Intervenons-nous

    Dans cette tribune, Sprinter Nishuli Alimasi analyse l’impact croissant de l’armée numérique rwandaise sur le conflit à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Il met en lumière l’utilisation stratégique des réseaux sociaux par le Rwanda pour soutenir la rébellion du M23. Selon lui, cette campagne de désinformation, orchestrée par des communicateurs et des sympathisants rwandais, se déploie principalement sur Twitter, TikTok, WhatsApp et Facebook, influençant ainsi l’opinion publique mondiale et alimentant la guerre médiatique. Alimasi identifie plusieurs acteurs clés impliqués dans cette campagne : les communicateurs du M23, la diaspora congolaise rwandophone, ainsi que des journalistes et opposants congolais recrutés ou manipulés. Il dénonce également l’utilisation de pseudonymes inspirés de la culture congolaise et burundaise pour masquer les véritables intentions des propagandistes. L’article conclut que l’armée numérique rwandaise constitue un défi majeur pour la RDC, menaçant sa stabilité et sa souveraineté. Alimasi appelle à une vigilance accrue, à la transparence et à une coopération internationale pour contrer cette influence numérique et soutenir la paix dans la région (Tribune)

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    « Le conflit en cours dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) a pris une dimension numérique alarmante. L’armée numérique rwandaise, qui orchestre une campagne de propagande sophistiquée, joue un rôle crucial dans le soutien à la rébellion du M23. Mon analyse, fondée sur une observation personnelle, vise à exposer les mécanismes de cette influence numérique et à en souligner les implications pour le Congo.

    Une guerre médiatique sur les réseaux sociaux

    Dans le contexte de la deuxième guerre du M23, Paul Kagame et ses alliés utilisent les réseaux sociaux pour diffuser des informations biaisées, parfois mensongères, afin de soutenir la rébellion qu’ils appuient. Le gouvernement congolais, en raison de l’immensité du territoire et de la liberté d’expression protégée par la démocratie, peine à contrôler cet espace numérique. Cette situation permet à ce qu’on peut qualifier de « l’armée numérique rwandaise » de déployer ses tactiques de désinformation avec une grande efficacité.

    Les principaux réseaux sociaux utilisés :

    1. Twitter (X) : Principal outil de communication politique à l’échelle mondiale, utilisé par l’armée numérique rwandaise pour diffuser des messages pro-M23. Ici, la cible reste les décideurs au niveau mondial.
    2. TikTok : Réseau spécialisé dans le partage de vidéos, particulièrement efficace pour la propagation de la propagande.
    3. WhatsApp : Bien que fermé, il est très prisé pour le partage de documents et vidéos dans des groupes, permettant une large diffusion des messages. L’armée numérique rwandaise infiltre plusieurs groupes WhatsApp des nationaux. 
    4. Facebook : Moins sécurisé mais encore largement utilisé, il permet une diffusion étendue des informations.

    Les acteurs de la propagande numérique identifiés sur Twitter (X)

    Les communicateurs attitrés du M23 et de l’AFC :

    Les communicateurs attitrés du M23 sont des membres effectifs du M23 ayant pour mission de recueillir des informations de terrain et de les partager via leurs réseaux. Ils sont rémunérés par le M23, avec tous les moyens de fonctionnement pour travailler. Ces communicateurs se distinguent des leaders, qui sont connus publiquement. Parmi eux, Laurence Kanyuka, un ancien membre de la diaspora de l’Union pour la Nation Congolaise ayant rejoint la rébellion très tôt, est le porte-parole de la branche politique du mouvement et coordonne la cellule de communication de la rébellion. Sugira Mireille, une jeune Tutsi congolaise originaire du territoire de Rutshuru, a été recrutée dans un pays voisin où elle a grandi. Après sa formation idéologique, elle a été affectée comme journaliste à Voice of Kivu (un média tutsi congolais pro-M23). Elle gère deux comptes X à son propre nom ainsi que le compte en ligne du média Voice of Kivu où elle est affectée. Willy Manzi, basé au Canada, a récemment été nommé communicateur du M23 pour la diaspora. Les pages Twitter utilisées par ce groupe de communicateurs incluent, entre autres, Vive M23, Top Kivu, Voice of Kivu, Kivu News, Goma24, etc.

