Comme vous le savez, la République Démocratique du Congo à travers les deux chambres du Parlement; a adopté la loi portant ratification et adhésion de la RDC dans la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF).
Selon les défenseurs de la loi, l’adhésion de la RDC dans ce marché concurrentiel continental permettra aux congolais d’avoir accès aux produits et services à un bon prix.
En ratifiant l’accord portant création de la zone de libre-échange continentale africaine, l’article 4 de l’accord oblige à la RDC comme aux autres États à éliminer progressivement les barrières tarifaires et non-tarifaires au commerce des marchandises.
Ce qui va impliquer la diminution sensible des taxes et tracasseries à l’importation et à l’exportation des marchandises.
Avec l’obligation pour la RDC de libéraliser le commerce des services publics, les investisseurs privés pourront désormais concurrencer la SNEL et la Regideso en investissant aussi dans les secteurs d’électricité et d’eau par exemple. Ce qui pourra permettre à tout congolais d’être mieux desservi et à un coût compétitif.
Nombreux estiment également que RDC partageant ses frontières avec neufs voisins et surtout face à l’inexistence d’infrastructures routières dans le pays, son adhésion à la zone de libre-échange, va permettre à la population de s’approvisionner en produit de première nécessité à partir des pays étrangers ou même à faire couler sa production locale dans ces pays limitrophes.
Mais pour Justin Kashara, congolais de l’étranger et engagé pour la cause de la RDC, cette adhésion risque plutôt de « ruiner » l’économie de la RDC étant donné, selon lui, que le pays ne s’est pas bien préparé pour affronter les autres pays qui sont dans le système depuis plusieurs années. (Interview)
LaprunelleRDC : Justin Kashara, bonjour. Pourquoi vous avez un doute par rapport à l’adhésion de la RDC à la zone de Libre Echange Continentale en Afrique (ZLECAF).
Justin Kashara : Sincèrement, soyons sérieux et réalistes. Notre pays, la RDC n’est pas préparée pour compétir dans ce marché. Pour ceux qui nous connaissent ; on a travaillé à l’Est, on a travaillé même à l’Ouest et on a quand même eu l’opportunité de voir comment les autres pays ont mis du temps pour pouvoir consolider leurs entreprises. Ils financent leurs Startups des jeunes, ils ont investi dans leurs infrastructures, et sont entrain de réduire chaque fois les dettes à l’extérieur et maximiser les recettes dans les pays.
Ils ont créé des systèmes qui leurs permettent qu’il n’y ait pas fuite d’argent dans le trésor public, ils contrôlent la fiscalité, ils ont lutté contre la corruption, pourtant, notre pays a perdu plus de 20 ans avec des guerres d’intérêt et de positionnement. Certains individus ont perdu tout le temps en train de se bagarrer inutilement sans travailler et accomplir leurs missions et leurs contrats sociaux avec les gens qui les ont mandatés. Ils n’ont pas travaillé pour le social de la population, ils n’ont pas travaillé pour les infrastructures. Il suffit juste de voir la situation, l’état de nos routes, nos moyens de transport et communication, le climat des affaires.
LaPrunelleRDC : En clair, dans ce contexte qui est le nôtre, il est difficile pour la RDC de tirer avantage dans cette démarche…
Justin Kashara : Il faut voir comment les tracasseries, la surfacturation et tout ce que vivent nos entrepreneurs. Dans une situation comme celle-là, il est pratiquement impossible que notre pays puisse prendre son capital humain de plus de 80 millions d’habitants pour donner un cadeau et transformer cette richesse de la nation. Comme le dit Adam Smith, la richesse de la nation c’est sa population. Ils donnent la population en cadeau à des pays qui ont mis leur temps à planifier cela, parce qu’ils sont conscients que le Congo est un pays stratégique et que sans le Congo ils ont beaucoup des problèmes.
C’est pour cela qu’ils nous ont envahi. Certains d’entre eux ; maintenant comprennent qu’à l’heure actuelle ils doivent jouer sur une diplomatie. Mais à ce niveau ; nous nous demandons si cette fois la vision ne sera pas comme d’autres visions ou d’autres chansons que nous avons écoutées. Et nous demandons au chef de l’Etat qu’il ne soit pas entouré des fanatiques, des gens qui vont lui dire uniquement ce qu’il veut écouter mais qu’il s’entoure avec des gens qui peuvent lui dire qu’avec pareille histoire, nous allons ruiner le pays.
