

Le 16 décembre, le commandant rebelle Guidon Shimirai, qui fait toujours l’objet de sanctions onusiennes, a conduit ses combattants de la principale faction du groupe armé Nduma défense du Congo-Rénové (NDC-R) à Kitchanga à la suite d’une réunion avec les chefs d’autres milices et des officiers de l’armée. Bien que les autorités congolaises aient émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Guidon en 2019 pour recrutement d’enfants, insurrection et le crime contre l’humanité de viol, il a été filmé menant ses combattants dans l’une des principales artères de Kitchanga, aux côtés du colonel Salomon Tokolonga des forces armées congolaises.

Human Rights Watch a récemment documenté l’implication du colonel Tokolonga aux côtés d’une coalition de groupes armés congolais se faisant appeler la Coalition patriotique. Les officiers congolais qui soutiennent des groupes armés commettant des exactions peuvent être tenus pour responsables d’avoir contribué à des crimes de guerre, a déclaré Human Rights Watch. La RD Congo a l’obligation juridique internationale d’enquêter sur les crimes de guerre présumés commis sur son territoire et de traduire en justice les responsables de manière appropriée.

Des centaines de civils tutsis à Kitchanga et dans les villages alentours, souvent perçus par les membres d’autres communautés comme des partisans du M23, un groupe dirigé majoritairement par des Tutsis, ont fui par crainte de représailles de la part des milices qui utilisent une rhétorique de plus en plus hostile et menaçante à leur encontre. « Plus [les rebelles du M23] attaquent et plus ils avancent, plus nous sommes haïs par d’autres communautés qui nous assimilent à eux », a expliqué un chef de communauté tutsi dans le territoire de Masisi, qui, pour des raisons de sécurité, n’a pas souhaité que son nom soit mentionné. Le 26 janvier, les rebelles du M23 ont pris la ville de Kitchanga, poussant les civils issus d’autres communautés à fuir par crainte de représailles.

Le Rwanda soutient depuis longtemps le M23 et avait soutenu son prédécesseur, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Les efforts de médiation entre les présidents congolais et rwandais, menés par l’Union africaine (UA) sous les auspices de l’Angola, ont peu progressé. L’UA et ses pays membres devraient indiquer clairement au Rwanda, publiquement et en privé, que son soutien militaire continu au M23 pourrait impliquer le pays dans les abus commis par le M23 au titre de la responsabilité étatique, et que des responsables rwandais pourraient être reconnus complices des crimes de guerre du M23, a déclaré Human Rights Watch.

Le 15 décembre, le secrétaire d’État des États-Unis, Antony Blinken, a déclaré que le Rwanda devrait « user de son influence auprès du M23 pour l’encourager » à se replier et devrait aussi « rappeler » ses propres forces. La Belgique, la France, l’Allemagne et l’Union européenne ont également exhorté le Rwanda à cesser tout soutien au M23. Les États-Unis, l’UE, la France, le Royaume-Uni et d’autres pays devraient suspendre leur assistance militaire au Rwanda tant qu’il soutiendra le M23. L’UE devrait s’assurer que son assistance récemment allouée à la mission des forces de défense rwandaises dans le nord du Mozambique fait l’objet d’un suivi adéquat afin que l’UE ne contribue pas indirectement à des opérations militaires abusives dans l’est de la RD Congo.

Le conflit armé dans l’est de la RD Congo est soumis au droit international humanitaire, notamment à l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, qui interdit les exécutions sommaires, le travail et le recrutement forcés, ainsi que d’autres abus. Les violations graves des lois de la guerre commises avec une intention criminelle constituent des crimes de guerre. La responsabilité pénale peut également s’appliquer à des individus qui ont tenté de commettre un crime de guerre, ou qui ont soutenu, facilité ou aidé la commission d’un crime de guerre. Les commandants et les dirigeants civils peuvent également être poursuivis pour crimes de guerre au titre de la responsabilité de commandement lorsqu’ils avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de la commission de crimes de guerre et n’ont pas pris de mesures suffisantes pour les prévenir ou punir les responsables.

Les autorités congolaises devraient mener des enquêtes et juger de manière appropriée les crimes de guerre présumés, y compris les violences ethniques et notamment les représailles à l’encontre de la communauté tutsie. Les gouvernements devraient maintenir les sanctions contre les commandants supérieurs du M23 et les étendre aux commandants et responsables de toute la région impliqués dans de graves abus.

