Intervenons-nous

    Eh oui, cher Kamerhe, apprenez donc des événements de cette vie fugace cette sagesse de F. ponsard:  » Heureux, tu compteras  des amitiés sans nombre, mais adieu les amis , si le temps devient sombre ». Et cette autre, que le temps des malheurs écarte les faux amis et confirme les vrais!

    Nous sommes au mois dédié à la femme. J’ai été très attentif aux réactions de ces populations, surtout nos mères et grands-mères,  que tu as drainées , bravant risques , périls et intempéries ,en fin 2018 , lorsque tu arrachais massivement des voix pour ton allié ,  formant ainsi  avec lui une solidarité fraternelle et amicale que ,sympathiquement,  l’on appelait :le FatshiVit .

     Tu es Mushi et tu connais bien la réaction d’une mère dont le fils est trahi et maltraité. Voyant tes collègues fêter avec pompe , un décor très bavant et alléchant (tu me diras mais comment elles ont vu, si vieilles? Je te répondrai: de même que leurs fils et petits fils les convainquirent à obéir à ton invitation de campagne pour voter ton candidat, de même ils ont tendu leurs téléphones remplis d’images luxueuses à leurs grands-mères en pleurs), des octogénaires ont lâché des paroles émouvantes :

      » Rhwákánjire bámira yajewé! »(quel malheur, nous avons mâché, les autres ont avalé ),  » Enjira erhabwira mugenzi weee,  rhwarhebirwe,  weeee! » (quand on se met en route, on ne pense jamais au danger à rencontrer , nous avons été trompées , hélas!),  » Yajowe,  ecihango cirhaciyirha weee, ala oku ba bâbwá n’owabo abolera omu mpamikwa weeee! »(le serment ne tue plus, voyez comme ils jubilent quand leur collègue croupit dans la misère!),  » Bwâcá, owáciburhá arhajácira mugikûlu »(Un jour  viendra! Une jeune dame qui espère encore une naissance n’injurie jamais  une grand-mère ni ne s’en moque »….

    On en a entendu à remplir un livre d’écrits , et un fût de larmes! Tout cela à cause de ta souffrance et de ton l’humiliation .

    Tu le sais bien, cher Vital, et maman Alphonsine ta mère,  que le Président Fatshi appelait tendrement  » Koko »(je ne sais pas s’il le dit encore), cette catégorie vulnérable m’est très proche comme. Étant en pleine montée vers Pâques , bientôt la Semaine Sainte, j’ai fait miens les larmes , les cris ,les gémissements et les  murmures de nos vieilles mères qui vous chérissaient en 2018 à deux, Fatshi et toi (VK par  sympathie).

    Une grand -mère apercevant les autres femmes  en assemblée festive m’a dit:  » Ci ntabwini Múká Kamerhe aligi n’ababo bagoli n’obwo nabwine balabûka boshi na ba Nnahamwabo lulya lusiku? »( Mais ,je n’aperçois pas là  l’épouse de Kamerhe alors qu’en 2018 on a vu ces belles dames en pleine harmonie avec leurs maris?)  .

    J’ai répondu :  » Il y a quelques jours , Kamerhe lui-même félicitait son épouse Hamida Kamerhe Chatur pour sa présence vicariale à ses côtés et parce qu’elle est devenue prisonnière,  elle aussi , avec lui ». Les pauvres ont mal compris  » prisonnière avec lui ».

    Je pensais, en effet,   m’être fait comprendre , alors que je suscitais de plus bel des cris et des larmes:  » Bámarhûtwá ámabêré kabirhi weeeee, nyama naye omu mpamikwa? »(malheur, nous sommes doublement amputées des seins:  notre maman aussi en prison? ». C’est alors que j’expliquais ce que signifie ta parole: « prisonnière avec moi »…
    Laissons nos grands-mères continuer à broyer l’amertume aux entrailles.  Parlons du  » Libérez Barabbas ». Bientôt le dimanche des Rameaux et la Semaine Sainte.  Tu comprendras mieux à la lumière des Écritures ton sort aiguisé par la méchanceté et la haine des hommes .

     J’y reviens parce qu’une vieille , assez informée,  m’a demandé si tu es bien le malfaiteur du siècle, ayant commis des crimes odieux  qu’elle a décrits. Elle a évoqué des cas d’acquittement et rappelé,  en souriant , des cas qui, pour leur issue heureuse, furent déclarés par des médecins « cas de folie « , laquelle folie ne s’est plus jamais manifestée une fois sortie de la petite détention. Et elle ajoutait:  » Kusiga omugôzi gunafûmye isirhe?, bayengeha wa nka báciza benewabo »( C’est donc vrai que la détention peut guérir la folie-si folie il y avait-? Ils ont toutes sortes d’astuces pour libérer les leurs!).

    Alors j’ai pensé à ce cri injuste  qui traverse des siècles et loin de s’éteindre:  » Libérez Barabbas »! Et c’est pour Jésus, que la foule a réclamé la mort en échange d’un brigand ,bien coupable pourtant  et reconnu tel:  » Libérez Barabbas? ».

