Le gouvernement du Rwanda devrait s’assurer qu’une enquête exhaustive, indépendante et transparente soit menée sur le décès de Kizito Mihigo, un chanteur et activiste bien connu, alors qu’il était placé en détention par la police. Les partenaires internationaux du Rwanda devraient demander des comptes sur la mort de Mihigo avant et pendant la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth prévue à Kigali en juin 2020. Sa mort vient s’ajouter à une liste de disparitions, de meurtres et de décès suspects de personnes perçues comme étant des détracteurs et des opposants du gouvernement rwandais, et le manquement des autorités à leur responsabilité de rendre justice dans ces cas envoie un signal délibérément glaçant.
C’est en tout cas ce que dit l’organisation des droits de l’homme Human Rights Watch dans un communiqué.
La Police nationale du Rwanda a annoncé, le 17 février 2020, que Mihigo avait été trouvé mort, à 5h00 du matin ce jour-là, dans sa cellule au poste de police de Remera, à Kigali, la capitale, attribuant ce décès à un suicide. Mihigo avait récemment affirmé à Human Rights Watch qu’il faisait l’objet de menaces pour fournir de faux témoignages contre des opposants politiques, et qu’il voulait quitter le pays car il craignait pour sa sécurité. En 2014, il avait été détenu au secret pendant neuf jours, lors desquels il avait été battu et forcé à avouer des crimes dont il avait par la suite été inculpé.
« Quelle que soit la cause de la mort de Kizito Mihigo, il incombait à la police rwandaise de protéger sa vie et d’assurer sa sécurité en détention », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Lorsqu’il s’agit de l’État de droit et du respect des droits humains, les partenaires et bailleurs de fonds du Rwanda ne devraient pas rester silencieux. Ils devraient appeler à l’ouverture d’une enquête crédible et à l’affirmation sans équivoque par le gouvernement de sa détermination à rendre justice dans cette affaire cruciale. »
Le Bureau d’enquêtes rwandais (Rwanda Investigation Bureau, RIB) a déclaré que Mihigo avait été remis à la police par des « organes de sécurité » le 13 février 2020, près de la frontière avec le Burundi dans le district de Nyaruguru, et accusé de tentative de traverser la frontière de manière illégale, de rejoindre des « groupes terroristes » et de corruption.
La Police nationale rwandaise n’a fourni aucune information complémentaire, dans sa déclaration du 17 février, pour étayer sa conclusion selon laquelle Mihigo s’était suicidé. Marie Michelle Umuhoza, la porte-parole du RIB, a ultérieurement déclaré aux médias locaux que Mihigo s’était servi de draps pour « s’étrangler » et que son corps avait été transporté à l’hôpital de Kacyiru pour une autopsie.
Un rapport d’autopsie indépendant devrait être commandé et les autorités judiciaires devraient s’assurer que toute enquête fasse la lumière sur la manière dont Mihigo a été traité en détention, et examine la possibilité qu’il ait pu être maltraité ou tué lors de cette garde à vue, a déclaré Human Rights Watch.
Selon le droit international en matière de droits humains, il incombe aux autorités rwandaises d’effectuer une enquête complète et indépendante et de répondre de tout décès survenu sous la garde de la police. L’enquête devrait identifier toutes les personnes responsables si sa mort est due à des négligences ou à des actes illégaux, et devrait conduire à l’ouverture de poursuites à leur encontre. Le manquement à ce devoir d’enquêter et de poursuivre quiconque porte une responsabilité dans ce décès constituerait une violation des obligations du Rwanda de protéger les citoyens contre la privation arbitraire de la vie et de fournir un recours effectif.
Le 6 avril 2014, Mihigo a été arrêté et détenu dans un lieu inconnu jusqu’au 14 avril, jour où il a été présenté aux médias lors d’une conférence de presse. Il a comparu devant un procureur le lendemain.
Avant et pendant sa détention au secret, des responsables gouvernementaux de haut rang l’ont interrogé à plusieurs reprises au sujet d’une chanson qu’il avait publiée le mois précédent, dans laquelle il priait pour les victimes du génocide de 1994, ainsi que pour les victimes d’autres violences. Ils l’ont également questionné au sujet de ses liens prétendus avec le Congrès national rwandais (Rwanda National Congress, RNC), un parti d’opposition en exil dont des liens avec des groupes armés ont récemment été signalés.
