Intervenons-nous

    La rencontre prévue ce mardi 18 mars 2025 à Luanda entre le gouvernement congolais et le mouvement rebelle AFC-M23 sous la médiation du président angolais João Lourenço suscite de vives réactions. Le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, estime que cette initiative est une « erreur de diagnostic majeure ». Selon lui, réduire le conflit à un problème interne et organiser des négociations directes avec le M23 sans un cadre international solide risque de minimiser la complexité du conflit et de précipiter la balkanisation de la RDC.

    Dans une déclaration publiée sur ses réseaux sociaux ce 17 mars 2025, Denis Mukwege dénonce une approche qui ne tient pas compte de l’implication de plusieurs acteurs internationaux dans le conflit armé à l’Est du pays. Il pointe du doigt les intérêts économiques et géopolitiques des puissances étrangères qui exploitent les richesses minières du Kivu, ainsi que l’implication militaire de pays comme le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi.

    « Le conflit armé en RDC est caractérisé par sa forte dimension internationale avec l’intervention directe du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi et l’implication des pays de la SADC et de l’EAC. En outre, des puissances étrangères et des acteurs clés de la mondialisation économique issus du secteur privé ont des intérêts stratégiques pour les minerais critiques présents dans le sous-sol congolais, notamment dans le cadre de la transition numérique et énergétique, mais aussi dans les industries de la défense et du spatial.  Ainsi, les efforts à déployer pour parvenir à une solution durable à la grave crise multidimensionnelle que traverse la RDC devront également avoir une forte dimension internationale.

    Un plaidoyer pour une Conférence internationale

    Le prix Nobel plaide pour la tenue d’une Conférence internationale pour la paix en RDC, estimant que toute tentative de négociation sans ce cadre constitue une « trahison de la patrie ».

    « Toute tentative de réduire le conflit en cours dans l’Est de la RDC à un conflit interne en optant pour des négociations directes du gouvernement congolais avec le M23 constituerait une erreur de diagnostic majeure. Une telle approche, menée en l’absence d’une Conférence internationale pour la paix en RDC, visant à galvaniser une volonté politique forte aux niveaux national, régional et international, pourrait s’apparenter soit à une méconnaissance des réalités des dynamiques existantes sur le terrain, soit à une trahison de la patrie ».

    Il appelle à une revitalisation de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et de ses mécanismes de suivi, en collaboration avec les partenaires régionaux et internationaux. Cette Conférence, selon lui, permettrait d’établir une feuille de route claire et définissant des actions concrètes pour la paix.

    Mukwege insiste également sur l’application stricte de la résolution 2773 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui exige un « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel » et le retrait sans conditions des Forces de défense rwandaises (RDF) du territoire congolais. Il met en garde contre le danger de négocier « sous la menace des armes », ce qui reviendrait à légitimer l’agression et l’occupation illégale d’une partie du pays.

    Lire aussi: Énième massacre en RDC : l’appel urgent du Docteur Denis Mukwege pour la paix

    « Dans l’intervalle, les pressions internationales devront s’accentuer pour veiller à faire respecter les prescrits de la résolution 2773 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui exhorte les parties à un « cessez le feu immédiat et inconditionnel » et « demande à la Force de défense rwandaise de cesser de soutenir le M23 et de se retirer immédiatement du territoire de la République démocratique du Congo, sans conditions préalables ». Cette résolution est une avancée significative pour la paix en RDC et devrait jouir d’une préséance dans toutes tractations diplomatiques. Dialoguer sous la menace des armes reviendrait à institutionnaliser la loi du plus fort et à conférer une légitimité à l’agression et à l’occupation illégale »

    Des négociations directes dans un cadre approprié

    Si Denis Mukwege reconnaît la nécessité de discussions avec les groupes armés, il souligne que celles-ci ne doivent intervenir qu’après l’établissement d’un cadre international clair et contraignant.

    Il propose un sommet international de haut niveau, où toutes les parties prenantes (gouvernement, groupes armés, société civile, acteurs régionaux et internationaux) seraient impliquées dans une démarche garantissant la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC.

    « C’est pourquoi nous appelons à la tenue d’une Conférence internationale pour la paix en RDC, qui aurait pour objectif de revitaliser l’Accord-Cadre d’Addis-Abeba et de créer une plateforme de haut niveau visant à faciliter un dialogue constructif et à la hauteur des défis actuels. Cette Conférence permettrait d’aboutir à une feuille de route concertée, définissant des actions concrètes aux niveaux national, régional et international. Elle offrirait également l’occasion de mobiliser les moyens nécessaires pour sortir de la crise actuelle et jeter les bases d’un projet de paix durable en RDC, dans le cadre du Pacte social pour la paix promue sous l’égide de la CENCO et de l’ECC. De plus, les différents mécanismes de suivi de l’Accord-Cadre d’Addis Abeba mis en place pour garantir une mise en œuvre effective et de bonne foi des engagements de toutes les parties devront être revitalisés, avec le soutien des pays et des institutions partenaires de la RDC, notamment les co-garants de l’Accord-Cadre ».

    Un risque de balkanisation du pays

    Mukwege met en garde contre les conséquences d’un dialogue précipité avec le M23, estimant qu’une telle approche pourrait accélérer la fragmentation du pays et légitimer l’occupation de l’Est par des forces étrangères. Il exhorte les acteurs impliqués à ne pas répéter les erreurs du passé et à ne pas hypothéquer l’avenir de la nation congolaise.

    « Une fois ce cadre international solidifié et les différentes échelles de responsabilités clarifiées à travers un Sommet International de haut niveau, des négociations directes pourraient alors être envisagées, incluant tous les groupes armés, y compris le M23, la société civile, les partis politiques, et le gouvernement congolais. Cette démarche s’inscrirait dans l’esprit des initiatives diplomatiques menées sous l’égide du Président angolais João Lourenço, dont nous saluons les efforts. Toutefois, pour garantir une paix durable, ces négociations devront s’insérer dans le cadre des principes fondamentaux de la charte de l’Union Africaine, garantissant la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC. Procéder autrement reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs, une démarche qui risque d’accélérer et de légitimer la balkanisation de la RDC ou le processus en cours d’annexion des Kivus. ».

     Alors que les négociations de Luanda s’apprêtent à démarrer, la position de Mukwege résonne fortement au sein de la Société civile congolaise et des observateurs internationaux, qui craignent que ces discussions ne soient qu’un palliatif temporaire à une crise bien plus profonde et enracinée.

    « Ainsi, nous invitons les acteurs impliqués dans la crise et dans les tentatives d’y mettre fin d’éviter la répétition des erreurs du passé pour ne plus léguer aux générations futures des compromissions qui hypothéqueront une fois de plus à la Nation congolaise son droit à disposer d’elle-même et à vivre en paix ».


    Vinciane Ntabala

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