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«Bukalenga bwetu » : Tshisekedi, Tshisekedistes et néo-patrimonialisme à Kinshasa. C’est le titre d’une tribune de Josaphat Musamba, Doctorant à Ghent University et Chercheur au GEC-SH/CERUKI.

Dans cette tribune que vous propose LaPrunelleRDC.info, Josaphat Musamba revient sur des méthodes de Tshisekedi et des Tshisekedistes pour conserver le pouvoir, en voulant « à tout prix » imposer la seule volonté du Président de la République, au détriment d’autres institutions. Pourtant, rappelle ce citoyen congolais, ces pratiques avaient été fortement dénoncées par le camp Tshisekedi alors dans l’opposition. (Tribune).

« Bukalenga bwetu » : Tshisekedi, Tshisekedistes et néo-patrimonialisme à Kinshasa

Le 24 janvier 2019, Felix Antoine Tshisekedi accédait à la tête de l’Etat en prenant la tête de l’Institution Président de la République. Dans son discours, en marge des éloges taris à son prédécesseur devenu son coalisé, il a annoncé des reformes dont l’Etat de droit et le Peuple d’abord. Dans le parcours commun, les luttes internes et blocages ne lui ont permis d’amorcer des reformes, ainsi le chef de l’Etat décida de la rupture d’avec le FCC.

Les faits ont permis de voir des pratiques contrastant avec les credo démocratiques alors que le camp présidentiel reproduisait des pratiques Kabilistes tout en les légitimant dans la constitution. Profitant d’un contrôle effectif du parlement et hautes juridictions nationales, exigeant loyauté envers le chef de l’Etat contre avantages, la démocratie tant vantée par le parti présidentiel a tourné au néo – patrimonialisme. En étudiant le néo-patrimonialisme et démocraties africaines, Sigman et Lindberg (2017) définissent le néo-patrimonialiste en ces termes « (…) regime as one includes clientelism, presidentialism and the use of public resources for private/political benefits ». Ce blog vise à démontrer les pratiques néo-patrimonialistes au pouvoir exécutif qui sont devenues comme des normes courantes, déconstruire l’argument dominant qui considère l’institution Président de la République comme le centre de tous les pouvoirs dans un État moderne comme la RD Congo.

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Alors que la communauté internationale isolait Joseph Kabila et son camp, dénonçait les pratiques néo-patrimoniales ; la passation pacifique arrangée devrait faire la différence. Si d’un côté Martin Fayulu Madidi contestait la victoire Tshisekediste, la CENCO renforçait les clous de l’autre côté. Contre toute attente, la coalition FCC-CACH vit jour avec pour objectifs assurer la passation pacifique du pouvoir et stabiliser le pays. Puisque Tshisekedi accédait de manière controversée à la présidence, le FCC ayant piloté le processus électoral accaparait autant des hémicycles provinciaux que de l’Assemblée nationale et le Sénat détenant ainsi une majorité flottante[1]du pouvoir législatif. [1]Le FCC n’avait pas une mainmise sur les députés et politiciens aigris

Sur vingt-six provinces, vingt d’entre-elles ont été occupées par le FCC alors que CACH, Lamuka et d’autres partis se partageaient le reste. Devenant parti présidentiel, LUDPS, sans contrôle des parlements provinciaux, de l’Assemblée nationale autant que du Sénat, alla remplir ses caporaux et alliés à la présidence de la République. Les Cours et tribunaux, ayant travaillé pour et avec l’ancien régime ne furent pas en reste. Si nombre d’entre eux subissaient l’hégémonie des agents politiques, les remaniements stratégiques du camp Tshisekediste annonçaient les ambitions d’un président luttant pour remodeler les rapports de force avec l’appui de députés FCC aigris-fondeurs et a-idéologiques, de certains milieux diplomatiques et surtout sur une disposition constitutionnelle reconnaissant à l’institution président de la République les prérogatives de dissoudre une Assemblée nationale en cas de crises interinstitutionnelles persistantes.

Fin année 2020, la coalition FCC-CACH éclata alors que les coalisés s’entraccusaient mutuellement. Si les agendas indéchiffrables du FCC ainsi que de nombreux blocages et obstructions ont été avancés comme étant la base de la rupture, le rapprochement-réconciliation entre Tshisekedi et les frondeurs au sein de Lamuka (Moise Katumbi et Bemba) disent grand-chose. Au lieu d’attaquer frontalement, Tshisekedi masqua sa démarche derrière les consultations nationales frisant le forcing. Comment expliquer la tendance présidentialiste Tshisekediste considérant l’institution Président comme la seule détenant les pouvoirs dans un Etat congolais moderne ? Dans quelle mesure les nominations des Congolais issus d’un espace linguistique hétérogène sont-elles associées au clientélisme ? Pourquoi les membres d’un parti à idéologie socialiste utilisent-ils des ressources étatiques pour leurs propres bénéfices politiques ainsi que s’attirer la loyauté sans en redistribuer à la population ?

