Ce vendredi 10 décembre 2021, s’est clôturée la campagne internationale 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre. Cette année, en RDC, des Survivantes des violences sexuelles regroupées au sein du Mouvement National des Survivantes (MNSVS-RDC) se sont mises dans la peau d’un(e) Président(e) de la République, en proposant une réforme par jour, pendant 16 jours, pour lutter contre les violences sexuelles.
Pour marquer le coup de ce jour très symbolique, ces survivantes se sont réunies ce vendredi à l’Institut Français de Bukavu, pour une exposition interactive accompagnée de la projection du film « Lettre à mon enfant Fruit du Viol », réalisé par Bernadette Vivuya et inspiré du poème de Desanges Kabuo, Coordinatrice de ce Mouvement en Provinciale Sud Kivu.
Dans leurs expositions, les survivantes ont essayé de revenir sur leur calvaire dans la communauté et le traumatisme que cela leur apporte quotidiennement. D’où leur proposition d’une réforme élargie sur 16 jours, et dont se servirait le Président de la République, pour lutter contre les violences sexuelles.
Dans cette réforme, les survivantes reviennent sur ce que traversent les victimes et survivantes des violences sexuelles et ce qui devrait se faire, pour non seulement sortir ces dernières de leur traumatisme, mais aussi et surtout éviter la répétition de leurs histoires tragiques.
Au Premier Jour :
Citation de Desanges Kamate Kabuo (Coordinatrice Provinciale Sud Kivu du Mouvement des Survivant.e.s de Violences Sexuelles en RDC : “Mon fils compte, aujourd’hui il est comme un fantôme dans notre pays. Si il le veut, il doit pouvoir devenir Président de notre Nation !”
Dans la peau du président de la République Desanges exige que les enfants issus du viol puissent être reconnus officiellement par les administrations congolaises. « Nos enfants nés du viol ont droit à un statut juridique, condition indispensable pour qu’ils puissent jouir de leurs droits humains » insiste-t-elle, avant de conclure « sans cela, nous ne pourrons jamais leur garantir un bon épanouissement et un avenir serein. Le Congo est leur Nation et ils ont le droit d’être inscrits dans une école, de participer et se présenter à des élections ou encore fonder une famille avec des papiers officiels ».
Au deuxième jour :
Léontine Nabintu, Coordinatrice Provinciale Sud Kivu du Mouvement National des Survivantes en RDC : « Nous avons peur de cette armée censée nous protéger, mais qui compte beaucoup de nos bourreaux ».
Entant que président, Léontine Nabintu pense que chaque policier et chaque militaire ayant un passé criminel doit être immédiatement écarté des forces de sécurité et de défense.
« Une fois assainies, nos forces de police et de l’armée devront également suivre des formations spécialisées en violences sexuelles afin de pouvoir établir un premier contact et orienter une victime ou une survivante vers des services de prise en charge » soutien Léontine Nabintu.
Au troisième Jour :
Membre du Mouvement, une survivante témoigne sous couvert d’anonymat « Après avoir été violée par plusieurs hommes, j’ai marché des dizaines kilomètres pour trouver un hôpital qui pourrait me soigner. Une fois arrivée, personne ne me croyait. J’ai attendu sur une chaise pendant des heures avant d’être reçue par un médecin qui m’a juste auscultée avant de me laisser partir »
Comme président de la République cette survivante pense que des structures de prise en charge adaptées sur le modèle du one stop center (OSC) doivent être mises sur pied et organisées dans toutes les villes du pays touchées par les violences sexuelles.
Ces OSC doivent fournir au minimum des soins médicaux avec un€ gynécologue et un(e) infirmier(e) ; un(e) psychiatre/psychologue ainsi qu’une clinique juridique qui pourra conseiller et accompagner la survivante afin qu’elle porte plainte auprès de la police et qu’elle puisse préparer sa défense contre ses bourreaux. Ces structures et toutes les étapes de la prise en charge doivent être totalement gratuites et doivent permettre aux victimes de n’avoir à raconter leur histoire qu’une seule fois afin d’éviter des traumatismes supplémentaires.