Mihigo a affirmé à Human Rights Watch que des agents de police l’avaient battu et forcé à avouer les infractions dont il a par la suite été inculpé devant un tribunal. Mihigo et ses co-accusés – Cassien Ntamuhanga, un journaliste; Agnès Niyibizi; et Jean-Paul Dukuzumuremyi, un militaire démobilisé – ont été inculpés, entre autres, d’infractions contre l’État et de complicité dans des actes terroristes pour avoir prétendument collaboré avec des groupes considérés par le gouvernement comme étant des ennemis du Rwanda. En novembre 2014, il a passé des aveux complets, mais il a affirmé par la suite à Human Rights Watch qu’il l’avait fait sous la contrainte.
En février 2015, la Haute Cour de Kigali a condamné Mihigo à 10 ans de prison pour des délits présumés de formation d’une association de malfaiteurs, planification de meurtre et complot d’attentat contre le pouvoir établi ou le président. Ntamuhanga a été condamné à 25 ans de prison et Dukuzumuremyi à 30 ans. Niyibizi, accusée d’avoir transporté de l’argent pour aider à perpétrer ces infractions, a été acquittée. Ntamuhanga se serait évadé de la prison de Nyanza le 31 octobre 2017, en compagnie de deux autres détenus.
Mihigo a fait partie des 2 000 prisonniers libérés en septembre 2018 en vertu d’une amnistie présidentielle, qui incluait également une personnalité en vue de l’opposition politique, Victoire Ingabire. Depuis lors, au moins quatre membres de l’opposition et un journaliste sont morts ou ont disparu dans des circonstances mystérieuses au Rwanda. Bien que le RIB affirme avoir ouvert des enquêtes sur ces affaires, Human Rights Watch n’a pas été en mesure de déterminer si leurs conclusions ont été rendues publiques ou si quiconque a fait l’objet de poursuites.
Mihigo n’est pas la première personne décédée sous la garde de la police au Rwanda. En avril 2018, 10 jours après son arrestation, Donat Mutunzi, un avocat, s’est, selon la police, pendu dans sa cellule au commissariat de Ndera. Selon des rapports, l’autopsie a révélé l’existence de « graves blessures » sur son visage et sur ses tempes. En février 2015, Emmanuel Gasakure, un cardiologue et ancien médecin personnel du président Paul Kagame, a été, selon les médias, abattu par un policier de garde alors qu’il était en détention au poste de police de Remera, à Kigali. Un porte-parole de la police a affirmé dans une déclaration aux médias que Gasakure tentait de désarmer le garde lorsque celui-ci l’a abattu.
Human Rights Watch dit avoir documenté de nombreux cas d’arrestations arbitraires, de détention, de poursuites en justice non fondées, de meurtres, d’actes de torture, de disparitions forcées, de menaces, d’actes de harcèlement et d’intimidation contre des opposants et des détracteurs du gouvernement au Rwanda. En plus de la répression des voix dissidentes à l’intérieur du Rwanda, des dissidents et des personnes perçues à tort ou à raison comme des critiques à l’extérieur du pays – en Ouganda et au Kenya, deux pays voisins, ainsi que plus loin en Afrique du Sud et en Europe – ont été attaquées et menacées.
Le Rwanda se prépare à accueillir la prochaine réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth, qui donnera lieu à des discussions sur la gouvernance et l’État de droit. Cette réunion devrait rassembler, en juin à Kigali, les dirigeants de 53 pays membres du Commonwealth. Le Commonwealth devrait évoquer publiquement les préoccupations causées par les graves violations des droits humains commises au Rwanda, a affirmé Human Rights Watch.
« À l’approche de la réunion du Commonwealth, ses membres devraient exiger que les responsabilités pour la mort de Mihigo soient établies », a affirmé Lewis Mudge. « Ils devraient exprimer fermement et publiquement, y compris à Kigali, leur désapprobation, si le Rwanda continue de bafouer les valeurs du Commonwealth. » exige Human Rigth Watch.