Intervenons-nous

Dans cette Tribune, Barnabé Kikaya Bin Karubi, ancien Ministre et proche de Kabila, estime que tous les choix opérés par Félix Tshisekedi en matière politique, diplomatique et sécuritaire, se révèlent jusqu’ici « négatifs ».

Situation sécuritaire à l’Est : Félix Tshisekedi victime de ses mauvais choix !

Pour des raisons politiciennes, Félix Tshisekedi et l’UDPS ont de tout temps cherché à inculquer dans l’opinion l’argument selon lequel l’insécurité à l’Est remonte à l’avènement de l’Afdl. Pourtant, des faits indéniables font remonter cette situation aux premières années de l’indépendance. Isidore Ndaywel et Elikya Mbokolo ne le contesteront jamais. En préférant la voie politicienne à la voie politique, les opposants des 37 ans devenus gouvernants depuis 3 ans et demi se battent aujourd’hui contre du vent, ne sachant finalement qui convaincre, comment et par quoi…

Comme pour tromper l’histoire, ils en appellent aujourd’hui à la solidarité nationale pendant qu’à l’époque où ils excellaient dans l’opposition, la moindre tuerie, le moindre pillage survenu dans une localité ou une ville de l’Est était carrément imputé à Laurent-Désiré Kabila entre 1997 et 2001, et à Joseph Kabila de 2001 même à ce jour.

En témoigne, ce tweet du 30 octobre 2017 de Félix Tshisekedi en réaction à une tuerie : « Un massacre. Un de plus à verser au bilan de la kabilie. Jusqu’à qd le monde civilisé tolérera-t-il cette barbarie ? Levons-ns ts pour Goma ».

Opposants, ils se réjouissaient de voir le régime du M’zee et celui du Raïs mis en difficulté par le Rwanda de Paul Kagame et l’Ouganda de Yowerie Museveni. Toutes leurs prises de position condamnaient Kinshasa face à Kigali et à Kampala. Ils se comportaient comme s’ils avaient la baguette magique pour restaurer en deux temps trois mouvements la sécurité dans la sous-région des Grands Lacs une fois aux affaires.

Et une fois effectivement aux affaires, ils vont faire fi de tous les engagements pris sous le régime Joseph Kabila en 2002 au travers des accords de Luanda (RDC-Rwanda) et de Pretoria (RDC-Ouganda), de même au travers des déclarations signées à Nairobi entre la RDC et le M23 dans le cadre du processus de Kampala (CIRGL), au lendemain de l’écrasement par les Fardc de cette organisation insurrectionnelle.

Museveni et Kagame, mes amis, mes frères

Le premier choix négatif de Félix Tshisekedi est de croire les régimes de l’Ouganda et du Rwanda développer des attitudes positives envers la RDC. Ces régimes – à moins pour les Congolais d’être naïfs – sont conscients d’avoir échoué dans la mission première leur confiée par leurs parrains : le démembrement du Congo démocratique.

C’était déjà le cas pendant la guerre de l’Afdl. Laurent-Désiré Kabila avait déjoué ce plan en se proclamant Président de la République. La guerre du 2 août 1998, commencée avec le RCD soutenu par le Rwanda puis relayée par le MLC soutenu par l’Ouganda s’insérait dans cet agenda. Après la guerre de Kisangani entre les deux armées rwandaise et ougandaise, il s’est observé une sorte de répartition des tâches entre Kampala et Kigali.

L’Ouganda s’est engagé dans la voie du rapprochement de la RDC pendant que le Rwanda est resté dans la logique de la confrontation par groupes armés interposés. D’où le CNDP en 2009 et le M23 en 2012. L’échec de l’un et de l’autre va amener Kigali à emboîter le pas à Kampala. Au moins, la constante sera la même : quand les armées ougandaises et rwandaises n’opèrent pas directement sur le territoire congolais, les groupes armés ougandais (LRA, ADF, Nalu) et rwandais (FDLR) font à leur place la sale besogne de ne tuer et de ne piller que les populations civiles congolaises.

Depuis deux décennies, l’Ouganda et le Rwanda – qui ont une frontière commune avec la RDC par les provinces du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et de l’Ituri – sont rarement attaqués par leurs rebelles respectifs qui évoluent dans la configuration géographique et environnementale commune aux trois pays. Ce qui revient à dire que si les Adf-Nalu et les Fdlr peuvent évoluer à l’aise en territoire congolais du fait d’en maîtriser la position des forêts, des rivières, des collines, des villages, des routes etc., c’est qu’ils peuvent évoluer aussi à l’aise en territoires ougandais et rwandais ayant les mêmes forêts, rivières, collines, villages, routes etc. Dès lors qu’ils se limitent à la RDC et s’en prennent aux Congolais, c’est qu’ils le font par procuration. C’est la seule explication raisonnable.     

Autoriser à partir de ce moment les armées ougandaises et rwandaises de rentrer en RDC pour combattre leurs mouvements rebelles dont la singularité est d’entretenir l’insécurité sur le territoire congolais pendant qu’ils n’affectent pas la sécurité de leurs pays d’appartenance est une grosse escroquerie.

La preuve est que, saluée chaleureusement par le régime Tshisekedi, la mutualisation des forces armées de la RDC et de l’Ouganda pour neutraliser les Adf-Nalu n’a produit aucun résultat palpable. Les Adf-Nalu sont toujours là, et même requinquées. C’est comme si l’opération menée n’aura servi qu’à les « ravitailler ».