Au quatrième Jour :
Tatiana Mukanire, Coordinatrice Nationale du Mouvement soutien que “ Les réparations donnent de l’espoir aux survivant(e)s. Elles ne sont pas seulement financières, c’est surtout la reconnaissance de notre souffrance. C’est une question d’honneur pour nous. Les réparations sont un des piliers de la justice transitionnelle et doivent être lancées en parallèle de poursuites judiciaires et recherche de la vérité ”
Comme président de la République, Tatiana exige des réparations et l’adoption d’une stratégie nationale et d’une politique de réparation en vue de la promulgation d’une loi organisant des réparations au niveau national avec une approche centrée sur les victimes répondant aux besoins des survivant(e)s.
Au cinquième Jour :
Membre du Mouvement, une autre survivante raconte sous anonymat « Alors que je rentrais à Goma après effectué une séance de sensibilisation et une mission d’aide à la prise en charge d’une femme victime d’extrême violence sexuelle à Rutshuru; 3 hommes ont surgi de la forêt et m’ont violée. Prise en charge par un centre hospitalier catholique, je pensais avoir reçu un kit PEP complet, mais sans me le dire, des membres du personnel hospitalier ont retiré la pilule du lendemain du kit »
Suite à cette situation et come président, cette survivante exige que tous les centres de santé appliquent le protocole de maputo pour faciliter l’avortement en cas de grossesse à la suite de violences sexuelles.
Sixième Jour :
Guillaumette Tsongo, Coordinatrice Adjointe du Mouvement témoigne » Plusieurs fois, en allant aider d’autres survivant(e)s ayant fait appel à notre mouvement car elles venaient de se faire violer, nous avons dû nous-même payer le transport de la police afin qu’ils s’occupent des agresseurs. Même pour ouvrir des dossiers judiciaires, on nous demande presque systématiquement de l’argent. C’est honteux ! D’ailleurs, quand la victime parvient à surmonter tous les obstacles et que l’auteur est arrêté, ce qui est assez rare, celui-ci est libéré avant même son procès à cause du manque d’intégrité des magistrats qui sont bien trop souvent corrompus «
Dans sa peau du président elle soutient la mise en place des mesures contraignantes pour les officiers de police judiciaire et les magistrats qui font payer aux survivant(e)s des frais de justice en cas de violences sexuelles. Des mesures disciplinaires exemplaires doivent aussi être appliquées à l’encontre des magistrats et des juges corrompus.
Septième Jour :
Anita, Coordinatrice Provinciale Nord Kivu, parle » beaucoup ne nous voient pas comme des victimes et au lieu d’avoir le réflexe de nous protéger et de nous défendre, souvent nos familles et nos communautés nous rejettent. C’est incompréhensible ! La honte devrait être sur nos agresseurs qui doivent se retrouver devant la justice pour les crimes qu’ils ont commis «
Dans sa peau du président, elle opte pour une campagne nationale destinée à toute la population afin de conscientiser tous les congolais sur la nécessité d’éviter de stigmatiser les victimes et les survivant(e)s de violences sexuelles dans nos communautés. Cette campagne pédagogique doit être diffusée sur tous les canaux possibles et sur toute l’étendue du territoire congolais.
« La population doit savoir, doit comprendre et doit lutter avec nous pour guérir notre société malade mentalement » insiste Anita.
