Dans l’est de la République démocratique du Congo, la désinformation est devenue un phénomène récurrent aux conséquences parfois dramatiques. Faux communiqués, fausses alertes sécuritaires, vidéos truquées ou images générées par intelligence artificielle circulent massivement sur les réseaux sociaux et par bouche-à-oreille, provoquant panique, déplacements de populations et paralysie des activités socioéconomiques, notamment à Bukavu, Uvira, Walungu, Mwenga, Kalehe, Kabare, etc.
Ces fausses informations prennent souvent la forme de messages WhatsApp, d’audios anonymes ou de prétendus communiqués officiels partagés sur Facebook. En quelques minutes, elles touchent un grand nombre d’habitants. Les conséquences sont immédiates : marchés qui se vident, taxis et motos qui disparaissent, écoles et commerces fermés, populations dispersées dans la peur, avec parfois des risques élevés d’accidents et des familles contraintes à la fuite.
À Bukavu et dans plusieurs territoires du Sud-Kivu, certaines fake news ont occasionné des déplacements massifs et un profond traumatisme collectif. Jospin Cibalwira, habitant de Bukavu, cite plusieurs cas emblématiques de désinformation ayant semé la panique dans la province.
Il évoque notamment une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux annonçant la prise du territoire de Walungu par l’AFC M23, alors que les rebelles n’y étaient pas encore présents.
« Cette vidéo a provoqué des polémiques et des déplacements massifs de populations », explique-t-il.
Il rappelle également la diffusion d’images créées par intelligence artificielle montrant des crocodiles à la place de l’Indépendance à Bukavu après une forte pluie, suscitant inquiétudes et interrogations au sein de la population.
Autre cas marquant : depuis le 3 février, une information largement relayée affirmait que les rebelles du M23 avaient pris le contrôle de Kavumu, localité située à environ 25 kilomètres de Bukavu. Cette rumeur était accompagnée d’une vidéo montrant une population acclamant l’arrivée de militaires.
En réalité, l’information était fausse : la vidéo provenait de la ville de Goma lors de la prise de cette ville par les rebelles. Pourtant, cette fake news a provoqué une forte panique à Bukavu et à Kavumu, poussant certaines familles à se déplacer alors que les rebelles n’étaient pas encore dans la zone.
Dans un autre cas, une image largement partagée présentait des troupes kényanes prétendument déployées en RDC. Là encore, il s’agissait d’une image générée par intelligence artificielle. Sa diffusion a alimenté la peur d’une escalade du conflit et conduit certains habitants à se déplacer vers des zones jugées plus sûres.
Loni Irenge, vérificateur des faits à Cunguza Habari, rapporte des cas similaires observés en février dernier, lors de l’occupation de certains territoires du Sud-Kivu par l’AFC-M23. Des messages et audios circulaient dans des groupes WhatsApp et sur Facebook, souvent sous le slogan « allo groupe », appelant les habitants à ne pas vaquer à leurs occupations en raison de supposés affrontements imminents à Bukavu et à Kabare.
« Cette situation a placé plusieurs habitants dans des conditions extrêmement difficiles, dans des lieux sans accès à l’eau potable, à la nourriture ou aux soins de santé. D’autres ont même perdu la vie, car beaucoup n’ont pas exercé leur esprit critique et ont cru à ces fausses alertes », regrette-t-il.
Dans la même période, des individus inconnus ont fait circuler des messages se faisant passer pour des autorités de l’AFC-M23, demandant à tous les jeunes hommes de raser leur chevelure, renforçant davantage la peur et la confusion.
La désinformation ne concerne pas uniquement la sécurité. Justin Mwamba, fact-checkeur à Congo Check, rappelle un cas survenu en 2020, lors de la pandémie de COVID-19. Un faux communiqué annonçant une campagne de vaccination dans des écoles avait circulé, accompagné de nombreuses rumeurs.
« Cela avait semé la peur et poussé certains parents à empêcher leurs enfants d’aller à l’école », se souvient-il.
Face à cette situation, les professionnels de la vérification de l’information appellent à la prudence. Loni Irenge exhorte la population à cultiver l’esprit critique, à vérifier la source d’une information, à analyser sa cohérence et à éviter de se laisser manipuler par des titres sensationnels.
Justin Mwamba insiste également sur la nécessité du doute et de la vérification systématique.
« Ayez toujours le temps de vérifier, même auprès de cinq ou six personnes crédibles, avant d’agir ou de paniquer », conseille-t-il, recommandant le recours aux médias de fact-checking et aux autorités habilitées à publier des communiqués officiels.
Observés dans plusieurs coins du Sud-Kivu, ces faits de désinformation ont des conséquences bien réelles : peur, déplacements, pertes économiques et perturbation durable de la vie sociale. Même partagées sans mauvaise intention, les fausses informations peuvent provoquer des dégâts importants.
Dans une province déjà fragilisée par des années de conflit, de nombreux acteurs s’accordent sur une même urgence : renforcer la vigilance citoyenne, vérifier avant de partager et assumer collectivement la responsabilité de freiner la propagation des fake news
Cet article est produit dans le cadre du projet : Renforcement des capacités des jeunes journalistes et activistes pour la paix et la résilience dans l’Est de la RDC » soutenu par le Fonds Kris Berwouts et la Fondation Roi Baudouin.
Brigitte Furaha

