Intervenons-nous

    Journaliste. Avocate. Militante. Trois métiers, une vocation : défendre les droits des femmes, dénoncer les injustices et construire la paix. Depuis 2000, Caddy Adzuba incarne la voix et la force des femmes congolaises. De Bukavu aux grandes tribunes internationales, portrait d’une femme dont le micro est devenu une arme, et la conviction, un moteur.

    Une jeunesse fracturée par la guerre

    1. Caddy Adzuba a 14 ans. Elle vit à Bukavu, dans l’Est de la République démocratique du Congo. Le pays s’appelle encore Zaïre. La guerre éclate. La vie bascule.

    «On était imposé de vivre une autre vie qui n’était pas la nôtre. On arrêtait les cours pour fuir les combats, et quand on revenait, certaines camarades avaient disparu. On apprenait que des pères étaient morts, des familles décimées.» Ces souvenirs, Caddy les porte toujours. Ils façonnent sa conscience. Elle se fait une promesse : faire quelque chose pour son pays.

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    Le journalisme comme réponse à la violence

    Caddy Adzuba n’a pas choisi la radio par hasard. Auditrice passionnée, elle s’insurgeait jeune contre les animateurs qui « lisaient mal les communiqués ». Avec sa formation littéraire, elle rêvait d’un journalisme plus digne, plus humain, plus fort. Elle se bat, littéralement, pour sa première chance.

    «Jai fait trois mois à insister devant le bureau du directeur de la RTNC. Il me demandait : Où ai-je affiché que je cherche un journaliste ? Je lui ai répondu : Nulle part, mais je peux aider.» Cette audace lui ouvre la porte. On la teste, on l’accepte. Elle devient présentatrice télé, puis voix engagée à Radio Okapi, où elle perfectionne son art et gagne en notoriété.

    Une avocate pour la paix et la justice

    À l’époque, les facultés de communication sont rares. Caddy choisit alors le droit, avec un objectif clair : devenir juge ou magistrate pour condamner les criminels et les ennemis de la paix. Cinq années de formation, beaucoup de sacrifices, mais une détermination à toute épreuve.

    Aujourd’hui avocate au barreau de Bukavu, elle jongle entre ses deux passions : informer et défendre. Deux fronts pour un même combat : celui de la justice, de la vérité, de la dignité humaine.

    Briser les tabous, dénoncer l’indicible

    Dans ses premiers pas en journalisme, parler des violences sexuelles était presque un crime de lèse-majesté, surtout pour une femme. «On ne nous permettait pas den parler. Présenter un journal avec un sujet sur les viols relevait du défi.»

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    Avec ses collègues, elle cofonde l’Association des Femmes des Médias (AFEM) pour créer un espace de lutte, de formation et de parole libre. Grâce au Centre Lokole, elle est formée à la compréhension de la violence sexuelle comme arme de guerre. Une révélation qui renforce encore son engagement.

    «Lessentiel est de refuser le statut de victime. Si on sarrête à son propre problème, on ne peut pas évoluer.»

    Une militante de terrain et d’influence

    Aujourd’hui, Caddy Adzuba dirige cette même AFEM, comme Présidente du Conseil d’Administration mais aussi la Fondation Pélagie Muhigirwa (FPM), créée en mémoire d’une femme victime de violences domestiques mais restée debout, formatrice et inspirante. La fondation agit sur trois piliers : AVOIR (relever économiquement les femmes), SAVOIR (les former à des métiers), et POUVOIR (les responsabiliser dans leurs foyers et dans la société).

    Mais son combat ne s’arrête pas aux frontières de la RDC. Membre du Conseil consultatif de l’Alliance des femmes pour la paix mise en œuvre par les Nations unies, elle côtoie des figures de proue de la politique africaine : Catherine Samba-Panza (RCA), Ellen Johnson Sirleaf (Libéria), Aminata Touré (Sénégal), Kah Walla (Cameroun), Fatoumata Tambajang (Gambie), entre autres.

    «Je puise des connaissances auprès de ces femmes africaines pour contribuer à sauver mon pays.»

    Un impact international, silencieux mais réel

    Même dans l’ombre, son influence se fait sentir. «LEspagne ne sintéressait qu’à la situation américaine. Aujourdhui, grâce à notre travail, sa politique étrangère inclut les femmes africaines et le triptyque Femme-Paix-Sécurité.»

    Elle initie aussi des réseaux comme l’Alliance des femmes médiatrices, dont les activités réunissent depuis trois ans des femmes africaines de haut niveau pour partager leurs expériences de paix.

    Refuser la politique politicienne, parier sur les mentalités

    Caddy Adzuba n’a jamais voulu faire de la politique : «Elle est mal employée dans notre pays. Tout y est permis.» Pour elle, le vrai changement viendra d’un changement de mentalité économique. Si les femmes accèdent à des moyens financiers, dit-elle, elles transformeront la société.

    «On ne fera jamais ce que les autres nont pas fait. On ne créera rien de totalement nouveau. Mais on peut toujours sinspirer de celles qui ont marqué leur époque.» Son message aux jeunes femmes congolaises est clair : travailler, aimer ce pays et contribuer à son avenir.

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    La voix d’une génération debout

    Caddy Adzuba n’a jamais cessé de prendre le micro, même après sa démission de Radio Okapi. À Kinshasa, à Bukavu ou sur les scènes internationales, elle reste une voix lucide, tendre, combative. Une voix qui ne crie pas, mais qui dit. Qui ne juge pas, mais qui éclaire.

    Elle est de cette génération qui a grandi sous les bombes, mais qui choisit chaque jour la construction plutôt que la destruction. Une femme qui parle pour celles qu’on n’écoute pas, qui agit pour celles qu’on écrase. Une femme de courage, de mémoire et d’espoir.

    Esther Guylaine Baraka

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