« Le soutien du gouvernement rwandais aux rebelles du M23, responsables d’abus, suscite des inquiétudes quant à de nouvelles violences ethniques dans l’est de la RD Congo », a affirmé Thomas Fessy. « Il faut de toute urgence accroitre la pression internationale afin que le Rwanda et la RD Congo prennent toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme aux exactions et garantir la protection des communautés menacées. »

Pour plus de précisions sur les abus commis par le M23 et sur les violences récentes, veuillez lire la suite.

Tueries à Kishishe

Le village de Kishishe se trouve dans la zone majoritairement hutue de la chefferie de Bwito, dans le nord-ouest du territoire de Rutshuru. Le Bwito abrite un quartier général sectoriel, connu sous le nom de Kazahoro, du groupe armé FDLR composé pour l’essentiel de Hutus rwandais, dont certains de ses leaders ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda, ainsi que leurs familles.

Après s’être emparés de Rutshuru-Centre et de Kiwanja à la fin du mois d’octobre, les rebelles du M23 ont avancé dans le Bwito en novembre, commettant des atrocités sur leur passage.

Les recherches de Human Rights Watch ont corroboré, entretiens avec des membres des familles et des témoins à l’appui, les noms de 22 civils sommairement tués par le M23 à Kishishe le 29 novembre, dont 20 hommes et deux adolescents. Human Rights Watch a identifié 10 autres civils tués ce jour-là, par le biais de sources secondaires.

Les habitants ont indiqué que les rebelles du M23 étaient entrés une première fois dans Kishishe le 23 novembre. Ils ont brièvement tenu le village après deux jours de combats contre les troupes gouvernementales, des factions de Nyatura et de FDLR des environs. Le 23 novembre, les combattants du M23 ont tué au moins sept civils à l’extérieur de Kishishe alors que ces derniers rentraient de leurs champs. Les combattants sont rapidement partis vers les zones voisines contrôlées par les FDLR et leurs alliés.

Plusieurs habitants ont confirmé que le 28 novembre, des combattants des Maï-Maï Mazembe, d’une faction Nyatura, et les FDLR sont entrés dans Kishishe. Certains des combattants étaient en tenue civile, et étaient principalement armés de machettes et de houes, même si certains avaient des armes à feu. « Les gens ont eu peur et beaucoup ont fui », a raconté un villageois. « Nous les avons suppliés de s’en aller de peur que les [rebelles du] M23 ne s’en prennent aux habitants », a expliqué un autre habitant. « Les gens ont commencé à fuir en disant que ces [combattants] venaient pour nous faire tuer parce qu’ils n’avaient pas la force de résister au M23. »

Tôt dans la matinée du 29 novembre, des rebelles du M23 en uniformes militaires équipés de gilets pare-balles et d’armes à feu, ont à nouveau avancé sur Kishishe et ont repoussé les miliciens pour s’emparer du village. Un chef Maï-Maï connu sous le nom de « Pondu » a été tué dans les combats. « Je sais que d’autres [miliciens] ont été tués, mais je n’ai pas le détail de combien », a ajouté le même habitant. « Ils ont exposé les gens parce que les [rebelles du] M23 ont taxé tous les jeunes garçons et les hommes de collaborer avec eux. » Une fois les combats terminés, les combattants du M23 ont fait du porte-à-porte à la recherche d’hommes qu’ils soupçonnaient d’être des combattants Maï-Maï ou des FDLR.

Un homme de 45 ans a raconté qu’il était caché sous un lit lorsque des rebelles du M23 sont entrés dans sa maison, ordonnant à tous les hommes de sortir. Deux autres villageois qui avaient trouvé refuge dans la maison sont sortis. « Ils ont demandé s’il y a d’autres hommes dans la maison, mais ma femme a dit que j’étais déjà parti », a continué cet homme. « Ils les ont abattus tous les deux, là dehors, devant la porte de ma maison. » Il a indiqué s’être ensuite échappé à travers la forêt et qu’il avait vu cinq corps dans sa fuite.

Un homme de 21 ans a expliqué que quatre rebelles du M23 l’ont enlevé chez lui lorsqu’ils sont arrivés à Kishishe pour la première fois le 23 novembre et l’ont forcé à transporter des approvisionnements et des munitions. Quand ils ont rejoint les autres combattants à l’extérieur du village, a-t-il poursuivi, il y avait environ 30 autres jeunes hommes qui avaient également été contraints de travailler comme porteurs.

