Intervenons-nous

Le Nord-Kivu, tout comme certaines autres provinces de la RDC, fait face depuis un temps à plusieurs conflits fonciers, qui sont souvent à la base des tensions communautaires et des violences. Mais quelles sont les causes de ces conflits fonciers ? Quelles conséquences sur la population ? Quelles solutions peuvent-elles permettre d’y mettre fin ?

Le Professeur Anselme Kitakya, enseignant à l’Université de Goma, député provincial du Nord-Kivu et ancien Ministre provincial de l’environnement, mines et énergie, a répondu à toutes ces questions, dans cet entretien avec Laprunellerdc.info.

La Prunelle RDC : Professeur Anselme Kitakya, Bonjour. Qu’est-ce qui est à la base des multiples conflits fonciers au Nord-Kivu ?

Anselme Kitakya : Bonjour. Lorsqu’on essaie de faire l’étude des conflits fonciers au Nord-Kivu, on trouve différents facteurs qui peuvent être explicatifs de cet état de chose. Au nombre de ces facteurs ,on peut citer notamment la montée de la démographie c’est-à-dire la croissance démographique sur un espace qui est très convoité par plusieurs activités sociales et économiques mais la croissance démographique en elle seule n’est pas le seul facteur qui exacerbe les conflits mais c’est beaucoup plus aussi des facteurs conjugués où la liste des facteurs que j’enumere n’explique pas les façons isolées des conflits fonciers mais c’est la conjugaison des facteurs dont la croissance démographique qui , elle-même est alimentée par plusieurs facteurs notamment la natalité c’est-à-dire le Nord-Kivu est connu avec un taux élevé de natalité et de nuptialité.

Mais à côté de celà il y a le phénomène migratoire, les migrations internes comme les migrations externes. Les migrations internes ça signifie qu’à l’intérieur du pays ou de la province certains peuples peuvent se déplacer de leur lieu de naissance vers d’autres lieux notamment à quête des terres beaucoup plus disponibles pour les travaux champêtres. Mais il y a aussi des migrations internes qui sont liées à l’insécurité lorsque des zones d’habitation sont insecurisées, la population est amenée à aller dans des endroits qu’on suppose beaucoup plus sécurisés. Mais les migrations externes sont celles par exemple liées au fait que les populations soit d’autres provinces ou d’autres pays migrent vers la province du Nord-Kivu.

Il y a aussi la mauvaise gestion des terres par les chefs coutumiers mais également l’urbanisation non réglementée, et qui sont parmi les causes des conflits fonciers au Nord-Kivu.

En quelle mesure la population est-elle victime de ces conflits fonciers ?

Je peux dire que c’est souvent la population locale qui est plus victime de ces conflits, notamment les paysans lorsqu’ils ne savent pas se sécuriser contre l’envahissement de leur terre. Mais aussi certains acteurs y compris des grands fermiers ont été aussi victimes. Ils achètent soit en bonne et due forme auprès des chefs coutumiers mais se heurtent à la remise à cause de ces achats par les membres de lignage des chefs de terre. Mais de fois aussi, ils ne sont pas sécurisés sur le plan de la loi donc les deux régistres de sécurisation foncière c’est-à-dire le registre coutumier comme le registre foncier ne garantissent pas la sécurité de ce qui acquièrent la terre.

Donc en termes des victimes, je peux dire que il y a la population dans son ensemble notamment les paysans mais aussi les acquéreurs des terres ou les acheteurs des terres qui ne se trouvent pas sécurisés par les principes de gestion de terre. Mais globalement c’est toute la société qui en souffre lorsqu’il y a des Conflits entre les propriétaires des terres et les acheteurs des terres, entre migrants, entre allochtones et autochtones ça crée une insécurité globalisée.

On peut être en quelques sortes victimes direct de l’insécurité foncière tout comme on peut être victime indirecte. Bref les conflits fonciers créent un malaise social qui affecte d’une manière ou d’une autre la population. Tenez par exemple, on peut être professionnel d’un autre secteur mais lorsqu’il y a des conflits fonciers, c’est-à-dire il y aura la conséquence sur la production vivrière. Et lorsqu’il des conséquences vivrières même les autres couches de la population ne pourront pas accéder à des vivres à bon marché.

