À Bukavu, au Sud-Kivu, les journalistes locaux exercent leur métier sous une pression constante, confrontés à l’intimidation, à l’autocensure et à l’insécurité. Dans un contexte de guerre et d’occupation partielle de la ville par le mouvement AFC-M23, couvrir les actualités est devenu un véritable défi. La fermeture de médias et la suspension des activités de nombreux partenaires aggravent la situation, limitant souvent la couverture aux sujets non sensibles tels que la culture, la santé ou la vie quotidienne.
Certains journalistes témoignent de conditions de travail extrêmement difficiles. Une journaliste, qui souhaite rester anonyme, raconte.
« Accusée d’avoir diffusé des informations compromettantes, je suis devenue la cible d’un des camps. Malgré ma prudence, j’ai reçu des menaces explicites. Faute d’accès aux fonds du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) parce que les banques étaient fermées, j’ai dû rester sur le terrain. »
Elle explique que les pressions se sont intensifiées.
« Des éléments wazalendo me partageaient des informations mais se retournaient contre moi, m’accusant de trahison à cause de ma morphologie, tandis que l’autre camp m’accusait d’être associée à l’ancien pouvoir. Isolée et suspectée par les deux camps, j’ai continué à exercer anonymement, avec de fortes restrictions sur ce que je pouvais publier. »
Un autre journaliste sous anonymat ajoute : « Nous travaillons dans des conditions difficiles. Nous ne traitons pas les informations sensibles pour notre sécurité, et même celles qui mettent en valeur le pouvoir de Kinshasa sont parfois ignorées pour éviter les conflits avec les occupants. »
Selon lui, « Certains sujets très sensibles sont envoyés à d’autres médias hors de la province capables de les diffuser. Nous demandons à la population de faire preuve de patience et de compréhension. Nos doyens disent toujours : ‘Mieux vaut un mauvais journaliste vivant qu’un bon journaliste mort.’ »
Les journalistes de Bukavu subissent des menaces directes, des intimidations, voire des enlèvements et tortures.
« Ces pressions visent à nous faire taire. Renoncer à notre profession par peur serait donner raison à nos bourreaux », confie un journaliste.
Ces pressions influencent fortement le choix des sujets à traiter.
« J’ai compris que toute vérité n’est pas bonne à dire. Accéder à une information sensible ou à un scoop ne doit pas nous rendre fiers : c’est un risque. Parfois, je modifie ou renonce à publier certaines informations par crainte pour ma sécurité, mais je conserve engagement et détermination », ajoute-t-il.
L’autocensure s’est installée dans les rédactions, à la fois de manière individuelle et collective. Les journalistes évitent de traiter des sujets sur la gouvernance, la sécurité ou les droits humains, ce qui nuit à la qualité de l’information et prive la population de son droit à être informée.
« Dans le contexte actuel, il n’y a plus de sujets simples : tout est devenu sensible », dénonce un journaliste.
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Pour poursuivre leur travail malgré les risques, les journalistes adoptent plusieurs stratégies.
- Étudier les risques, prendre des précautions et adopter de bonnes méthodes avant la collecte, le traitement et la diffusion des informations.
- Maintenir un profil bas en cas de menaces.
- Travailler dans la discrétion lors d’enquêtes sensibles.
Une journaliste ajoute : « Nous continuons à exercer notre métier en conservant la neutralité dans le traitement de l’information. Certaines couvertures se font à distance, en collaboration avec des personnes présentes sur le terrain. »
Les journalistes pointent le manque de protection des autorités et de la justice. Les ONG restent souvent la seule ligne de défense contre les menaces.
« La plupart des risques proviennent du gouvernement ou des autorités qui souhaitent cacher la vérité », explique un journaliste.
Pour garantir la liberté de presse et la sécurité des journalistes à Bukavu, plusieurs mesures sont urgentes : renforcer la solidarité entre journalistes pour se protéger mutuellement, sensibiliser les autorités sur la liberté, l’impartialité et l’indépendance des médias, former les journalistes à la sécurité physique et numérique, et à la gestion des menaces, Informer la population sur le rôle et l’importance des journalistes afin de réduire les confusions et les attaques ciblées.
« Toute épreuve doit servir de leçon pour devenir des professionnels. La vérité doit être traitée avec sagesse », souligne un journaliste.
« Les sujets touchant les droits humains ou la gouvernance ne sont plus traités impartialement. L’autocensure est devenue une nécessité pour survivre », ajoute un autre.
« La communication et le soutien aveugle à des antivaleurs deviennent tentants par peur, ce qui menace l’avenir du journalisme à Bukavu », avertit un professionnel.
Dans ce contexte de crise sécuritaire, les journalistes de Bukavu continuent à informer la population malgré les risques, faisant preuve de courage, de prudence et de résilience. Mais la situation reste préoccupante, et la protection de la presse demeure une urgence pour préserver le droit des citoyens à l’information.
Divine Busime

