La condamnation à 30 ans de réclusion criminelle de l’ancien ministre congolais Roger Lumbala par la cour d’assises de Paris marque un tournant majeur dans la lutte mondiale contre l’impunité des crimes de masse commis durant la deuxième guerre du Congo (1998-2003). C’est ce qu’ont salué, ce lundi, TRIAL International, la Clooney Foundation for Justice (CFJ), Minority Rights Group (MRG), Justice Plus et PAP-RDC, toutes parties civiles dans cette affaire.
Pour la première fois, une juridiction nationale s’est penchée sur les atrocités commises durant ce conflit meurtrier, établissant la responsabilité pénale d’un haut responsable politique et militaire congolais.
« Ce verdict est historique. Pour la première fois, un tribunal national a osé affronter les atrocités de la deuxième guerre du Congo et montrer que la justice peut prévaloir même après des décennies d’impunité », a déclaré Daniele Perissi, de TRIAL International.
« Aujourd’hui, la Cour a clairement établi une chose : les architectes de violences de masse devront rendre des comptes. Ni le temps ni le pouvoir politique ne les protégeront. »
Au cours du procès, plus de 65 survivants, témoins et experts ont décrit l’ampleur et la brutalité des crimes attribués à Roger Lumbala, notamment lors de l’opération militaire dite « Effacer le Tableau », menée fin 2002 dans l’est de la République démocratique du Congo.
Selon les témoignages, de nombreuses attaques visaient spécifiquement certaines communautés ethniques, notamment la minorité Nande et les peuples autochtones Bambuti. Les observateurs ont également documenté des niveaux exceptionnels de destruction humaine, psychologique et matérielle, dont les conséquences se font encore lourdement sentir aujourd’hui.
« Les survivant·es autochtones bambuti ont surmonté la discrimination quotidienne et ont livré, avec courage, des témoignages détaillés au péril de leur vie. Pendant plus de vingt ans, Lumbala a bénéficié de l’impunité pour sa tentative de campagne d’extermination contre les Bambuti. Cela prend fin aujourd’hui », a déclaré Claire Thomas, directrice exécutive de Minority Rights Group.
Ce jugement inédit a été rendu possible grâce au principe de compétence universelle, les crimes commis entre 1998 et 2003 n’ayant jamais fait l’objet de poursuites judiciaires en RDC. Il intervient dans un contexte où la violence continue de ravager certaines régions du pays, malgré les récents accords diplomatiques, soulignant l’urgence de rendre des comptes pour les crimes passés et actuels.
Les organisations de la société civile ont joué un rôle clé et coordonné tout au long de la procédure. En tant que parties civiles, elles ont mutualisé leurs expertises, présenté des preuves, sollicité des analyses d’experts et assuré un accompagnement psychologique des survivants, leur permettant de témoigner en toute sécurité.
Les organisations locales congolaises ont été particulièrement déterminantes.
« Depuis des années, nous documentons les abus commis dans des régions encore marquées par la peur et la violence », a expliqué Xavier Macky, directeur national de Justice Plus RDC.
« Ce verdict montre que les témoignages ancrés dans les réalités vécues par les survivant·es peuvent mettre fin à des décennies d’impunité. »
De son côté, PAP-RDC, organisation travaillant avec les communautés Bambuti, salue une reconnaissance longtemps attendue.
« Ce moment marque la fin d’un long silence et la reconnaissance de souffrances trop longtemps ignorées », a déclaré son porte-parole.
Bien que Roger Lumbala ait refusé de comparaître devant la cour, les voix des survivants ont dominé les audiences. Malgré les intimidations, les obstacles logistiques et les risques personnels, plusieurs ont fait le déplacement jusqu’à Paris.
David Karamay Kasereka et Pisco Sirikivuya Paluku, survivants ayant témoigné et assisté au verdict, ont livré un message fort.
« Pendant des années, personne ne nous a écoutés. Aujourd’hui, la Cour l’a fait. Ce verdict est un premier pas vers la reconquête de ce qui nous a été enlevé. Que cela serve de signal fort aux autres chefs de guerre qui continuent de semer la terreur en RDC. »
Le procès a également accordé une place centrale aux victimes de violences sexuelles, longtemps réduites au silence.
« Des femmes survivantes de viols et d’esclavage sexuel ont brisé des décennies de stigmatisation pour témoigner », a souligné Yasmine Chubin, directrice juridique du CFJ.
Sur le plan juridique, la Cour établit un précédent majeur, reconnaissant que les attaques systématiques contre les biens – pillages, destruction des moyens de subsistance, privation de nourriture – peuvent constituer des crimes contre l’humanité.
« Le verdict repose sur un ensemble de preuves exceptionnellement cohérentes », ont expliqué Henri Thulliez et Clémence Bectarte, avocats des parties civiles, soulignant la convergence entre témoignages, rapports d’enquête et déclarations antérieures de l’accusé.
La question des réparations pour les victimes sera examinée dans une phase distincte de la procédure.
Ce verdict envoie un message fort : même après des décennies, les auteurs de crimes de masse peuvent être poursuivis et condamnés, ouvrant ainsi une nouvelle ère dans la lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo et au-delà.

