Dans un contexte marqué par la guerre et l’insécurité régionale, la ville de Bukavu est régulièrement secouée par des rumeurs sécuritaires diffusées à grande échelle, notamment via les réseaux sociaux. Ces informations non vérifiées alimentent une psychose collective, provoquant peur, méfiance, fermetures d’écoles et de commerces, et parfois des déplacements incontrôlés de populations, alertent leaders communautaires et habitants contactés ce mardi 23 décembre 2025.
Face à cette situation, plusieurs voix s’élèvent pour appeler à une riposte collective contre la désinformation, devenue, selon des analystes locaux, un véritable instrument de guerre.
Pour Jean Bosco Muhemeri, analyste et acteur social, la prolifération des rumeurs en période de conflit n’est ni anodine ni spontanée.
« L’ennemi utilise la désinformation, la manipulation et l’intoxication pour faire perdre l’équilibre à la population, désorganiser les troupes au front et creuser le fossé entre le pouvoir de Kinshasa et la population à la base », explique-t-il.
Selon lui, les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène en transformant de simples citoyens en relais involontaires de messages alarmistes. Le partage irréfléchi de contenus non vérifiés contribuerait à installer la peur, le désespoir, le rejet de l’autorité et, dans certains cas, à des déplacements massifs.
« Plusieurs personnes ont fui leurs villages sans même savoir pourquoi elles fuyaient », déplore Jean Bosco Muhemeri, reliant cette situation à l’augmentation du nombre de déplacés internes et de réfugiés.
Tout en reconnaissant que certaines rumeurs sont difficiles à démonter, il estime que la majorité peut être déconstruite par l’analyse des incohérences. Il appelle ainsi les organisations de la société civile, les journalistes, les défenseurs des droits humains et les citoyens engagés à mener une « action commando » pour assainir l’espace médiatique et préserver le tissu social.
« Il ne faut pas que le désespoir et le dégoût finissent par briser notre désir de demeurer ensemble comme Congolais », avertit-il.
De son côté, Jean Moreau Tubibu, leader communautaire et défenseur des droits humains, met en cause le manque d’informations officielles claires, notamment sur les questions de sécurité.
« La rumeur remplace le vide. Là où il n’y a pas d’information précise, la rumeur gonfle, s’enfle et se répand comme de la poudre », souligne-t-il.
Il indique que cette situation a des conséquences directes et graves sur la vie quotidienne : fermetures d’écoles et de commerces, aggravation de la psychose collective, risques accrus pour les personnes malades et les groupes vulnérables.
Pour lui, la lutte contre les rumeurs passe avant tout par une communication transparente et des actions visibles des services de sécurité.
« La population doit voir la police et les services de sécurité se déployer, arrêter les malfrats, et savoir clairement qui est responsable de quoi », insiste Jean Moreau Tubibu.
Il appelle également les citoyens à participer à leur propre sécurité à travers une dénonciation responsable des criminels, tout en mettant en garde contre les fausses accusations qui renforcent la méfiance.
Dans les quartiers de Bukavu, la pression des rumeurs est ressentie au quotidien. Aline Mapenzi, vendeuse au marché de Kadutu, témoigne de l’impact immédiat de simples messages diffusés sur WhatsApp.
« Il suffit d’un message WhatsApp pour que tout le monde ferme boutique. On ne sait jamais si c’est vrai ou faux, mais on a peur », confie-t-elle.
Patrick Kalonda, étudiant à l’Université Officielle de Bukavu (UOB), faculté des sciences sociales, regrette lui aussi le silence des autorités.
« Quand les autorités ne parlent pas, on se fie aux réseaux sociaux. Et souvent, ça crée la panique inutilement », déplore-t-il.
À Nguba, Mzee Célestin, habitant du quartier, en appelle à la responsabilité collective.
« Nous devons apprendre à vérifier avant de partager. Les rumeurs nous divisent plus que les armes », martèle-t-il.
Dans la province du Sud-Kivu en général et dans la ville de Bukavu en particulier, les rumeurs sécuritaires ne sont plus de simples paroles de rue. Elles sont devenues un enjeu majeur de cohésion sociale et de stabilité dans un environnement déjà fragilisé par des années de conflit.
Face à cette menace invisible mais redoutable, leaders communautaires, acteurs de la société civile et citoyens s’accordent sur une même nécessité : informer de manière responsable, agir de façon coordonnée et résister collectivement à la désinformation afin de préserver la paix sociale.
Cet article est produit dans le cadre du projet : Renforcement des capacités des jeunes journalistes et activistes pour la paix et la résilience dans l’Est de la RDC » soutenu par le Fonds Kris Berwouts et la Fondation Roi Baudouin.
Édith Kazamwali