Huitième Jour :
Mamy Kitsa, Coordinatrice Adjointe Nord Kivu révèle « certains journalistes nous parlent comme si nous étions des sous-humains. Ils se permettent de nous demander de raconter notre histoire à n’importe quel moment comme si nous pouvions le faire sur commande et comme si le fait d’en parler ne pouvait pas raviver en nous des souvenirs douloureux. Ils doivent apprendre à se mettre à la place de l’autre et à partager et traiter les informations qu’ils reçoivent avec respect »
Comme réforme, elle propose que les journalistes doivent suivre une formation spécialisée sur les questions de violences sexuelles afin de savoir comment aborder et interviewer un(e) victime ou une survivant(e)s. « Ils doivent exercer leur métier avec empathie et respect »
Neuvième Jour :
Citation de Aline Kanega, Coordinatrice Adjointe, » Il y a encore quelques semaines, nous avons appris qu’à Shabunda des fosses communes étaient peut-être en train d’être spoliées. Cela doit nous alerter quant à l’urgence de rapidement récolter et sécuriser les preuves des massacres commis sur le sol congolais.Notre peuple à trop souffert, des centaines de milliers de personnes ont disparus. Nous ne pouvons pas pleurer nos morts et nous ne pouvons reconstituer notre mémoire. Personne ne peut se relever de cela, aucuns peuples. La vérité doit être exhumée, pour que nous puissions aller en justice et enfin regarder vers le futur »
Comme président, elle pense que les fosses communes doivent être sécurisées par des experts en anthropologie médico-légale afin de récolter et conserver dès à présent les preuves qui permettront de traduire en justice, prérequis indispensable pour instaurer la paix durable dans notre pays.
Dixième Jour :
Adrienne Kaseka, Coordinatrice Provinciale Kasai Central témoigne » Chez moi, au Kasaï, et comme si cela faisait réellement partie de nos traditions, nous sommes vues comme des fautives parce-que nous avons été violées. Partout où nous allons, dans nos familles, dans notre entourage, nous portons le poids de ces regards accusateurs incessants. Il est temps que la honte change véritablement de camp. Si le président dit tout haut et fort, publiquement, que la Nation s’excuse pour les horreurs que nous avons vécues et que nous continuons à vivre ; je suis sûre que le regard que les gens portent sur nous pourra enfin changer. Et là, tout pourra commencer à s’améliorer pour les survivant.es. C’est sa responsabilité aujourd’hui de se battre pour notre dignité à tous. «
Comme chef de l’Etat et représentant de la nation congolaise, Adrienne pense qu’elle doit reconnaître la souffrance des victimes en présentant des excuses publiques au nom des institutions qui ont failli à leur obligation de protéger la population en temps utile. Cette réparation symbolique pourrait être le coup d’envoi d’une réelle politique de réparation pour les survivantes et les familles des victimes congolaises.
Onzième Jour :
Adrien Kanega, membre du mouvement attire l’attention de l’Etat « Nous le voyons tous les jours, ces enfants fruits du viol sont particulièrement vulnérables. Ils n’ont rien demandé à personne et se retrouvent là, dans notre pays, à porter des fardeaux. Ils souffrent beaucoup et peuvent devenir un danger si nous ne les protégeons pas et si nous ne leur donnons pas de l’amour. Ils ont tous besoin d’une prise en charge et d’une attention spéciale et adaptée »
Comme chef de l’Etat, Adrien exige l’identification de tous les enfants issus du viol dans toutes les communautés affectées par les violences sexuelles commises à grande échelle afin que leur scolarité et leurs besoins soient entièrement pris en charge par l’état et qu’ils puissent être suivis étroitement par des psychologues.
Douzième Jour :
Julienne, membre du mouvement au Sud Kivu parle de sa situation « Je suis tombée enceinte à l’âge de 15 ans après avoir été violée. J’ai été contrainte d’arrêter les cours parce que l’école catholique dans laquelle j’étais n’acceptait pas les élèves enceintes. J’ai subi une double injustice ! La société devrait pourtant aider toutes les filles et les femmes dans ma situation, stigmatisées et écartées de la scolarité comme si nous étions responsables de notre malheur. J’ai ressenti une grande tristesse et une profonde injustice à tous les niveaux. La société congolaise a pourtant tout à gagner à avoir une population instruite et avec les capacités de travailler pour gagner sa vie »
Dans sa peau de présidente de la République, elle pense que le parcours scolaire et la carrière des filles et des femmes devenues mères à la suite d’un viol doivent être sécurisés par des mesures de facilitation de réinsertion scolaire et des programmes de formations visant à assurer leur stabilité économique et leur autonomie.
