Intervenons-nous

À l’Est de la République démocratique du Congo, les femmes journalistes affrontent quotidiennement des défis majeurs pour informer sur des réalités profondément touchantes, telles que les violences sexuelles et les multiples formes d’injustice, dans un contexte sécuritaire de plus en plus critique depuis le début de l’année 2025.

C’est ce que révèlent les témoignages recueillis mardi 23 décembre 2025 auprès de journalistes exerçant à Bukavu et à Goma, deux villes où l’insécurité et la pression sur la liberté de la presse se sont accentuées.

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À Bukavu, Hélène Bujiriri, journaliste productrice à la radio communautaire Maendeleo, décrit des conditions de travail particulièrement compliquées.

« Les belligérants qui occupent certaines localités du Kivu essaient de tout contrôler », explique-t-elle, une situation qui freine le traitement de certaines informations et limite le choix des sources.

« Ce qui me touche, c’est de ne pas pouvoir utiliser mon micro pour parler des sujets profonds qui touchent les femmes, notamment le viol et les injustices. Je ne peux plus me déplacer à certains endroits à la recherche d’informations. »

Victime de menaces et d’intimidations en raison de certains sujets sensibles qu’elle traite, Hélène Bujiriri affirme rester guidée par le respect strict des règles d’éthique et de déontologie.

« Le journalisme est une passion. Informer passe avant tout, car je porte la voix de celles et ceux qu’on ignore et qu’on n’écoute pas, quelles que soient les circonstances », souligne-t-elle.

Elle rappelle que les femmes sont souvent les premières victimes des conflits.

« Sur les tables de négociation, ce sont généralement les hommes qui parlent, sans donner la parole aux femmes pour qu’elles expriment leur vécu et leurs besoins. La femme journaliste intervient pour donner cette parole et porter haut la voix de ces femmes jusqu’à ce qu’elles soient entendues », explique-t-elle.

Pour Hélène, le rôle de journaliste ne se limite pas à l’information.

« Faire venir les femmes pour qu’elles racontent ce qu’elles vivent et subissent des belligérants m’a permis de comprendre que mon rôle de porte-voix des femmes ne fait que commencer. »

Elle lance également un appel pressant pour la protection des femmes journalistes sur le terrain et un accompagnement psychologique adapté.

À Goma, prudence et vigilance

À Goma, Marasi Bénédicte Zoé met en lumière des contraintes similaires, accentuées par le manque de moyens logistiques et parfois l’absence d’informations fiables. « Les déplacements sur le terrain se font avec prudence, souvent sans garantie de sécurité », explique-t-elle.

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En tant que femme journaliste, Zoé fait face au harcèlement, au manque de considération professionnelle, à la stigmatisation et à l’insécurité renforcée par les risques de violences basées sur le genre.

« Les équipements de protection sont rares, les formations en sécurité insuffisantes et souvent réservées à quelques journalistes. La plupart du temps, nous comptons sur notre expérience et notre vigilance personnelle. »

Elle reconnaît avoir été intimidée après avoir traité des sujets sensibles : « J’ai alerté ma rédaction, renforcé ma discrétion sur le terrain et parfois pris une pause pour ma sécurité, sans pour autant renoncer à mon travail. »

Interrogée sur sa motivation à poursuivre son métier dans un contexte si dangereux, Zoé affirme : « Je crois profondément au rôle du journalisme dans la recherche de la vérité, la dénonciation des injustices et la défense des populations vulnérables. Abandonner serait céder au silence imposé par la peur. »

Elle souligne également l’importance du rôle spécifique des femmes journalistes dans la couverture des conflits.

« Elles apportent une approche plus humaine et sensible, notamment sur les impacts des conflits sur les femmes, les enfants et les communautés. Elles donnent une voix à ceux qui sont souvent oubliés. »

Les moments les plus marquants pour elle sont les témoignages des femmes déplacées victimes de violences. « Leurs récits ont renforcé ma détermination à continuer ce métier malgré les risques », précise-t-elle.

Pour améliorer la situation, Zoé plaide pour le renforcement des mécanismes de protection, la mise à disposition d’équipements de sécurité adaptés et l’accès à des formations spécialisées. Elle insiste également sur la nécessité de lutter contre l’impunité des violences visant les journalistes, en particulier les femmes.

« Protéger les journalistes, c’est protéger le droit du public à l’information », conclut-elle.

Cet article est produit dans le cadre du projet : Renforcement des capacités des jeunes journalistes et activistes pour la paix et la résilience dans l’Est de la RDC » soutenu par le Fonds Kris Berwouts et la Fondation Roi Baudouin.

Vinciane Ntabala

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