Alors que le chercheur français Didier Raoult est depuis longtemps discrédité par ses pairs, les autorités sanitaires ont finalement livré mercredi une charge sans précédent contre les pratiques qu’il a supervisées durant des années. De « graves manquements » de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) dirigé par Didier Raoult.
L’IHU de Marseille a été le cadre « de graves manquements et non-conformités à la réglementation des recherches impliquant à la personne humaine », a résumé dans un communiqué l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui publie les conclusions d’une enquête menée fin 2021.
Didier Raoult, qui dirige encore l’IHU pour quelques mois, a acquis une importante célébrité médiatique depuis deux ans en tenant des positions, aujourd’hui discréditées, sur le Covid-19, notamment l’efficacité supposée de traitements comme l’hydroxychloroquine.
C’est la première fois que les autorités sanitaires s’attaquent aussi explicitement au Pr Raoult. Il est déjà poussé vers la sortie par son autorité de tutelle, les hôpitaux de Marseille (AP-HM), et blâmé par l’Ordre des médecins.
Le réquisitoire de l’ANSM, qui confirme largement des révélations de L’Express et Mediapart, ne concerne pas le Covid et remonte bien avant. L’autorité accuse l’IHU de s’être affranchi pendant des années de multiples règles pour mener des recherches sur des patients.
« Les règles éthiques n’ont pas été systématiquement respectées, ne permettant pas d’assurer la protection des personnes à un niveau suffisant« , indique l’ANSM dans son communiqué, qui accompagne un rapport plus détaillé.
La justice saisie
A de multiples reprises, des essais ont ainsi été engagés sans obtenir l’avis obligatoire d’un comité indépendant ni, parfois, le consentement de tous les patients examinés.
C’est par exemple le cas de prélèvements rectaux réalisés au début des années 2010 sur des enfants atteints de gastro-entérite. Pour des dizaines d’entre eux, le consentement des parents est absent.
En conséquence, l’ANSM annonce deux types d’actions.
L’une, menée par ses propres soins, consiste à demander l’interruption des essais entamés irrégulièrement et imposer « des actions correctives et préventives » pour remettre en bon ordre les recherches à l’IHU.
Ces mesures ne seront pas immédiates, puisque l’ANSM doit passer par une procédure contradictoire avec l’IHU ainsi que l’AP-HM, dont la responsabilité est aussi mise en cause.
Parallèlement, l’ANSM annonce saisir la justice, ce qu’elle avait déjà fait à l’automne lors de la publication de l’enquête de Mediapart.
Comme à l’époque, elle accuse l’IHU d’avoir mené des essais irréguliers, mais elle y ajoute une autre charge: lui avoir communiqué un faux document pour justifier le lancement d’une des recherches incriminées.
En revanche, les autorités sanitaires attendent d’en savoir plus sur le volet le plus spectaculaire des accusations contre l’IHU: depuis des années, ses équipes expérimentent des traitements censés lutter contre la tuberculose malgré leur absence d’efficacité.
L’enquête continue
Alors que les autres manquements sont essentiellement déontologiques, ces pratiques ont eu des conséquences dramatiques. Chez nombre de patients tuberculeux, des effets secondaires graves ont été enregistrés, allant dans un cas jusqu’à imposer une opération chirurgicale.
Mais l’ANSM estime qu’elles ne constituaient pas en tant que telles un essai clinique et ne se considère pas en mesure d’intervenir directement sur le sujet car il dépasse son domaine de compétences d’autorité réglementaire.
Or, la ligne de défense de M. Raoult se concentre sur ce volet.
« Satisfait que l’ANSM constate qu’il n’y a jamais eu le moindre essai thérapeutique sur la tuberculose (…), contrairement aux allégations contenues dans l’enquête interne de l’AP-HM et dans les articles de Mediapart« , a dit Didier Raoult, qui estime dans un communiqué que les « reproches » de l’ANSM sur d’autres études « ne paraissent pas justifier une remise en cause du projet IHU dans son ensemble ».
Pour autant, même à supposer l’absence de recherches à proprement parler, le rapport de l’ANSM est loin de dédouaner l’IHU, attaquant un choix de traitements qui « n’apparaît pas justifié ». L’autorité compte poursuivre son enquête et n’exclut pas, à terme, de saisir aussi la justice à ce propos.
L’AP-HM a affirmé, dans un communiqué, mettre en œuvre « l’ensemble des recommandations à effet immédiat », dont la suspension des recherches réalisées sans avis d’un comité, et se tenir « à disposition de l’ANSM et de la justice pour toutes les enquêtes ultérieures ».
Contacté par l’AFP, le parquet de Marseille a indiqué qu’il a « pris connaissance de la communication » de l’ANSM et « décidera de la suite pénale à donner après analyse des éléments mis en évidence dans le cadre de l’enquête administrative ».
Le ministère de la Santé n’a pas souhaité faire de commentaire, comme l’Ordre des médecins, qui a dit vouloir « prendre pleinement connaissance du rapport ».
Une autre enquête est menée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la façon dont est géré l’IHU.
Avec AFP