     Je pense souvent au déferlement des témoins préfabriqués le jour de ton procès , tous ces esprits préparés à demander ta condamnation et cet avocat qui, à bout d’arguments, la haine seule bouillant en lui lâcha :  » tu n’ échapperas  pas! », et ces Juges qui, sans trop y croire et piétinant malicieusement la doctrine , t’ont conduit au lieu du supplice!

     » Libérez Barabbas! »

    ll fut arrêté l’homme de Nazareth! Les siens ont fui . Tous l’ont abandonné,au moment où il avait le plus besoin d’eux, pour apaiser la douleur qui va l’accabler. Ici plus d’intérêts peut-etre à gagner , les espoirs sont déçus et noyés . N’oublie jamais,  Vital , que Jésus resta dans une solitude poignante et en lui seul Dieu reconnut la fidélité la plus parfaite.

    Cher Vital, tu es comme moi un pauvre pécheur que l’amour de Dieu libère à chaque instant . Tu l’as dit un jour:  » en tant qu’homme d’État, j’accepte ce qui va être dit ». En effet,  » A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse, seul le silence est grand, le reste est faiblesse »( Alfred de Vigny, La mort du loup). Tu n’es pas rejeté , Vital! Et si tu es  rejeté des tiens pour des égos politico- économiques et pour la gloriole, Dieu lui ne te rejette pas car ,  » Il ne rejette personne »(Jn 6,37).  Pour Dieu, pas d’exclus . Tu as du prix à ses yeux. Prends courage et espère en Lui.

    Permets -moi, par ailleurs,  cette considération peu gentille , cher Vital: une vieille mère a fait un constat : l’absence de ta femme où l’on mange, danse et se réjouit! Toi-même tu as certes bavé et tu baves , comme bien de Congolais dans la misère, quand de ta cellule de douleur,  tu vois tes collègues ivres de gloire, d’honneur , d’aises et de plaisirs, ….

    Tu n’oublieras pourtant jamais cette présence discrète à tes côtés qui te fais croire en la vie, cette belle poésie qui te fait sourire dans la douleur,  cette main qui, tendrement,  taille ta barbe blanchie par la souffrance et l’humiliation, pendant que d’autres mains noires ,assez sorcières, t’arrachent toute dignité et creusent lâchement  ta tombe! Que Dieu les pardonne et bénisse abondamment cette belle mélodie à tes côtés que nos grands mères appellent  » Nyama »(ma mère), car elle veille délicatement sur le fruit précieux de leurs entrailles.

    Tu as fêté ton anniversaire dans les larmes des tiens , bientôt tu fêtes  une année en prison!

    On ne sort pas des mois de souffrance atroce et d’humiliation de la prison , de la maladie et de l’acharnement , comme on sort d’un cauchemar au petit matin pour un nouveau jour! Non, la prison détruit, use et ternit. Que Dieu te relève de toute usure pour sa gloire et le bonheur du peuple congolais!

     Pense désormais aux coups, aux injures blessantes, aux témoignages lâches , aux humiliations et aux crachats qu’ essuya le Fils de l’homme. Apprends, mon frère, à lever les yeux vers la croix et ne cesse d’imiter le Divin Sauveur en sa plus heure:  » Père, pardonne-leur,car  ils ne savent pas ce qu’ils font »(Lc 23,34).

    L’ultime semaine de Carême offrira, certes, à pleurer aux tiens en pensant à toi mais aussi à toi-même, en pensant à l’ingratitude et à l’indescriptible humiliation , qui ont récompensé, on dirait,  ta fatigue et ta sueur pour le Congo.

    J’aime cet épisode: peu avant la crucifixion de Jésus , devant le gouverneur romain Pilate, qui représentait une dernière chance(en effet, il faut que l’autorité romaine ratifie les décisions du Sanhédrin pour l’exécution),  Pilate , qui pourtant était plus objectif pour connaitre les torts de l’accusé, garde une attitude lâche .

     Il avait pourtant découvert la jalousie des prêtres et leur antipathie vis à vis de Jésus. Il voulut contenter la foule qui lui criait: « libérez Barabbas », et donc livrez-nous la victime expiatoire, Jésus. Chez Pilate, l’ironie est aiguë . Jésus n’est plus  » le Fils de Dieu  » mais  » le Roi des juifs ». Lis ça bien Vital Kamerhe!

    Puisse le Divin crucifié lever des voix pour tant d’hommes qui souffrent l’injustice et l’isolement. Et dans notre Pays qui tarde à décoller, que l’attitude des dirigeants  et de la nouvelle classe politique  face à ta situation  , ne soit pas celle de Judas, de Pierre, ni de Pilate ni celle de ceux qui regardent de loin comment va finir l’histoire du procès de 100 jours, ni celle de ceux qui se battent pour qu’elle n’aboutisse jamais.

    Que le Dieu de bonté suscite ,pour ton acquittement , un Simon de Cyrène qui t’aide à porter ta croix , des Juges et des  politiciens sérieux et honnêtes qui, comme les saintes femmes pour Jésus , vont t’accompagner dans l’action et parfois aussi dans le  silence et le recueillement.

    Paix à notre Pays,

    Paix aux hommes de bien, Paix , délivrance,  bonne santé et abondantes bénédictions divines  à toi, Pacificateur.

    Abbé Kabazane Nsibula Jean -Baptiste

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