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    Je distingue les communicateurs du M23 de ceux de l’AFC parce que, bien que partageant les mêmes objectifs et un patron commun, ils préfèrent maintenir des lignes de communication distinctes selon leurs organisations, parce qu’ils ne sont aussi qu’en alliance. Avec l’arrivée de Corneille Nangaa et son AFC, le journaliste Adam Chalwe, ancien DG de Malaika TV de Moïse Katumbi, originaire de la Province de Kolwezi, a rejoint Nangaa à Rutshuru. Il est chargé de la communication pour l’AFC et gère le compte Twitter officiel de l’AFC. Il a été rejoint par Henri Maggie et Yannick Tshisola du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie, ce dernier étant plus un stratège qu’un communicant. Deux jeunes femmes ont aussi rejoint l’AFC : Fanny Kayemb, ancienne membre de la cellule de communication au gouvernorat du Lualaba sous Richard Muyej, qui administre le compte TikTok de l’AFC, et Brenda Monkango, ancienne présidente des étudiants de l’ISP Gombe. La toile se remplit aussi des écrits du sulfureux Simaro Ngongo, fondateur de la Commission africaine pour la supervision des élections (CASE), basé à Chicago aux USA mais en relation avec la rébellion. Magloire Paluku est la dernière recrue de Corneille Nangaa dans la communication. À ces comptes s’ajoutent les comptes personnels de Willy Ngoma (qui gère aussi le compte « Secret de la RDC »), de Bertrand Bisimwa et de Corneille Nangaa.

    La diaspora congolaise rwandophone acquise à la cause du M23 :

    La diaspora congolaise rwandophone acquise à la cause du M23 est constituée des jeunes Banyamulenge et Tutsi congolais établis à l’étranger, principalement dans les pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est et en Occident. Ces jeunes défendent le M23 convaincus de la « cause commune » pour laquelle le M23 se bat. Ils soutiennent l’argument selon lequel les populations congolaises d’origine rwandophone sont marginalisées, massacrées en RDC et poussées en exil. Selon un rapport d’experts de l’ONU de décembre 2023, de nombreux jeunes Tutsis congolais ont été recrutés par le M23 dans les pays voisins et envoyés au Nord-Kivu pour être formés. Aujourd’hui, ce sont eux qui forment le fer de lance de la rébellion des troupes au sol, accompagnés de milliers de jeunes de ces communautés retrouvés dans leurs villages lors des conquêtes. D’autres jeunes restent dans leurs pays d’accueil mais soutiennent la « cause » du M23 en ligne en tweetant et re-tweetant les propos des responsables du M23. Ils participent aux SpaceX organisés en ligne par les leaders du mouvement. Ils partagent également l’actualité du président Paul Kagame (qu’ils considèrent comme un père spirituel) dans la twittosphère congolaise, lui assurant une visibilité. Parmi ces jeunes, on note le célèbre pseudonyme Maisha RDC, un jeune Tutsi congolais ayant étudié à l’Université de Goma, à la tête d’un réseau local d’informations sur les mouvements des Tutsis. Chaque acte subi par un Rwandais est surveillé à tous les niveaux (lynchage, tentative d’assassinat, massacre, déportation, arrestation). Un jour, un tableau répertoriant les noms et adresses des Tutsis détenus, y compris dans les zones sous contrôle des Wazalendo, avait été publié sur ses réseaux. Le deuxième pseudonyme est Twirwaneho Moïse, un originaire du Sud-Kivu, faisant aussi la promotion du M23 et de Kagame dans la twittosphère congolaise. Il milite pour établir un lien formel entre Twirwaneho, Android et le M23. Aganze Rafiki (dont la photo de profil Twitter est celle du Général Makenga), Umutesi Manuella (femme ménagère vivant dans le camp des réfugiés de Nyarugusu en Tanzanie) et Nizeyimana Olivier (qui a baptisé son compte au nom du M23) font également partie de ces nombreux jeunes de la diaspora congolaise rwandophone qui appuient le M23 en ligne.