« Biloze Bishambuke »[1] entre Tshisekedistes et Kabilistes 

Les Tshisekedistes et Kabilistes, au-delà des séjours de négociations à Mbuela Lodge et/ou des rencontres d’ajustement de leurs divergences, ne se sont pas accordés sur des rapports internes de pouvoir (Exécutif, judiciaire et législatif) ainsi que sur les philosophies des réformes et procédures (cas de la CENI, la justice et de l’armée nationale congolaises). La procédure de désignation du candidat présidentiable de la CENI par les responsables des confessions religieuses ne reçut pas de consensus. Alors qu’un certain Ronsard Malonda fut plébiscité, catholiques et protestants le récusèrent. Deuxièmement, ce sont les reformes dans le secteur de la justice qui fâchaient. L’ancien Président de la Cour Constitutionnelle aurait révélé un complot contre une des institutions étatiques, pendant que les tensions montaient entre anciens coalisés (FCC – CACH).

Ainsi, le président procéda par forcing, après avoir poussé le vieux président de la Cour constitutionnelle à la « démission », cela libera la voie pour un remaniement de trois juges référendaires. Tshisekedi nomma des juges indépendants mais qui lui sont loyaux afin d’éviter l’irréparable. Cela aurait irrité certaines dispositions constitutionnelles au point d’envenimer les rapports entre coalisés, parce que le FCC, le président du Sénat et la présidente de la chambre basse déclinèrent l’invitation présidentielle et boycottèrent la prestation de serments

Troisièmement, ce sont les remaniements opérés unilatéralement par les Tshisekedistes au sein de l’armée. Si ces derniers voulaient créer leurs propres cercles d’influence, répondant à leurs loyautés et concurrençant les Kabilistes et Joseph Kabila, nombreux sont les caporaux et anciens loyaux qui ont fait allégeance au nouvel homme fort de Limeté 10 ème Rue. Certains anciens rebelles des années 1998, réintégrés au sein des FARDC se sont vu être promus alors que d’autres en furent écartés à l’instar de John Numbi pendant que le colonel John Tshibangu (un ancien déserteur) fut aussi réintégré à son tour. Ne pouvant pas supporter qu’une décision présidentielle souffre de contestation, les Tshisekedistes avaient mal encaissé des coups du FCC un partenaire malhonnête. [1] Ce mot veut dire « Advienne que pourra » dans la langue des Bafuliiru.

Présidentialisme et loyauté au fils du Sphinx de Limeté 10 ème Rue

L’Etat congolais est centré sur des institutions politiques (Président de la République, parlement, cours et tribunaux etc.). Si la constitution de Sun City consacrait la séparation des pouvoirs entre institutions, elle est par ailleurs muette quant au degré d’hétéronomie interinstitutionnelle. Ainsi, à l’accession de Felix-Antoine Tshisekedi au pouvoir exécutif, le paysage et rapport politiques étaient déséquilibrés entre le cap pour le changement (CACH) et le FCC de Joseph Kabila. Fort d’une quarantaine de députés sur 500 nationaux, Tshisekedi n’avait de manœuvres que sur une coalition avec le FCC à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Ne contrôlant pas l’effectivité du jeu parlementaire ; les limites intra-institutionnelles bureaucratiques, le président s’est vu bloqué dans ses ordonnances, il opta pour des espaces de discussion avec ses anciens alliés devenus ses opposants politiques à travers les consultations nationales. Impatient d’assumer le respect des limites interinstitutionnelles, arguant des théories dictatoriales contrastant avec les logiques étatistes modernes (séparation des pouvoirs), Tshisekedi rompait la coalition FCC-CACH au profit de l’Union Sacrée de la Nation (Un rassemblement politique aux allures rancunières, revanchardes, composé d’acteurs politiques souffrant du syndrome de politiciens Congolais caméléon le SPCC). Ce dernier, opérationnalisa l’option constitutionnelle de bureaux d’âge sur fond de promesses politiques contre loyauté au président Tshisekedi en retour.

