La question de l’érection d’un cimetière privé à Nyantende risque de faire plusieurs victimes si on n’y prend garde. Les derniers évènements inquiètent alors que la première institution provinciale a choisi son camp : son ami au détriment des nombreux habitants de Kabare qui ont réservé une fin de non-recevoir à ce projet.
En effet, une vive tension est observée depuis plusieurs jours à Nyantende, dans le groupement de Mumosho, en territoire de Kabare. Pour cause, les habitants de Nyantende protestent contre l’érection d’un cimetière « moderne » privé.
Déjà ce vendredi 29 janvier 2021 dans la matinée, plusieurs habitants de Nyantende ont barricadé la route Bukavu-Uvira, bloquant ainsi la circulation des personnes et des engins roulants sur cette artère. La Société civile parle d’au moins quatre blessés au cours de la manifestation.
Mais que reprochent les habitants de Nyantende au projet d’érection dudit « cimetière moderne » privé ?
Dans un mémorandum adressé au Gouverneur de province du Sud-Kivu, la société civile de cette partie avance comme allégations : le cimetière se trouve au milieu des habitants des entités (Mudusa et Nyantende). La cohabitation entre les vivants et les morts importés, pratique que la culture Shi n’admet pas.
Le risque de créer une panique, frustration et insécurité aux usagers de la RN5 étant donné que ce cimetière se trouve sur la route principale. Le sous-développement qui serait causé par le découragement d’autres investisseurs qui envisagent entreprendre les activités de développement dans ces milieux. La dévalorisation de leurs entités par le fait qu’elles porteraient le nom de « Makaburi kule ».
Le Chef de Chefferie Kabare surpris par le projet
Sans revenir sur les allégations de la société civile, le chef de chefferie de Kabare, le Mwami Kabare Rugemanizi a, lui aussi, réagit à l’érection dudit cimetière.
Par sa lettre du 26 janvier 2021 adressée au responsable de la « Fondation Amani Ngubiri » (propriétaire et initiateur du projet), l’autorité coutumière se moque de la manière dont les choses se passent sur place à Nyantende. Pour lui, il est inconcevable qu’un tel projet soit opérationnel dans sa chefferie sans avoir préalablement consulter sa chefferie.
« J’ai appris à travers certains médias et réseaux sociaux de l’érection d’un cimetière à Nyantende dans le groupement de Mumosho, dans la chefferie de Kabare. En effet, il est regrettable de constater que la chefferie de Kabare qui devait se faire le projet n’a pas été consultée ni en amont ni en aval dans sa mise en œuvre. Cette manière d’agir démontre à suffisance le manque de collaboration entre la chefferie de Kabare et votre Fondation », écrit le Mwami Kabare.
L’ACE demande des comptes
Cette correspondance du chef de la chefferie vient corroborer le contenu de la correspondance de l’Agence Congolaise de l’Environnement (ACE), qui malgré son statut d’autorité de régulation du secteur de l’environnement devant octroyer le certificat d’étude environnemental, dit avoir été surprise par le début des travaux d’érection du cimetière et de la morgue sans son avis.
La Direction provincial de l’Agence Congolaise de l’Environnement du Sud-Kivu réagissant à cette érection du cimetière moderne à Nyantende, dans une lettre adressée au député Amani Ngubiri dit « Tac » qui est également propriétaire dudit cimetière donne les modalités et la procédure à suivre pour que ce cimetière obtienne un certificat environnemental.
Dans cette lettre, ACE exige en avance une étude d’impact environnemental conformément au décret N 14/019 du 02 août 2014 fixant les règles de fonctionnement des mesures procédurales de la protection de l’environnement.
Selon l’ACE, cette procédure prévoit que : le promoteur du projet recrute un bureau d’études national agréé par le ministère de l’environnement ou international pour réaliser l’étude. Le promoteur doit adresser une demande de réalisation de l’étude d’impact environnemental et social à l’agence.
L’agence valide ou élabore les termes de référence de cette étude et les remets au promoteur…et enfin l’agence notifie au promoteur soit la recevabilité de l’étude auquel cas elle délivre le certificat environnemental, soit les observations à intégrer pour rendre l’étude recevable moyennant mandements, ou soit son rejet auquel cas le promoteur doit reprendre l’étude.
« Cependant, nous sommes au regret de constater que les travaux de construction du port, de la morgue et du cimetière moderne ont démarré sans certificat environnemental soyez-en donc conséquent », écrit l’ACE au député propriétaire du cimetière moderne.
« Tac » soutenu par son ami, le Gouverneur Ngwabidje
« Je te soutiens, tu me soutiens et on gagne ensemble », c’est peut-être l’expression qu’il faut utiliser quand on parle des relations entre l’actuel Gouverneur du Sud-Kivu et le député provincial Amani Ngubiri « Tac ».
En effet, cet élu de Bukavu est particulièrement connu par son soutien sans faille au Gouverneur Théo Ngwabidje. Il est à la première ligne pour le défendre face aux autres lors des actions parlementaires comme une interpellation ou une motion.