LaPrunelleRDC : Que craignez-vous concrètement ?
Justin Kashara : Ecoutez, si on entre dans ce jeu là, nous allons d’abord ruiner notre économie. Je pense qu’on devrait délimiter la capacité de facturation de nos douanes et souvenez-vous que le service des douane était entrain d’accroître ses entrées dans les trésors publics et c’est une erreur monumentale que la RDC ne peut pas se permettre pour le moment.
Deux, ils vont transformer le Congo et le congolais à un dépotoir: juste pour consommer tout ce qui sera fabriqué ailleurs. Trois, on n’a pas d’infrastructures: les produits pourrissent dans les milieux ruraux mais ils ne peuvent pas arriver dans les centre-ville. Comment iront-ils dans d’autres pays?
Quatre: c’est un exemple. En 2007, je coordonnais un projet qui avait permis qu’à Bukavu on invite un groupe d’investisseurs qui devaient investir dans le tourisme, on a assisté à toute sorte de contradiction entre le chef de division du tourisme et le ministère du tourisme. Il y a eu des problèmes mais le même projet a été présenté au Burundi et tout de suite on a eu le soutien du ministre des affaires étrangères, et en Tanzanie, la même chose.
Le Congo occupe la treizième place des destinations touristiques spéciales au monde mais un touriste qui veut venir au Congo doit payer 50 euros pour une invitation qui sera co-valider par la DGM. La même invitation doit être notariée par la mairie avec 20 dollars. Et cette personne doit envoyer l’original, cela signifie qu’il doit payer 120 dollars à DHL et d’autres frais si on ne vit pas au Congo. Avant même d’être sûr qu’il va avoir le visa d’entrée, il consomme au moins 500 dollars et plus. Pourtant, c’est zéro dollar pour les mêmes procédures dans d’autres pays.
« Prendre le temps de planifier »
LaPrunelleRDC : ce que vous essayez de dire, est que nous ne pouvons pas être compétitif dans ce genre de « deal » ?
Justin Kashara : Dans ce contexte pareil, nous ne pouvons pas être compétitif. On a toujours expliqué plusieurs fois que les investisseurs qui viennent investir dans n’importe quel pays du monde viennent d’abord comme des touristes. C’est pour cela que l’industrie touristique n’est pas tout juste pour venir voir les gorilles, les Okapi. Non. C’est pour voir aussi les opportunités d’affaires.
L’image du pays à l’extérieur et l’insécurité partout, montre que le pays n’est pas encore capable de pouvoir compétir dans ces marchés. On va ruiner le pays. Je serais le premier à appuyer ce projet là, c’est un projet important pour le Congo et pour la zone en général mais nous devons être sincère envers nous-même et prendre tout le temps de planifier.
« Intensifier la lutte contre la corruption »
LaPrunelleRDC : Que proposez-vous à l’heure actuelle ?
Justin Kashara : je suggère au président Félix Tshisekedi de commencer à lutter contre la corruption, créer un système fiscal rassurant, investir dans les infrastructures, améliorer le social, financer les entreprises des jeunes et mettre dans la fonction publique des personnes qui peuvent faire du lobbying pour booster l’économie du pays.
Pour l’instant, il y a beaucoup des choses qui restent à faire afin que nous soyons compétitifs et non le perdant. Je ne suis pas en train de dire que ce projet n’est pas important mais nous devons être sûrs de nous-mêmes. On ne doit pas mettre plus 100 millions des congolais au service des autres pays parce qu’ils savent que le Congo sera leur marché où ils peuvent vendre n’importe quoi.
LaPrunelleRDC: quel est votre mot de la fin?
Justin Kashara: Chers amis Congolais, nous n’allons plus laisser notre pays dans les mains des seuls politiciens qui ne servent parfois que leurs intérêts, qui pensent que le pouvoir se trouve à Kinshasa. Moi, je veux leur dire que le pouvoir se trouve à la base.
LaPrunelleRDC: nous vous remercions
Justin Kashara: c’est moi qui vous remercie pour l’intérêt à ce qui se fait dans notre pays.
Propos recueillis par Bertin Bulonza