Armées Ougandaise et Rwandaise

Sans qu’elle n’ait été débattue en conseil des ministres, ni soumise à la sanction du Parlement, l’initiative de permettre aux forces armées d’abord rwandaises (après l’assassinat de l’ambassadeur d’Italie Luca Attanasio le 22 février 2021), ensuite ougandaises le 29 novembre 2021, est de la responsabilité individuelle de Félix Tshisekedi. Tout comme celle de juin 2021 de laisser l’Ouganda construire des routes en RDC comme son pays n’avait pas de ressources en propres pour le faire. C’est le deuxième choix négatif.

C’est comme si, sous la Guerre froide, l’Allemagne fédérale se mettait à construire des routes en Allemagne de l’Est. Ou la Corée du Nord construit aujourd’hui un chemin de fer en Corée du Sud ! Dans l’histoire moderne, on ne connaît pas deux pays en état de belligérance avérée qui en soient arrivés là au nom de la réconciliation. 

S’il est vrai que c’est pour faciliter des échanges économiques et commerciaux entre l’Ouganda et la RDC, qu’est-ce qui assure Kinshasa que ces routes ne faciliteront pas, si jamais les circonstances s’y prêtaient, l’acheminement des troupes et des armes ? Après tout, l’Ouganda et le Rwanda ne se sentiront à l’aise que lorsque la mission leur assignée sera exécutée.

Pas étonnant d’entendre le général Muhoozi Kainegurba, fils aîné du président Yoweri Museveni préparé certainement pour la succession, déclarer récemment la mutualisation des forces ougandaises et rwandaises (Fardc exclues) pour traquer les Adf et les Fdlr. « Après avoir terminé avec les ADF, nous nous concentrerons sur les Interahamwe dans l’Est de la RDC (…) Nous allons gagner cette dernière opération ». Il y a toutefois mieux, car après, dit-il, il attend l’appel du président congolais. « Je formerai ma nouvelle armée en RDC pour qu’elle soit la plus grande d’Afrique. Puisque nous sommes tous maintenant dans l’EAC. J’ai juste besoin d’une invitation de mon président, Tshisekedi », rapporte Politico.cd dans sa dépêche du 28 mai dernier.

En l’espèce, on va devoir noter et rappeler que Félix Tshisekedi est seul à connaître le contenu de ces accords.

Entre-temps, dans les faits, on sait qu’au travers de ces accords, la Société aurifère du Kivu et du Maniema (Sakima), a été obligée de fournir à la firme rwandaise Dither LTD, à l’état brut l’or extrait du sous-sol congolais. « Il y aura complémentarité entre les deux sociétés qui vont donc contrôler la chaîne des valeurs à partir de l’extraction par la société congolaise Sakima et le raffinage par la firme rwandaise Dither SA ». Il paraît que c’est pour empêcher les groupes armés de tirer des revenus de l’exploitation artisanale et éviter en même temps l’évasion fiscale.

D’ici au 27 juin 2022, l’accord signé à cet effet – jamais publié par le ministère des Mines ni par l’ITIE (les ONG spécialisées en la matière sont soudain muettes) – aura une année d’existence.

Dans la foulée des mesures prises à l’encontre du Rwanda par rapport à la nouvelle aventure du M23, le Pouvoir Tshisekedi a oublié de le dénoncer alors que c’est avec fracas qu’il annonce la suspension des activités de Rwandair.  

La Communauté des Etats d’Afrique de l’Est

Cependant, le choix le plus catastrophique est celui de retirer de la Sadc le dossier « SECURITE RDC » au profit de l’Eac, organisation dont l’adhésion par la RDC n’est pourtant pas officialisée en ce que la ratification n’est pas encore adoptée au parlement.

Or, depuis 1998 (début de la guerre du 2 août enclenchée par le Rwanda avec le Rcd suivie par l’Ouganda avec le Mlc), la RDC a pour principal partenaire sous-régional fiable la Sadc en termes de soutien diplomatique et militaire.

En 1998, grâce aux troupes angolaises, namibiennes et zimbabwéennes le Congo a pu résister à l’agression rwando-ougandaise. En 2013, grâce aux troupes malawites, sud-africaines et tanzaniennes les FARDC ont pu écraser le M23.

Et voilà que Félix Tshisekedi décide de lui-même d’ignorer les sacrifices des filles et fils de ces six pays membres de la SADC au profit de l’EAC qui, jusque-là, ne s’est jamais engagée, en tant qu’institution communautaire dans la crise des Grands Lacs.

Dire qu’en août 2022, il va devoir en assurer la présidence tournante. 

L’Etat de Siège

En interne, le mauvais choix de Félix Tshisekedi est le recours à l’état de siège sans en connaître ni en maîtriser les contours.

Son prédécesseur, Joseph Kabila, militaire de formation et de fonction, s’est abstenu durant tout son mandat d’actionner ce mécanisme prévu dans la constitution. Il savait, lui, le prix à payer de la militarisation des provinces face à des groupes armés sans foi ni loi.

Au résultat, il se révèle qu’il y a eu plus de crimes en une année d’état de siège, comparé à chacune des années sans état de siège. Le fait, d’ailleurs, pour le président de la République d’avoir envisagé des mesures spéciales pour garantir la distribution de la Justice est la preuve d’un choix mal réfléchi.

En définitive, tous les choix opérés par Félix Tshisekedi en matière politique, diplomatique et sécuritaire, de même qu’en matière économique et commerciale se révèlent négatifs.

Barnabé Kikaya Bin Karubi

Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur, Ancien Député, Professeur à l’Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo.

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Un commentaire

  1. Emma-Styno Kabumba on

    Je crois qu’en homme politique, de surcroît ancien Ministre, KIKAYA devrait, au-delà du temps où lui-même était aux affaires, se rapprocher des dirigeants actuels et leur faire ses propositions, en lieu et place de se livrer sur la place publique.

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