Le douzième épisode de « Mon Point de vue » du 27 Janvier dernier revient sur les récents coups d’Etat en Afrique. Le Pasteur Nicolas Kyalangalilwa parle de cette situation malheureuse qui semble affecter le continent africain depuis un temps, un vieux démon qui semble rentrer : les coups d’Etat. Qu’est-ce qu’ils expriment et comment les comprendre ?
« Les coups d’Etat en Afrique, est-ce un vent nouveau de libération du people ou une réorganisation géopolitique des puissances ?
Lundi 24 janvier 2022, la Radiotélévision du Burkina (RTB), la télévision publique du pays, publie une lettre manuscrite signée de la main de Mr. Roch Marc Christian Kabore, le désormais ex-chef de l’Etat, dans laquelle il dit déposer sa démission dans l’intérêt supérieur de la nation. L’Afrique vient encore là d’enregistrer un autre coup d’État.
Les coups d’État étaient jadis la méthode de changement de gouvernement en Afrique. Le continent aura enregistré plus de 90 coups d’État entre 1951 et la mi-2020 contre seulement 30 dirigeants destitués pacifiquement à la suite des élections.
La fréquence et multiplicité des coups d’Etat vers les années 2000 (15 au cours de la décennie 1990) aura poussé l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) à adopter la Déclaration de Lomé. Celle-ci a décrété que toute prise de pouvoir à la suite d’un « changement anticonstitutionnel de gouvernement » c’est-à-dire les coups d’État militaires, impliquerait une suspension du pays concerné.
Depuis 2003, l’Union africaine (UA) a à 14 reprises exercé ce pouvoir de suspension, résultant à une réduction sensible d’incidence des coups d’État (de 15 entre 1991 et 2000, à 8 entre 2000 et 2010 puis à 5 entre 2011 et 2020).
Malheureusement cette tendance semble s’être soudainement inversée depuis 2020. À partir du 18 août 2020, cinq coups d’État ont été enregistrés (sans compter les tentatives qui ont échoué).
Deux ont été menés au Mali, en août 2020 et en mai 2021, et un en Guinée, en septembre 2021 et le dernier en date en janvier 2022 au Burkina Faso. Il y a aussi l’Ethiopie qui est sous une guerre continue qui menace même ses réalisations économiques.
Comment comprendre ce vent des coups d’Etat qui étaient devenus de plus en plus rares ? L’Union Africaine dans sa nouvelle robe a insisté sur le besoin de l’accès au pouvoir par la voie des urnes et non plus par la voix des armes. Et pourtant voilà quatre pays qui ont connu des coups d’Etat. Je note trois points communs :
- Tous ces coups d’Etat connaissent un soutien populaire. On a l’impression que le peuple en avait déjà mare de la gouvernance des personnes renversées. Certains (le cas du Mali et de la Guinée par exemple) ont été précédés des périodes d’instabilité politique (marches, grèves, etc.) réclamant le changement de régime. Devrions-nous donc lire en ces coups d’Etat des expressions de la volonté populaire dénonçant un système qui ne semble plus répondre aux aspirations des peuples ? Devrions-nous y voir une faiblesse notoire de la Société Civile à jouer le contrepoids du pouvoir dans un système politique ou l’opposition n’est pas différente de ceux, qui hier, étaient au pouvoir ? Ou alors des cas d’opportunisme politique de certains hommes en uniformes ?
- Ces coups d’Etat viennent souvent dans un contexte ou un leader politique veut se pérenniser au pouvoir en jouant avec les dispositions constitutionnelles. C’est le cas de la Guinée. Cette situation est devenue courante en Afrique. Très peu des chefs d’États ont quitté le pouvoir « pacifiquement » à la fin de leur mandat. Ou alors des dirigeants qui sont perçus comme n’étant pas capables de résoudre les problèmes du pays. C’est le cas du Mali par exemple. Il est encore difficile de connaitre les motifs des putschistes au Burkina Faso.
- Ces coups d’Etat sont conduits par une jeune génération des officiers qui ont tous été formés à l’étranger. Et donc les figures telles que le Colonel Assimi Goïta au Mali (39 ans), Le colonel Doumbouya en Guinée (41 ans), Mahamat Idriss Deby Itno au Tchad (38 ans) et le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba au Burkina Faso (41 ans). Sont-ils motivés par une vision autre de leur pays ou téléguidés par des puissances étrangères pour une reconfiguration géopolitique de ces régions ? Pour un continent jeune (une moyenne d’âge autour de 19-20 ans), est-ce une façon pour les jeunes de se débarrasser de ces vieillards qui s’accrochent au pouvoir ? Cette génération semble déjà venir remplacer dans l’âme populaire les révolutionnaires tels que Thomas Sankara.
Il est donc important de se poser des questions sur ce que le continent Africain est en train de vivre en ce moment. S’agit-il d’un vent nouveau pour permettre à cette jeunesse qui semble prise au piège de ces « vieillards » de repartir sur des nouvelles bases ? Si tel est le cas, nous n’en sommes pas encore à notre dernier scénario de coup d’Etat.
L’Union Africaine devra redoubler d’efforts pour prévenir les coups d’État en sanctionnant la mauvaise gouvernance et les tentatives des Présidents de prolonger leur mandat tout en veillant à l’inclusion des jeunes dans les espaces de prise de décision. Les choses doivent changer pour le mieux.
Sinon quelle autre lecture avoir de cette situation ? Une reconfiguration géopolitique en faveur des nouvelles puissances mondiales ? Un retour en force des anciennes puissances ? En attendant, croisons nos doigts et espérons qu’aucun autre pays ne soit victime de ces coups d’Etat sacrifiant ainsi le jeune élan démocratique qui se construisait déjà sur le continent.
A propos de « Mon point de vue »
« Mon Point de vue » est une chronique d’analyse de l’actualité provinciale, nationale et régionale animée par Nicolas Kyalangalilwa, célèbre, fervent acteur de la Société Civile et diffusée sur la radio Jambo FM émettant sur 92.0 MHz à Bukavu au Sud-Kivu. Elle est diffusée tous les lundis, jeudis et dimanches à 20 heures 15. La rediffusion de ces épisodes se fait les mardis, vendredi et lundi à 8 heures du matin. LaPrunelleRDC vous les proposera également en écrit et en audio.