Treizième Jour :
Guillaumette Tsongo , revient et parle « Souvent j’ai ce sentiment que nous sommes invisibles. Même après avoir brisé le silence, nos voix semblent encore être en sourdine. Les politiques et les initiatives qui nous concernent sont souvent définies sans nous. C’est inacceptable ! Nous avons décidé de forcer toutes les portes car il est important de comprendre que tout ce qui est fait pour nous, mais sans nous, est fait contre nous. »
Comme présidente du pays, elle croit que les femmes doivent avoir une participation significative dans toutes les instances publiques et ce du niveau local jusqu’au sommet de l’état. « Notre société ne pourra pas relever les grands défis en excluant la majorité de sa population » soutient Guillaumette.
Quatorzième Jour :
Membre du Mouvement, elle témoigne sous anonymat « J’ai eu l’opportunité de suivre une formation sur le commerce formel et sur la négociation des minerais congolais. Malheureusement, en RDC, il est très compliqué d’œuvrer de manière formelle dans le secteur minier artisanal. Beaucoup d’intermédiaires, qui appartiennent parfois à des groupes armées ou qui représentent les forces de notre État, sont actifs dans la chaîne de valeur. Le secteur reste trop insécurisé pour nous, les femmes. Parmi les nombreuses agences de l’État actives dans le secteur, aucune ne facilite l’inclusion des personnes vulnérables »
Comme présidente de la République, elle compte sur la mise en place des mesures qui sécuriseraient le secteur minier afin que les femmes puissent s’y investir et tirer bénéfice des dividendes du commerce des minerais précieux qui a été et reste trop souvent la source de violence et de souffrance. Le secteur minier doit être inclusif et profitable aux congolais.
« L’état doit mettre en place une réforme fiscale qui rendrait avantageux le commerce formel et nous permettrait de combattre la contrebande et ainsi, les intermédiaires illicites qui utilisent leurs profits pour continuer les cycles de violence » insiste-t-elle.
Quinzième Jour :
Desanges Kabuo, Coordinatrice Provinciale Sud Kivu parle « Nous qui sommes ici à l’Est du pays, depuis 25 ans que connaissons d’autre que la guerre ? Dans toutes les familles, quelqu’un est touché par les violences de la guerre, les viols comme arme de guerre. Nous avons cette légitimité à lever nos voix pour nos familles, pour nos enfants, pour nos communautés. Plus que quiconque, cette paix nous en rêvons sans jamais nous fatiguer. Nous avons développé cette résilience qui nous donne la force de nous battre avec notre cœur pour obtenir la justice, la vérité et donc cette paix qui en est tant tributaire. Rien ne pourra nous arrêter ! »
La présidente Desanges pense qu’il n’y aura pas de paix durable tant que les survivant(e)s de violences sexuelles ne seront pas pleinement associés aux efforts pour l’instauration de la paix durable et la consolidation de la démocratie et de l’état de droit.
« Nos voix doivent être entendues à tous les niveaux de décision et nous devons être à la table des négociations de paix pour contribuer à mettre fin aux cycles de violence et d’impunité » insiste-t-elle.
Seizième jour :
Tatiana Mukanire Coordinatrice Nationale du mouvement explique « à Kinshasa, certaines personnes ne savent même pas ce que nous vivons à l’Est du pays. Les gens ne se rendent pas compte de la situation. Ils ne connaissent ni les acteurs, ni les chefs d’orchestre, ni les victimes… Pour que notre Nation puisse se lever, il faut une prise de conscience collective, un sentiment d’injustice collectif, un amour pas seulement pour la patrie congolaise, mais également pour le peuple congolais. Tant que nous ne serons pas indivisibles, tant que l’argent aura plus d’importance que l’humain dans notre pays, nous ne nous en sortirons jamais. Ce que nous vivons est un cancer généralisé du a l’ignorance de la majorité. Une ignorance qui permet à un petit nombre de laisser faire et de participer notre destruction »
Elle pense que la lutte contre les violences sexuelles est un engagement de tous et concerne tout le monde. Dans la peau du président elle pense que la situation du pays devrait être enseignée dans les écoles pour permettre une compréhension globale des problèmes géopolitiques et géostratégiques qui impactent sur le Congo. « Ainsi, on pourra éviter une répétition de l’histoire » pense Coordinatrice Nationale du MNSVS-RDC
Bertin Bulonza