Donc ça signifie que les conséquences d’un conflit foncier peuvent affecter directement certains membres de la communauté mais aussi d’autres y compris les gestionnaires. Lorsque vous êtes dirigeants d’une zone en conflits, vous êtes en quelque sorte aussi affecté par ce conflit par ce que vous devez gérer les différends entre les protagonistes ou les antagonistes aux conflits.

Vous avez été appelé plusieurs fois à Kinshasa par le Ministère national des affaires foncières, quellle était la mission ?

Les ateliers dans lesquels j’ai eu à être invité à Kinshasa c’était autour de la réforme foncière. C’est-à-dire devant un environnement foncier où il y a des conflits, on a compris que les causes profondes se retrouvent dans la façon dont la terre est gouvernée, donc la gouvernance foncière. J’ai évoqué ici deux aspects notamment les lois nationales mais aussi le principe coutumier. Alors la réforme a été dictée par cet environnement peu propice au développement économique à partir de la terre. Depuis 2012, il y a un processus de réforme qui a été enclenché au pays, on était plusieurs fois entrain de voir qu’est-ce qu’il faut mettre dans la loi foncière ou bien comment peut-on gouverner la terre en RDC.

Dites-nous comment terminer, ou alors réduire les conflits fonciers au Nord-Kivu ?

Je crois qu’il faut travailler sur les causes. Il y a des questions de la croissance démographique mais la croissance démographique ne pouvait pas en soi être un facteur des conflits si la population qui a connu une croissance trouve l’opportunité de faire des activités autres que celles liées à la terre. Il n’y aura pas de pression foncière même s’il y a pression démographique. Donc ça signifie qu’il faut trouver des alternatives aux activités agricoles mais qui ont lien avec l’agriculture et l’encouragent.

Aussi, les migrations devraient être engadrées. Savoir lorsqu’on oriente les migrants, il faut qu’ils sachent qu’il y a des règles appropriées pour accéder à la terre. C’est soit les règles étatiques soit les principes coutumiers. J’ai cité l’urbanisation qui devrait aussi être réglementée. Lorsqu’on voit que finalement c’est comme si au Nord-Kivu tout comme en RDC, on a dans la conception congolaise qu’il faut être citadain que d’être de la campagne.

Donc il faut travailler sur les conceptions, sur la mentalité et il faut également réglementer l’urbanisation. Lorsqu’on voit la croissance de l’urbanisation, la ville qui avale les terres rurales, ça pose des sérieux problèmes de lotissement anarchique. C’est autant des questions qu’il faut effectivement engadrer et c’est la raison pour laquelle on est engagé dans une réforme.

Les principaux outils de la réforme sont déjà élaborés, notamment il y a déjà un plan foncier, il y a déjà une politique foncière, mais aussi il y a déjà un projet de loi foncière que le gouvernement a validé il y a peu dans un des conseils des ministres et que s’il est aligné aux questions qui seront traitées par les députés au-cours de cette session de septembre, je crois qu’on aura déjà une loi foncière. Peut-être dans nos prochaines discussions, nous aurons à parler des articulations et des grandes innovations de cette loi foncière.

Si vous êtes nommé Ministre des affaires foncières, quelle sera votre priorité ?

Si je suis ministre des affaires foncières, je vais effectivement exploiter la législation. Il y a des lois qui ne sont pas mises en application. Si les lois sont mises en application, je pense que ça peut réduire même considérablement les conflits fonciers. Je devrais effectivement faire respecter la coutume foncière parce que déjà la loi elle-même le consacre dans la nouvelle proposition de loi.

Je peux vous dire par exemple qu’on a donné la possibilité aux coutumiers de pouvoir créer par exemple ce que nous appelons cadre foncier coutumier en sorte qu’ils engadrent eux-mêmes, ils enregistrent les propriétaires des terres. Je pense si on applique les coutumes foncières, on peut inverser la tendance de telle sorte que le foncier soit un facteur de développement au lieu d’être un facteur de pauvreté.

Propos recueillis par Magloire Tsongo

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