Il a indiqué que les rebelles du M23 étaient revenus à Kishishe le 29 novembre pour affronter les miliciens qui s’y trouvaient. Après les combats, ceux qui avaient été recrutés de force ont été divisés en trois groupes pour enterrer les morts. « Le premier jour [le 29 novembre], nous avions enterré 18 personnes, dont mon père et mon frère », a-t-il raconté. « Nous les avons enterrés dans le même trou avec trois autres personnes que je ne connaissais pas. Il y a des gens que je connaissais de visage mais pas de nom, et d’autres que je ne connais même pas. »

Le jeune homme a indiqué qu’il avait vu au moins trois corps de combattants Maï-Maï avec des couteaux et une machette gisant à leurs côtés. Le 30 novembre, lui et d’autres ont enterré 11 hommes, 4 enfants et une femme qui avaient tous été abattus derrière l’église. « Nous n’avons creusé qu’un seul trou et nous les avons tous enterrés là », a-t-il expliqué.

Une femme de 30 ans a indiqué qu’elle et ses enfants avaient trouvé refuge chez son père lorsqu’ils ont commencé à entendre des coups de feu tôt le 29 novembre. Son père hébergeait six hommes et leurs femmes qui avaient fui les combats dans les environs la semaine précédente. Plus tard dans la matinée, des rebelles du M23 sont arrivés à la maison. Elle a raconté :

Ils étaient nombreux et j’avais très peur. Ils nous ont ordonné en criant d’ouvrir la porte. Je suis allée ouvrir et ils ont dit que tous les hommes qui sont dans cette maison sortent. Tous sont sortis dehors. Ils les ont tues en tirant sur eux, trois sont morts sur place. Ils ont fait comme s’ils partaient avec les trois autres et les ont tués aussi un peu plus loin.

Les autorités congolaises ont affirmé que près de 300 personnes avaient été tuées à Kishishe, tandis que la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo (MONUSCO) a déclaré que, d’après son enquête préliminaire, les rebelles du M23 avaient tué 131 civils.

Autres meurtres et abus commis par le M23

Ailleurs dans le territoire de Rutshuru, Human Rights Watch a confirmé les meurtres d’au moins 13 autres civils par le M23 en octobre et novembre.

Le 28 octobre, près de Rugari, des rebelles du M23 ont ouvert le feu sur un bus et deux motos transportant des civils qui fuyaient les combats. Une femme de 35 ans a raconté depuis son lit d’hôpital qu’elle et quatre de ses enfants étaient sur une moto, tandis que ses deux autres enfants étaient sur une autre moto. Elle a expliqué que sa fille de 17 ans avait été tuée et que son fils de 14 ans avait été blessé. Au moins deux autres enfants, âgés de 5 et 7 ans, ont été tués au cours de l’attaque.

Quatre hommes, âgés de 22 à 26 ans, ont déclaré que les rebelles du M23 les avaient forcés à transporter des approvisionnements et des munitions, à effectuer des corvées dans leurs camps militaires et à participer aux combats. Ils ont indiqué s’être retrouvés avec des dizaines d’autres jeunes qui avaient également été recrutés de force, dont certains avaient été amenés du Rwanda.

« Ils nous donnaient des coups de fouet et nous demandaient d’aller trouver les positions des [militaires congolais] », a expliqué un homme de 25 ans. « Nous étions sans souliers, ils nous tabassaient et nous laissaient sous la pluie. Cela faisait deux mois qu’ils m’avaient pris. » Il s’est échappé une nuit alors qu’il guettait les troupes gouvernementales.

Un homme de 26 ans a raconté :

Après un mois, ils nous ont emmenés à Chanzu [en RD Congo, près des frontières du Rwanda et de l’Ouganda]. J’ai constaté que c’est là où se trouve leur quartier général, parce que c’est là qu’ils organisent les combats et il y avait beaucoup de combattants – c’est vraiment un camp impressionnant. Tous les combattants passent par là, même les recrues aussi on les forme avant d’être envoyées sur le front. Un lot d’au moins cinquante jeunes est arrivé du Rwanda [alors que j’étais là-bas] ; ils avaient traversé par la forêt. Après une semaine de formation, on les a dotés d’armes et on les a envoyés combattre.

Le 21 novembre, des rebelles du M23 ont traversé Butare où ils ont forcé 10 hommes à transporter leurs biens, alors qu’ils se rendaient à Bambo, près de Kishishe. Le lendemain, les corps de sept d’entre eux ont été retrouvés à Mburamazi, juste à l’extérieur de Bambo. Le frère d’une victime a raconté : « Nous étions allés avec quatre autres familiers des victimes pour prendre les corps. Nous en avons enterré trois sur place. » Trois autres corps ont été découverts trois jours plus tard, selon des groupes de la société civile locale.

Le 26 novembre, des rebelles du M23 ont tué au moins trois civils quand ils ont ouvert le feu près du marché de Kisharo alors qu’ils poursuivaient des miliciens. Human Rights Watch a reçu des informations crédibles indiquant que trois autres civils ont également été tués par le M23.