    Les comptes avec des noms pseudonymes puisés dans la culture congolaise :

    Certains comptes utilisent des noms pseudonymes inspirés de la culture congolaise. Un pseudonyme est un nom d’emprunt porté pour dissimuler l’identité réelle. J’ai réalisé que certains comptes ont été créés par des Rwandais pour infiltrer les réseaux sociaux. Parmi ces pseudonymes, on trouve : Sandra Ibenge (non autrement identifiée), Mamy Kazadi (non autrement identifiée) et Daniella Tshilombo (non autrement identifiée). Leur travail consiste à interagir sur la toile en tant que Congolaises tout en émettant des critiques acerbes contre le chef de l’État de la RDC, Félix Tshisekedi Tshilombo.

    Les comptes avec des noms pseudonymes puisés dans la culture burundaise :

    D’autres comptes ont été créés par des Rwandais en s’inspirant du patrimoine culturel burundais, surtout après que les présidents congolais Félix Tshisekedi et burundais Evariste Ndayishimiye ont signé un accord de coopération bilatérale militaire. La communication numérique du M23 a alors changé de tactique pour attaquer simultanément le Burundi et la R.D. Congo. Des Tutsis vivant au Burundi ont été mobilisés pour diffuser une image négative du Burundi et des événements qui s’y déroulent. Deux noms particulièrement remarqués sont Nijimbere Éric et Kaze Bela, qui se distinguent par leurs attaques numériques contre les actions de l’armée Burundaise au Congo et celles du président burundais au Burundi, tout en faisant la propagande de Paul Kagame. Le Burundi a également créé de tels comptes avec des objectifs similaires contre le Rwanda, avec Donatien Ndayishimiye, patron de « Ikihiro », et Alfred Museremu comme fers de lance de cette armée numérique burundaise contre Paul Kagame et le M23.

    Les journalistes rwandais et étrangers recrutés par Kigali :

    Parmi les journalistes rwandais impliqués, on trouve Albert Rudatsimburwa, responsable des journalistes rwandais affectés à la couverture du M23, sans dissimulation, Gloria Ndekezi Tshiamala, une rwando-congolaise ayant choisi de travailler pour le Rwanda plutôt que pour la RDC, et Keza Clarisse, non autrement identifiée.

    Les journalistes congolais recrutés ou non à travers les réseaux de Corneille Nangaa :

    Les journalistes congolais sont aussi recrutés ou non à travers les réseaux de Corneille Nangaa. Je précise « recrutés ou non » car ils peuvent prétendre être innocents dans leur travail, mais tout contact avec les rebelles est une infraction prouvée. Deux des trois noms que je connais sont en exil, tandis qu’un reste au pays. La stratégie rwandaise consiste à faire passer leurs informations à travers eux en raison de leur vaste réseau. Les noms restent confidentiels pour l’instant.

    Certains opposants congolais :

    Certains opposants congolais participent, selon moi malgré eux, à la propagande de l’ennemi en critiquant les actions du chef de l’État concernant la guerre de l’Est, pensant pouvoir l’enfoncer davantage. Il est vrai que si le Rwanda nous « tape » comme l’a dit Koffi Olomide, il est important de comprendre que ce n’est pas seulement le président de la République qui en souffre, mais chaque citoyen du pays. Les noms restent confidentiels pour l’instant.

    Conclusion

    L’armée numérique rwandaise représente un défi majeur pour la stabilité et la souveraineté de la République Démocratique du Congo. En utilisant les réseaux sociaux pour diffuser des informations biaisées et soutenir la rébellion, elle contribue à la désinformation et à la polarisation du conflit. Il est impératif que le gouvernement congolais et la communauté internationale prennent des mesures pour contrer cette influence numérique. La vigilance, la transparence et la coopération sont essentielles pour protéger la vérité et garantir la cohésion nationale.

    Pour assurer une information précise et équilibrée, il est crucial de reconnaître et de combattre cette armée numérique, tout en soutenant les efforts en faveur de la paix et de la stabilité dans la région.

    Sprinter Nishuli Alimasi, Analyste politique et faiseur d’opinion »

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