Les réseaux sociaux ont bouleversé la manière dont les Congolais s’informent et interagissent, mais ils ont également introduit des pratiques nuisibles, comme la manipulation de l’opinion publique et la fragmentation sociale. En République Démocratique du Congo (RDC), le phénomène de polarisation sociale via ces plateformes a pris une ampleur alarmante, alimenté par des pratiques telles que l’astroturfing, les chambres d’échos et les bulles de filtres.
L’Affaire Honoré Mvula : Une illustration de la manipulation numérique
En août 2020, Facebook a supprimé une soixantaine de comptes liés à Honoré Mvula, leader du parti Forces des Patriotes. Cette suppression s’accompagnait de la fermeture de 63 pages, 5 groupes Facebook et 25 comptes Instagram. Selon le laboratoire DFRLab (Digital Forensic Research Lab), cette décision s’inscrivait dans le cadre d’une initiative visant à détecter les fausses informations liées au Covid-19 en RDC.
Les enquêtes menées par DFRLab, un département du think tank américain Atlantic Council, ont révélé que ces comptes utilisaient des faux profils et manipulaient les contenus pour attirer les internautes vers des publications biaisées. En se présentant comme des « fact-checkers », Honoré Mvula et ses associés créaient une illusion d’authenticité, amplifiant ainsi leur influence sur l’opinion publique congolaise.
Astroturfing : Une illusion de soutien populaire
Le terme « astroturfing » désigne une fausse mobilisation populaire. Cette technique consiste à créer des contenus vidéo, blogs et publicités pour simuler un mouvement spontané et indépendant, alors qu’il est en réalité orchestré. Comme l’explique Sharyl Attkisson dans son livre The Smear, l’astroturfing vise à manipuler les perceptions en faisant croire qu’une opinion minoritaire ou artificielle est largement répandue.
En RDC, cette pratique est devenue monnaie courante. Certains journalistes, blogueurs et activistes reçoivent des paiements pour produire des contenus biaisés qui, une fois diffusés, verrouillent le débat. Les auteurs de ces contenus jouent le double rôle de créateurs et de contrôleurs des narratifs dominants, empêchant toute remise en question ou opinion alternative.
Chambres d’Échos : Un cercle vicieux de polarisation
Les chambres d’échos représentent un autre facteur clé de la polarisation sociale. Ce phénomène se produit lorsque des groupes ou individus ne consomment qu’un contenu qui renforce leurs croyances préexistantes, tout en excluant les perspectives divergentes. En RDC, les clivages tribaux et politiques exacerbent ce phénomène.
Les militants politiques, par exemple, s’enferment souvent dans leurs propres cercles idéologiques. Les « Talibans » (partisans de l’UDPS), les « Malibans » ou encore les « Coréens » se contentent des messages produits et validés au sein de leurs groupes respectifs. Cette dynamique limite les échanges d’idées et accroît les divisions.
Les Bulles de Filtres : Quand l’algorithme enferme l’internaute
Inventé par Eli Pariser en 2011, le concept de « bulle de filtres » décrit l’impact des algorithmes sur le contenu que nous consommons en ligne. Chaque interaction sur les réseaux sociaux laisse une empreinte numérique. Ces données sont utilisées pour personnaliser les résultats, ne proposant que des contenus alignés avec vos préférences.
En conséquence, un militant politique en RDC qui soutient Félix Tshisekedi ne verra que des publications favorables à sa vision. Un partisan d’un autre mouvement, comme celui de Ngbanda, sera exposé exclusivement à des messages renforçant ses convictions. Cet enfermement numérique réduit la diversité des opinions et limite les interactions entre différents groupes.
Les conséquences de la polarisation numérique
La polarisation alimentée par les réseaux sociaux a des répercussions profondes sur la société congolaise. Avec plus de 400 tribus et 700 partis politiques, la RDC est particulièrement vulnérable à la fragmentation. L’apparition de « visions de tunnel », où chaque groupe analyse les faits à travers ses propres biais, empêche tout débat constructif.
Historiquement, cette polarisation n’est pas nouvelle. Déjà en 1998, le pays était divisé en deux blocs principaux : le RCD et le gouvernement de Kinshasa. Les réseaux sociaux n’ont fait qu’amplifier ces divisions, créant de multiples chambres d’échos et consolidant les barrières idéologiques.
Pour une société plus Juste et équilibrée
La polarisation actuelle menace la cohésion nationale et le développement d’une démocratie inclusive. Les chambres d’échos et les bulles de filtres enferment les Congolais dans des cercles idéologiques rigides, limitant leur capacité à explorer des perspectives variées.
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Pour contrer cette dynamique, il est crucial de promouvoir la diversité des sources d’information et d’encourager des pratiques de communication responsables. Cela implique de sensibiliser le public aux dangers de l’astroturfing et de la manipulation numérique. Une société informée, capable de questionner les contenus qu’elle consomme, est essentielle pour garantir une démocratie équilibrée en RDC.
Ewing Ahmed Salumu