Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018 s’est exprimé à l’occasion du 2 Août, date retenue pour commémorer le « Génocost », entendu par « le génocide pour des gains économiques » et spécialement contre des congolais. Comme dans toutes ses interventions, le Prix Nobel ne rate pas de rappeler que les responsables de ces millions de morts en RDC doivent répondre de leurs actes. LaPrunelleRDC.CD vous propose l’intégralité de la déclaration du Dr Mukwege à l’occasion du « Génocost ».
DÉCLARATION DU DR. MUKWEGE À L’OCCASION DE LA JOURNÉE COMMÉMORATIVE DU GÉNOCIDE CONGOLAIS (GENOCOST)
En cette journée du Génocost, qui signifie « le génocide pour des gains économiques », nos pensées vont à toutes les victimes directes et indirectes des crimes innombrables commis depuis des décennies pour des intérêts économiques et géostratégiques. Ces atrocités, qui défient l’imagination et devraient heurter profondément la conscience humaine, sont perpétrées depuis le milieu des années 1990 en République Démocratique du Congo (RDC) dans un climat prévalent d’impunité et dans une indifférence troublante de la communauté internationale.
En effet le système économique globalisé est en grande partie articulé sur les ressources minières et les richesses naturelles qui regorgent en RDC, et qui sont indispensables pour assurer la croissance économique des grandes puissances et du monde des entreprises. Ainsi, l’instabilité politique et sécuritaire que les Congolais subissent est entretenue pour satisfaire les besoins en matières premières du marché mondial, tout en laissant notre population et nos communautés meurtries et traumatisées dans un état de pauvreté inacceptable.
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Il est temps de mettre fin au paradoxe de l’abondance en RDC et à la tragédie congolaise. Alors que plusieurs générations de Congolais ont déjà été sacrifiées pour la révolution de l’automobile et de la communication, va-t-on encore accepter que les générations futures soient assujetties et anéanties pour que le monde économiquement développé puissent à bas prix avancer vers une transition énergétique dite « verte », mais en vérité « rouge » du sang des femmes et des enfants congolais ?
Il y a urgence à mettre fin à l’extraction illicite et au commerce illégal des ressources minières et à la culture de l’impunité qui, avec l’absence d’un leadership congolais respectable et respecté, sont les principales causes profondes de la récurrence des conflits et de la répétition des crimes les plus graves.
C’est dans ce contexte que nous tenons à saluer le fait que le législateur congolais ait reconnu en décembre 2022 le 2 août comme journée commémorative du génocide congolais, suite à un long travail de plaidoyer des organisations de la société civile.
Il sied de noter que dans la majorité des situations, la reconnaissance d’une journée de la mémoire intervient une fois que les armes se sont tues, et lorsqu’une Nation se reconstruit après une période de conflit.
La RDC n’est pas dans ce cas de figure, malgré l’Accord de paix de Sun City qui a planté en 2003 les graines de l’aggravation et de la prolongation du drame congolais. En effet, les atteintes à la souveraineté nationale et à l’intégrité territoriale et les guerres d’agression et d’occupation se poursuivent depuis de plus d’un quart de siècle, et la violence armée et les atrocités de masse continuent de caractériser jusqu’à ce jour le quotidien de millions de compatriotes qui traversent une crise humanitaire sans précédent, notamment au Nord Kivu et en Ituri.
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Ainsi, cette reconnaissance de la journée du Génocost, qui rappelle le début du conflit armé le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale lorsqu’en date du 2 août 1998 le Rwanda et leurs supplétifs du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) ont envahi notre territoire, doit impérativement être accompagnée par une volonté politique forte et des actions concrètes pour mettre fin au pillage de nos matières premières et pour garantir les droits des victimes à la justice, à la vérité, à des réparations et à des garanties de non répétition des crimes internationaux.
Pourtant, malgré les moyens alloués et les efforts déployés pour construire un nouveau « narratif », nous faisons le constat amer que cette volonté politique fait cruellement défaut au sein de l’administration actuelle, qui continue une politique de prédation et de bradage de nos ressources et d’externalisation de la sécurité à des pays qui sont les principaux acteurs de l’instabilité et du pillage, laissant notre population dans la misère et abandonnée à elle-même.
Ainsi, ce n’est pas que le 2 août que nous devons commémorer nos morts et le pillage des richesses du pays, mais chaque jour de l’année car le Génocost, loin d’être un jour de mémoire pour un scandale et un drame du passé, se poursuit tous les jours ! Tant que la volonté politique pour assurer une bonne gestion des minerais axée sur la durabilité et le bien-être de la population, pour réformer en profondeur nos services de défense, de sécurité et de renseignements, pour édifier un état de droit garantissant tant la sécurité physique que juridique et pour permettre des élections démocratiques et crédibles respectant la souveraineté populaire, une soi-disant élite politico-militaire corrompue agissant en collusion avec les pays voisins déstabilisateurs soutenus par certaines puissances et des multinationales avides de profits continuera de s’enrichir, et l’écrasante majorité de notre population croupira toujours dans la souffrance et la pauvreté.
Il y a urgence à changer de cap ! A l’instar de tous les peuples, la Nation congolaise a le droit de disposer de ses ressources et de vivre en paix, à l’abri des interférences et des ingérences étrangères.
Le droit et la justice internationale doivent s’appliquer partout de la même manière. Toutes les échelles de responsabilités – au niveau national, régional et international -doivent être établies, et le Rwanda et l’Ouganda sont dans l’obligation de rendre des comptes pour leurs agressions récidivistes et sur leurs rôles de premier plan dans le pillage et la commission de crimes les plus graves en RDC. Les Congolaises et les Congolais ont aussi droit à leur Nuremberg, et nous appelons à la création sans plus tarder d’un Tribunal International Pénal pour la RDC et des chambres spécialisées mixtes dans le cadre des efforts pour mettre en œuvre tous les outils de la justice transitionnelle en vue d’enrayer la spirale de la violence et de l’impunité.
Ce n’est que dans ces conditions que les pays de la région des Grands Lacs pourront se réconcilier et cohabiter pacifiquement, et que la RDC pourra honorer dignement ses morts, panser ses plaies et construire avec les générations futures une Nation débarrassée de l’exploitation, de la souffrance, de l’humiliation et de l’injustice.
Denis Mukwege
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