Dans une déclaration envoyée à Human Rights Watch le 27 janvier, le porte-parole du M23, Lawrence Kanyuka, a rejeté les conclusions de Human Rights Watch et a démenti que le M23 avait exécuté des civils ou recruté des hommes de force pour combattre. Il a ajouté que le M23 peut « recourir aux civils pour transporter la nourriture des militaires », mais « moyennant payement tel que convenu ».

Coalition de milices et collaboration avec l’armée congolaise

La résurgence du groupe rebelle M23 depuis la fin de l’année 2021 a conduit plusieurs groupes armés congolais à former une coalition pour lutter contre « l’agresseur ». La plupart de ces milices sont organisées autour de l’appartenance ethnique, et certaines étaient auparavant rivales. Comme Human Rights Watch l’a récemment documenté, cette coalition, appelée la Coalition patriotique, a été créée à Pinga en mai 2022 et a combattu le M23 seule ou aux côtés des troupes congolaises jusqu’en août.

La plupart de ces milices sont progressivement retournées dans leurs bastions respectifs en août. Mais suite à l’offensive du M23 à la fin du mois d’octobre et son avancée dans la chefferie de Bwito et dans le territoire de Masisi en novembre, la coalition a refait surface. Elle a joué un rôle de premier plan sur la ligne de front avec le soutien manifeste de certains officiers supérieurs de l’armée congolaise.

Les groupes armés comprennent l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS) dirigée par Janvier Karairi ; les Nyatura de la Coalition des mouvements pour le changement (CMC/FDP) dirigée par Dominique « Domi » Ndaruhuste ; la faction Nduma défense du Congo-Rénové (NDC-R) de Guidon ; et les Nyatura Abazungu de l’Alliance des nationalistes congolais pour la défense des droits humains (ANCDH/AFDP) dirigée par Jean-Marie Bonane.

Ces groupes armés ont été impliqués dans de graves violations des droits humains dans leurs bastions. Human Rights Watch a précédemment documenté des abus généralisés commis par des forces commandées par Guidon, le chef du NDC-R, qui reste sous le coup de sanctions onusiennes.

Certaines de ces milices, notamment les factions Nyatura et l’APCLS, ont souvent lutté aux côtés des combattants des FDLR.

Plusieurs sources sécuritaires, dont un officier de haut rang de l’armée, ont indiqué à Human Rights Watch que le gouvernement congolais avait déployé les généraux Janvier Mayanga Wabishuba et Hassan Mugabo pour superviser les opérations militaires dans le territoire de Masisi. Selon un rapport du Groupe d’experts des Nations Unies de 2008, le général Mayanga avait contribué à la mise en place de la Coalition de la résistance patriotique congolaise (PARECO) début 2007 et à acheminer armes et munitions au groupe armé.

La PARECO a été impliquée dans le viol de femmes et de filles, dans le meurtre de civils qui s’opposaient à ses activités ou qu’elle accusait de collaborer avec ses ennemis, et dans l’attaque de villages pour s’emparer de bétail, de chèvres et d’autres biens. Le général Mayanga a maintenu des contacts avec la PARECO et les FDLR pendant que l’armée congolaise combattait le prédécesseur du M23, le CNDP, de 2006 à 2009. Le général Mugabo était l’un des membres fondateurs de la PARECO et son commandant adjoint.

Le 10 décembre, le général Mayanga et le général Mugabo ont rencontré certains des chefs de la Coalition patriotique à l’hôtel Nyarusumba à Kitchanga. Deux témoins ont confirmé qu’une deuxième réunion à laquelle ont participé des officiers de l’armée congolaise et des chefs de groupes armés s’est tenue à l’hôtel Nyarusumba le 11 décembre. On ignore si le colonel Tokolonga a participé à ces réunions, mais il est apparu dans une vidéo datée du 16 décembre aux côtés de Guidon et Deo Bafosse, respectivement leader et chef d’état-major du NDC-R, entrain de marcher à Kitchanga.

Human Rights Watch a reçu des informations crédibles selon lesquelles d’autres réunions ont eu lieu en janvier, apparemment pour coordonner les opérations contre le M23 à Masisi. Trois sources sécuritaires, deux combattants des Nyatura Abazungu et un combattant de l’APCLS, ont expliqué que même si les milices combattaient seules sur la ligne de front, elles recevaient parfois des munitions et des vivres de la part d’officiers de l’armée congolaise.