Dans les coulisses et même publiquement, le député le député ne cache pas le fait qu’il ne peut que soutenir le Gouverneur qui lui donne l’occasion de faire son business dans le calme.
Business, oui, parce qu’il y a plusieurs mois, il était parvenu à ériger un port à Bwindi en violant toutes les normes en la matière, selon des acteurs de la Société Civile. Là encore, il disait clairement avoir le soutien du Gouverneur.
Dans le lot des affaires avec la province, on cite également l’achat des bus de secondes mains au gouvernorat. L’un est utilisé pour les membres du Gouvernement provincial et l’autre par l’Assemblée Provinciale.
Par ailleurs, la Société Civile du Sud-Kivu a révélé au cours d’une conférence de presse que les établissements appartenant au député Ngubiri ont signé un partenariat public-privé avec la province pour la gestion de certaines taxes et la gestion se fait en toute opacité. Le Gouverneur ne pouvait logiquement pas laisser tomber son ami.
Je te renvoie l’ascenseur
Dans le dossier de l’érection de ce cimetière, l’autorité provinciale ne tient qu’à la concrétisation et la réalisation du projet de son « ami ». Il s’y est même rendu personnellement.
Théo Ngwabidje après une visite effectuée sur place à Nyantende avec le député Amani Ngubiri, est visible sur la vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux tambour battant et avec beaucoup de motivation soutenir l’initiative et qualifie de mal intentionnée toute personne qui s’attaque à l’érection du cimetière moderne à Nyantende.
Il ne l’a pas seulement dit. Dans sa lettre du 27 janvier 2021, adressée aux présidents de la société civile de Nyantende et de Mudusa, Théo Ngwabidje ne veut rien entendre de la part des habitants non encore consultés pour ce projet. Il n’a pas manqué des termes pour montrer sa passion au projet. Dans cette correspondance, le chef de l’exécutif provincial qualifie les revendications de la Société Civile des « arguments qui ne tiennent pas debout ».
« Après avoir reçu votre mémorandum, je constate non sans regret que tous vos arguments ne tiennent pas debout, étant donné que moi-même j’étais obligé de faire la descente sur terrain pour vérifier toutes vos allégations », écrit-il à la société civile avant de rebondir : « je vous conseille de ne pas vous laisser conduire par des personnes mal intentionnées qui ne sont là que juste pour leurs intérêts mesquins et non pour l’intérêt commun ».
La question qui se pose, est de savoir ce qui motive réellement l’autorité provinciale à soutenir le projet d’érection dudit cimetière moderne dans cette partie de la chefferie de Kabare.
Pourtant le chef de chefferie a, lui-même, démontré sans s’opposer au projet bien-sûr, que l’initiateur du projet ne l’a jamais consulté, alors qu’en tant qu’autorité coutumière, le Mwami Kabare devrait au préalable être consulté par celui-ci.
Cette implication de l’autorité provinciale dans ce projet pourtant privé porte des questionnements, surtout que plusieurs personnes font des allégations non jusqu’ici vérifiées selon lesquelles, le Gouverneur Théo Ngwabidje serait également actionnaire dans ce même projet.
« Affaire cimetières à Nyantende/Kabare, le Gouverneur soutient un projet dans lequel il serait actionnaire », annonce d’ailleurs le Parti Congolais pour le Progrès (PCP) dans ses traditionnelles sorties.
La Cellule de Communication du PCP accuse Ngwabidje de faire du commerce, incompatible à sa fonction.
« Les informations à notre possession font état du fait que le Gouverneur est partenariat avec ce député provincial dans ce projet des cimetières. Il est aussi à noter que ce projet des cimetières fait suite à un partenariat des taxes entre le Gouverneur et ce député, projet dans lequel ils auraient bouffés certaines taxes de la province sans contrepartie en faveur de la population. Ces activités des cimetières rentrent dans la catégorie des actes commerciaux et les activités commerciales sont incompatibles avec le mandat à la fois du député et du Gouverneur », écrit la cellule de Communication du PCP, très critique des actions de l’actuel locataire de Nyamoma.
Des questions
Dans cette cacophonie soutenue par l’autorité provinciale, plusieurs questions reviennent : pourquoi le Gouverneur et le député « Tac » n’ont-ils pas choisi la voie du dialogue avec des habitants du milieu et des autorités traditionnelles en vue d’apaiser les tensions et favoriser l’appropriation du projet par la communauté ?
Pourquoi Théo Ngwabidje choisit plutôt de soutenir mordicus l’action d’un privé au lieu de construire un cimetière public et géré par l’Etat par exemple ?
Pourquoi ne pas également entretenir les cimetières de Bukavu par des actions concrètes ? Pourquoi ériger un cimetière sans passer par toutes les voies légales concernées ? Le Gouverneur et le député sont-ils dans du business ?
En tout cas, pour l’instant, les esprits sont surchauffés et nombreux habitants de Kabare veulent plutôt d’autres projets qu’un cimetière privé. Un cimetière qui n’est pas un problème, rappellent nombreux à Bukavu, mais sa construction devrait requérir l’assentiment des populations locales, estiment d’autres.
La Rédaction