Intervenons-nous

    La Cour d’assises de Paris a condamné, ce lundi, Roger Lumbala, ancien chef d’un groupe armé congolais, à 30 ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité. Les faits jugés remontent aux années 2002 et 2003, en pleine deuxième guerre du Congo, un conflit marqué par une violence extrême et par la prédation systématique des ressources naturelles et minières de la République démocratique du Congo (RDC).

    Dans une déclaration rendue publique après le verdict, le gynécologue congolais et Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege qualifie ce procès de « véritablement historique », estimant qu’il brise le cycle de l’impunité qui a longtemps caractérisé les crimes commis lors des conflits armés (internes et internationaux) que connaît la RDC depuis les années 1990.

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    Selon Denis Mukwege, il s’agit de la première condamnation, par un tribunal indépendant, de l’un des nombreux auteurs de crimes internationaux, de violations graves des droits humains et du droit international humanitaire perpétrés durant ces conflits. Des crimes qui avaient pourtant été inventoriés et documentés par les experts des Nations Unies dans le Rapport Mapping, publié en 2010, mais qui, rappelle-t-il, « continue de moisir dans les tiroirs des Nations Unies à Genève », comme il l’avait déjà dénoncé à Oslo en décembre 2018.

    Au cours du procès, le ministère public et les parties civiles ont décrit le mode opératoire du Rassemblement des Congolais démocrates et nationalistes (RCD-N), le groupe rebelle dirigé par Roger Lumbala, soutenu par l’Ouganda et le Mouvement de Libération du Congo (MLC).

    Ces faits se sont déroulés durant la tristement célèbre « Opération Effacer le Tableau », au cours de laquelle les populations civiles du nord-est de la RDC ont été victimes de graves exactions : exécutions sommaires, viols massifs utilisés comme arme de guerre, esclavage sexuel, tortures, travail forcé, pillages et arrestations arbitraires.

    Ces éléments ont permis à la justice française de qualifier juridiquement ces atrocités de crimes contre l’humanité, commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile.

    Le procès s’est tenu devant une juridiction française sur la base du principe de la compétence universelle, qui autorise les tribunaux nationaux à poursuivre et juger les crimes internationaux les plus graves, indépendamment du lieu où ils ont été commis ou de la nationalité des auteurs et des victimes.

    Pour Denis Mukwege, ce premier procès devant un tribunal compétent et indépendant ne doit pas rester un cas isolé. Il estime qu’il doit constituer « le premier jalon d’une avancée historique vers la justice » pour les survivants des atrocités de masse commises en RDC et vers la fin de l’impunité pour les auteurs de crimes imprescriptibles.

    Dans sa déclaration, le Prix Nobel de la Paix appelle à l’ouverture d’autres procédures judiciaires fondées sur la compétence universelle, devant des juridictions nationales en Europe, en Afrique ou ailleurs.

    Il souligne toutefois que des mécanismes judiciaires de reddition des comptes devraient également être mis en place en RDC, au plus près des lieux où les crimes ont été commis. S’il reconnaît que les tribunaux militaires congolais ont parfois rendu justice pour des crimes plus récents, Denis Mukwege déplore une absence de volonté politique pour poursuivre les auteurs présumés des crimes documentés par le Rapport Mapping, notamment lorsque des armées étrangères, en particulier celles de l’Ouganda et du Rwanda, étaient impliquées.

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    Alors que les guerres successives au Zaïre puis en RDC ont causé un nombre incalculable de victimes, il appelle les autorités congolaises à prendre des mesures concrètes et sérieuses pour enquêter sur les atrocités commises depuis près de trente ans et pour juger les auteurs comme les commanditaires, qu’ils soient congolais ou étrangers.

    Denis Mukwege plaide également pour la mise en place rapide d’une juridiction pénale internationale ou internationalisée, avec l’appui des Nations Unies et des partenaires techniques et financiers, afin de juger les plus hauts responsables de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide commis au cours des trois dernières décennies.

    Il estime que le fait que la RDC s’apprête à siéger au Conseil de sécurité des Nations Unies constitue une fenêtre d’opportunité unique pour faire avancer ce processus. Il appelle en outre le Parlement congolais à adopter sans tarder une loi portant création de Chambres spécialisées mixtes ou hybrides, intégrées aux Cours d’appel des provinces concernées, afin de juger d’autres auteurs présumés de crimes de masse.

    Pour Denis Mukwege, le procès de Roger Lumbala envoie un signal fort à l’ensemble des auteurs de crimes internationaux commis en RDC. Il espère qu’il préfigurera la mise en œuvre d’une véritable politique nationale de justice transitionnelle, garantissant aux victimes et aux communautés martyrisées leurs droits à la justice, à la vérité, à des réparations et à des garanties de non-répétition.

    Cela suppose, selon lui, une réforme profonde du secteur de la sécurité, l’assainissement des forces de défense et de sécurité ainsi que des services de renseignement.

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    Il conclut en soulignant que ce premier procès représente une lueur d’espoir pour les victimes congolaises, les survivantes et les communautés qui réclament la fin de l’impunité et se disent prêtes à témoigner devant d’autres juridictions compétentes.

    « Nous avons l’obligation juridique et morale de les soutenir et de répondre à leur soif de justice », affirme-t-il.

    Jean-Luc M.

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