Depuis le 2 novembre, la classe politique congolaise se livre à son exercice favori : les consultations autrement dit la palabre. Désireux d’élargir sa marge de manœuvre face à son prédécesseur et néanmoins allié Joseph Kabila et reniant dans les faits l’accord qui l’avait mené la présidence à l’issue des élections de décembre 2019, Félix Tshisekedi, (RDC) s’est lancé dans le « grand jeu ».
Députés appartenant à des partis ne participant pas à la coalition CACH (Cap pour le Changement), transfuges potentiels ou opposants déclarés, anciens candidats à la présidence comme Moïse Katumbi l’ancien Gouverneur du Katanga ou Jean Pierre Bemba toujours très écouté dans l’Equateur, tout le monde défile, y compris les gouverneurs de province, des représentants de la société civile, des ecclésiastiques comme le cardinal Fridolin Ambongo, d’éminentes personnalités comme le Docteur Mukwege.
Le chef de l’Etat écoute les doléances et les propositions des uns et des autres mais surtout, il tente de mettre sur pied une majorité alternative, qui, au terme de débauchages monnayés ou de promesses d’ordre politique, lui permettrait sinon de se passer de son allié initial, du moins d’élargir sa marge de manœuvre et de l’emporter dans plusieurs différends, qu’il s’agisse de la Cour Constitutionnelle, de la nouvelle direction de la Commission électorale indépendante, de la nomination d’un nouveau Premier Ministre…
Ce «putsch pacifique», c’est-à-dire le reniement d’un accord conclu, visiblement encouragé par l’ambassadeur des Etats-Unis jouant un rôle de proconsul (du temps de Donald Trump…) se heurte cependant à de sérieux obstacles : la majorité de la plateforme FCC (Front commun pour le Congo) soutenant Joseph Kabila, avec ses 300 élus, s’avère difficile à éroder. Même s’il observe un lourd silence, celui que l’on appelle « le fermier barbu de Kingakati » c’est-à-dire l’ancien président reconverti en « gentlemen farmer », ne reste pas inactif : non seulement il tente de dissuader des défections au sein de ses partisans mais ses émissaires se sont adressés aux pays africains, dont l’Afrique du Sud et l’Egypte qui avaient parrainé l’accord de paix, à la représentante de l’ONU à Kinshasa, Mme Leila Zerroughi.
Cette dernière avait désamorcé la crise postélectorale en janvier 2019, ce qui avait pris de court ceux qui, en Europe et même en Belgique, avaient parrainé Martin Fayulu, opposant radical à Joseph Kabila et présenté comme vainqueur par les observateurs de l’Eglise catholique, qui cependant ne produisirent jamais leurs rapports…
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En outre, l’armée, régulièrement appelée à prendre parti a clairement balayé les appels à la révolte émis par certains protagonistes, faisant savoir, lors d’une conférence de presse, que les militaires devaient soumission et loyauté aux institutions légalement établies et qu’ils disposaient des moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
Défendant sa politique de lutte contre la corruption, Félix Tshisekedi est aussi visé par des critiques directes : le niveau de dépenses de la présidence a dépassé de 1400% le budget prévu (du jamais vu au Congo, ce qui n’est pas peu dire), il apparaît que les accusations ayant mené en prison pour vingt ans Vital Kamerhe, directeur de cabinet, allié et futur rival de Tshisekedi sont moins fondées qu’on ne l’a dit, car les maisons préfabriquées qu’il avait commandé à la Tanzanie et à l’Egypte ont bel et bien été acheminées au Congo. Et si elles n’ont pas été livrées c’est parce que l’Etat n’aurait pas payé les droits de douane !
Autrement dit, la Blitzkrieg de Tshisekedi s’avère moins foudroyante que prévu et au vu du rapport des forces, le « principe de réalité » pourrait l’emporter : de nouvelles élections s’avérant trop coûteuses, une rencontre au sommet entre Kabila et Tshisekedi serait imminente, menant à une renégociation des termes de l’accord initial et un rééquilibrage des forces, le terme « gentlemen’s agreement » ne faisant plus partie du vocabulaire…
Avec Colette Braeckman/blog.lesoir.be