Cette tactique politique eu comme initiative, introduction des motions de défiance contre l’ensemble de membres du bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ensuite passer au vote d’un nouveau bureau loyal au président de la République. Au niveau des provinces, des rangements s’observèrent alors que certains gouverneurs devinrent des chantres de l’USN. Ainsi, tous ceux qui s’en sont opposés, ont été éjectés par les démarches de bureau d’âge. D’autres cependant, ont été suspendus ou rappelés à Kinshasa laissant leurs adjoints loyaux à Tshisekedi assurer leurs fonctions par intérim (cas de Lualaba). Cette politique Bureau d’âge renversait tous les gouverneurs FCC alors que d’autres ne furent que suspendus dont les durées constitutionnelles ont largement dépassé alors qu’ils ne pouvaient pas en arriver. C’est déplorable de considérer que dans un régime semi-présidentiel, les tendances présidentialistes resurgissent sans que personne n’en dénonce.

Clientélisme et utilisation des ressources Étatiques pour finalités politiques

Malgré le contexte actuel, le président Tshisekedi aurait brillé par les pratiques néopatrimonialistes. Nonobstant ses discours sur « l’État de droit », les institutions Étatiques (au niveau national et provincial) devraient toutes lui être loyales. En fait,

L’UDPS est arrivée au pouvoir exécutif sans majorité ni au parlement national moins encore dans ceux provinciaux, elle contrôle difficilement trois Assemblées provinciales. Si elle manque des députés dans plusieurs parlements, l’UDPS a opté pour le gangstérisme politique ou pour des alliances politiques de positionnement.

D’un côté, ses dirigeants se sont arrogé une importante partie du budget national pendant que actions concrètes ne sont pas visibles. Sachant que des conseillers spéciaux présidentiels ont des salaires inimaginables, militaires et policiers peinent à nouer les deux bouts du mois.

Accédant au pouvoir, des salaires se sont multipliés par trois à la présidence de la république alors que certains membres se sont octroyé des avantages leurs conférant des ressources qu’ils utilisent pour des finalités politiques. En fait, un feuilleton qui a alimenté la toile ce dernier temps était celui des promesses du président aux députés nationaux. Selon ces dernières, des frais de vacances parlementaires devraient leurs être alloués.

Pendant que celui des véhicules Hyundai s’y est ajouté, des confessions religieuses ont dénoncé les pratiques de corruption des proches du président de la République tendant à leurs gratifier des véhicules et argents afin de faire passer un candidat président de la CENI qui aurait été recruté comme consultant à la présidence de la République par le PNUD. Si le refus de la plénière du Sénat de lever les immunités de l’ancien premier ministre Matata Ponyo a irrité le président de la République, il faut noter que ses loyaux l’ont fait contre la volonté des autres députés.

Par ailleurs, des voies se sont levées contre les recrutements aux allures clientélistes faits par le camp présidentiel. Des opposants au régime présentent les nominations de Congolais originaires de l’espace Grand-Kasaï, comme une forme de clientélisme. Il est difficile de créditer ces thèses mais les raccordements faits montrent que des liens de parentés existent entre certains acteurs politiques et ceux nommés dans le cercle de pouvoir.

Que conclure ?

Sachant que l’avènement de président Tshisekedi au pouvoir exécutif de la RDCongo est un fait alors que les pratiques se succèdent, se ressemblent et légitiment. Si certaines ruptures sont observées, ce régime présente des ingrédients de ce que décrit Sigma et Lindberg (2017) pour la simple raison que les tendances UDPS et Tshisekedi sont celles d’imposer des pratiques d’un régime présidentialiste pourtant, ensuite trop de clientélisme car des nominations autant à la présidence qu’à des autres structures et qui ne font pas une unanimité.

Certains congolais de l’espace Lubaphones deviennent de plus en plus hégémoniques dans les instances de prises de décisions alors que les autres s’en plaignent. Politico.cd (du 10 septembre 2017) dénonçait le fait que 90 % de collaborateurs de Tshisekedi alors président de l’UDPS soient de l’espace Lubaphones, frisant ainsi le tribalisme.

Si cela n’est pas un grand problème car au temps de Joseph Kabila, le même phénomène était décrié, la question est de savoir pourquoi une telle reproduction si l’on sait que UDPS ne jurait que par des reformes et du renouveau ?

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Si le camp Kabila a excellé dans les pratiques néo-patrimonialistes notamment en utilisant les fonds publics pour des finalités privées (Élections du président, achat de la loyauté auprès des députés, gouverneurs, militaires etc.), pourquoi le camp Felix Antoine Tshisekedi les reproduit-il ? Comment peut-on alors qualifier le régime UDPS et alliés au pouvoir actuellement alors que le chef de l’Etat aurait fait de sa vision crépusculaire l’opérationnalisation de l’Etat de droit ?

Bien que l’institution Président de la République observe quelques procédures constitutionnelles, car étant limitée dans les intentions de forcing, pourrait – elle comprendre qu’elle n’est pas la seule à détenir des pouvoirs dans un État ?

Josaphat Musamba »

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