« [La situation] prend une dimension ethnique dans le Bwito et le Masisi – ça s’empire », a déclaré un officier supérieur de l’armée. « Le Rwanda a mis l’huile sur le feu en armant le M23, mais maintenant venir prendre encore des groupes [armés], c’est ajouter encore de l’huile – c’est une situation d’enlisement. »

Depuis octobre, les factions des Nyatura et des FDLR sont responsables d’enlèvements contre rançon, de violences sexuelles et de meurtres dans les zones sous leur contrôle, selon le Baromètre sécuritaire du Kivu, qui répertorie les violences dans la région.

La plupart des groupes armés de la Coalition patriotique ont pris part à la troisième phase de pourparlers inter-congolais à Nairobi, au Kenya, entre fin novembre et début décembre, et ont accepté de se démobiliser. L’utilisation par le gouvernement congolais de ces groupes armés comme forces supplétives entrave sérieusement les efforts nationaux et régionaux – jusqu’à présent infructueux – visant à démobiliser les combattants et les milices responsables d’abus, a souligné Human Rights Watch.

Le 5 février 2023, le ministre de la Communication et des médias, et porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, a indiqué à Human Rights Watch qu’il « n’exist[ait] pas de collaboration entre l’armée et les milices d’auto-défense. »  Il a expliqué : « Cela serait contre-productif et ne pourrait qu’exacerber les tensions et compliquer la situation. Il peut y avoir, en revanche, des situations de combats où nos forces peuvent avoir les mêmes ennemis que les milices. Il faut faire la différence entre une collaboration qui peut être systématique et des faits isolés car ce ne sont pas des choses qui sont tolérées ou qui peuvent être acceptables. »  

Abus à l’encontre de la communauté tutsie

La reprise des opérations militaires par le M23, accompagnée d’exactions, a attisé la haine ethnique contre la communauté tutsie, que de nombreux Congolais du Nord-Kivu considèrent comme des partisans du groupe armé, dont le leadership est à majorité tutsi. Human Rights Watch a documenté plusieurs cas dans lesquels des personnes issues de la communauté tutsie ou simplement perçues comme étant des Tutsis ou des Rwandais ont fait l’objet d’hostilité, de menaces et d’attaques de la part de milices ethniques et des communautés qu’elles prétendent représenter.

Le 28 novembre, Janvier Karairi, le chef de l’APCLS, s’est rendu à Kitchanga. Des vidéos de son arrivée montrent la foule qui escorte son convoi à travers le centre-ville en scandant des slogans. Parmi les slogans entendus, des propos hostiles à la communauté tutsie ont été répétés, tels que « Janvier est rentré chez lui, les batutsis rentrez chez vous ! ».

Dans les jours qui ont suivi, des groupes d’habitants hostiles ont menacé des familles tutsies et, dans certains cas, ont jeté des pierres sur leurs maisons. Les habitants ont également attaqué du bétail appartenant à des fermiers tutsis, blessant ou tuant nombre de vaches.

Le 25 novembre, une foule a lapidé à mort un homme tutsi accusé d’espionnage pour le compte du M23 à Kitchanga. Deux témoins ont confirmé la présence de l’armée congolaise, qui n’est pas intervenue. Le 1er janvier, un homme armé non identifié a tué un résident tutsi à Kilolirwe-Nturo dans le territoire de Masisi, à quelques centaines de mètres d’une position de l’armée congolaise et d’une position d’une faction des Nyatura. Le 4 janvier, juste à l’extérieur de Kitchanga, des combattants de l’APCLS ont tué deux hommes tutsis, qu’ils accusaient de collaborer avec le M23.

Une source judiciaire militaire de haut rang a indiqué à Human Rights Watch qu’au cours des derniers mois de l’année 2022, les troupes gouvernementales avaient arrêté des dizaines de villageois perçus comme étant des Tutsis ou des Rwandais et les avaient accusés de collaborer avec les rebelles du M23. « On craint des délits de faciès », a expliqué la source. « Ces gens sont des bouviers ou des cultivateurs… Il suffit d’être sans pièce d’identité pour être accusé d’être en connivence avec le M23. » Des dizaines de personnes sont toujours détenues à la prison centrale de Goma, accusées notamment de « recrutement » illégal ou d’être « infiltrées ».

Le gouvernement congolais a condamné à plusieurs reprises les discours de haine et les violences contre les communautés ethniques. Toutefois, la plupart des violations visant des groupes ethniques dans le Nord-Kivu n’ont fait l’objet d’aucune enquête ni poursuite.

L’administration du président Félix Tshisekedi devrait remédier à la discrimination historique, aux conflits fonciers et coutumiers, et veiller à ce que justice soit rendue pour les abus du passé, a déclaré Human Rights Watch.

Human Rights Watch

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