Intervenons-nous

Face à la montée préoccupante des discours de haine en ligne au Sud-Kivu, particulièrement dans la ville de Bukavu, plusieurs organisations de jeunes ont intensifié des actions de sensibilisation numériques et communautaires afin de préserver la cohésion sociale et le vivre-ensemble. Dans un contexte sécuritaire fragile marqué par des conflits armés persistants dans l’Est de la RDC, ces initiatives visent à contrer les messages stigmatisants qui circulent massivement sur les réseaux sociaux.

Depuis plusieurs années, la province du Sud-Kivu fait face à une prolifération de propos haineux en ligne, alimentés par l’instabilité sécuritaire, les tensions communautaires, la désinformation et certaines manipulations politiques. Ces discours, portés notamment sur Facebook, TikTok et WhatsApp, fragilisent les relations intercommunautaires et exposent certaines populations à la stigmatisation et à des violations répétées des droits humains.

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Munderere Esther, membre active de la communauté Banyamulenge, estime que la situation est alarmante. Elle souligne que la propagation de ces discours ne cesse d’augmenter et qu’elle entraîne des conséquences graves et durables, notamment la marginalisation de communautés, l’exacerbation de la violence, la perte de cohésion sociale et l’éclatement de conflits ouverts.

« Ces discours fragilisent la paix et compromettent les efforts de réconciliation. Ils touchent plusieurs domaines liés à la protection des droits de l’homme », explique-t-elle.

Pour y faire face, la communauté Banyamulenge, en collaboration avec d’autres organisations de jeunes, a mis en place des campagnes de sensibilisation en ligne et hors ligne axées sur la paix, la tolérance et le vivre-ensemble. Des espaces de dialogue intercommunautaire sont également organisés, notamment avec les jeunes, afin de promouvoir des messages positifs et des contre-discours sur les réseaux sociaux. Des sessions de formation à l’éducation aux médias sont aussi proposées pour renforcer la vérification de l’information avant tout partage.

Selon Munderere Esther, la prévention reste l’outil le plus efficace. Elle appelle les jeunes à adopter un comportement responsable et pacifique sur les réseaux sociaux.

« Ils doivent refuser de partager des messages haineux ou non vérifiés, promouvoir l’unité au-delà des appartenances communautaires et utiliser les réseaux sociaux comme des outils de sensibilisation positive. Les jeunes ont un rôle clé dans la construction de la paix », insiste-t-elle.

De son côté, Obonage Safari, Coordonnateur de l’organisation Cocorico asbl et chargé de Programme à La Prunelle RDC asbl attire l’attention sur la multiplication des directs sur TikTok et d’autres plateformes, souvent utilisés pour salir l’image d’individus ou de communautés entières.

« On y observe une circulation rapide de messages stigmatisants, de rumeurs et de propos identitaires, particulièrement en cette période de conflits armés », déplore-t-il.

Il avertit également que le phénomène est amplifié par l’usage abusif de l’intelligence artificielle, ce qui renforce les stéréotypes, alimente la peur de l’autre et compromet les efforts de réconciliation. Selon lui, certaines personnes ciblées ne peuvent plus circuler librement ni s’afficher publiquement comme membres de leur communauté.

Face à cette situation, Cocorico asbl mise à la fois sur des actions d’urgence et de prévention.

« Nous utilisons les réseaux sociaux comme des espaces de contre-discours, en diffusant des messages de paix, de tolérance et de responsabilité », explique Obonage Safari. Il cite notamment les projets Tufaulu PamojaKitabu Cha Amani et le développement d’applications numériques de signalement des discours de haine et de détection des manipulations numériques.

Ces actions sont complétées par le renforcement de l’éducation aux médias et à l’information, incluant la sensibilisation à l’intelligence artificielle pour permettre aux jeunes d’identifier les contenus faux ou manipulés.

Membre des Veilleurs du Web RDC, une organisation engagée dans la lutte contre les discours de haine en ligne, Fidèle Ushindi souligne que les périodes de crise sécuritaire, politique ou communautaire favorisent la diffusion rapide de contenus stigmatisants, souvent issus de rumeurs ou d’informations non vérifiées.

« Ces contenus se propagent parfois sans mauvaise intention apparente, mais avec des effets lourds sur la cohésion sociale », observe-t-il.

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Les Veilleurs du Web RDC surveillent, analysent et signalent activement les discours de haine et les fausses informations. Ils élaborent également des messages alternatifs positifs, fondés sur des faits vérifiés, et mènent des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes pour promouvoir un usage responsable des réseaux sociaux.

« À travers des campagnes numériques et le dialogue en ligne, nous œuvrons pour la tolérance, la paix, le respect des droits humains et la positivité du Web congolais », précise Fidèle Ushindi.

Il appelle les jeunes à devenir de véritables « acteurs de paix » en vérifiant les informations avant tout partage et en refusant de relayer des propos haineux.

Pour sa part, Judith Maroyi, militante du mouvement Lutte pour le Changement (LUCHA), estime que les discours de haine se sont intensifiés après l’occupation des villes de Goma et de Bukavu par la coalition AFC-M23. Elle note que plusieurs communautés, notamment des membres de la communauté tutsie non affiliés à la rébellion, mais aussi des Baluba vivant dans l’Est, ont été victimes de stigmatisation en ligne.

Consciente des dégâts causés par ces discours, LUCHA prône l’inclusion et participe à des campagnes numériques et communautaires en faveur du vivre-ensemble et de la paix.

Dans un contexte de guerre persistante dans l’Est de la RDC, la lutte contre les discours de haine demeure un défi majeur. Les jeunes, très actifs sur les réseaux sociaux, sont parfois instrumentalisés pour semer la division. Toutefois, les initiatives portées par ces organisations de jeunesse constituent des leviers essentiels pour inverser la tendance.

Toutes rappellent la nécessité d’un usage responsable des réseaux sociaux afin de contribuer à la paix, à la cohésion sociale et à une société débarrassée des discours de haine.

Cet article est produit dans le cadre du projet « Renforcement des capacités des jeunes journalistes et activistes pour la paix et la résilience dans l’Est de la RDC », soutenu par le Fonds Kris Berwouts et la Fondation Roi Baudouin.

Séraphin Mapenzi

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