Intervenons-nous

En République Démocratique du Congo, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, a déposé auprès du Président de la République sa lettre de démission. Dans cette lettre présentée au Chef de l’Etat ce mardi 21 février 2024, Sama Lukonde Kenge a informé le Président de la République qu’à dater de ce jour, lui-même et les membres de son Gouvernement feront usage du droit de suspension et de reprise de leur mandat parlementaire prévu par les alinéas 2 et 3 de l’article 110 de la Constitution. Ceci pour ne pas se retrouver dans un cas d’incompatibilité ou de cumul des fonctions.

Faisant suite à cette lettre du chef du gouvernement, le Président de la République, tout en prenant acte de cette démission a demandé au Gouvernement Sama Lukonde de continuer à expédier les affaires courantes.

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Dans un communiqué officiel signé par le Directeur de cabinet du Chef de l’Etat après la démission du Premier ministre, le Président de la République justifie cette décision par la situation particulière que traverse le pays.

Dans ce communiqué, le Chef de l’État a demandé au Premier Ministre et aux membres de son Gouvernement, chacun au regard de ses fonctions, d’assurer l’expédition des affaires courantes, ceci en attendant la formation du nouveau Gouvernement.

« Compte tenu de la situation particulière que traverse le pays et en attendant la formation du nouveau Gouvernement, le Chef de l’État a demandé au Premier Ministre et aux membres du Gouvernement, chacun en regard de ses fonctions, d’assurer l’expédition des affaires courantes conformément à l’article 6 de l’Ordonnance n°22/002 du 07 janvier 2022 portant organisation et fonctionnement du Gouvernement, modalités pratiques de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ainsi qu’entre les membres du Gouvernement», peut-on lire dans ce communiqué.

Expédier les affaires courantes avec des limites

Dans ce même chapitre, le Directeur de Cabinet du Président de la République a rappelé que bien qu’autorisé à expédier les affaires courantes, le gouvernement démissionnaire est soumis à un certain nombre de restrictions.

C’est entre autres, la suspension, jusqu’à nouvel ordre, des recrutements, nominations, promotions et mouvements du personnel à tous les niveaux. La suspension, jusqu’à nouvel ordre, des engagements, des liquidations et des paiements de toutes dépenses publiques autres que celles liées aux charges du personnel. La suspension des missions de service à l’extérieur du pays pour tous les membres du Gouvernement et le personnel de leurs cabinets, sauf les déplacements liés à certains dossiers spécifiques dont les demandes d’autorisation seront examinées au cas par cas.

L’interdiction de recourir aux opérations de cession, de transfert ou d’aliénation des actifs de l’État autres que celles déjà engagées.
Toutefois, des cas exceptionnels nécessitant une dérogation seront soumis à l’autorisation préalable du Président de la République, Chef de l’État, précise ce communiqué signé par Guillain Nyembo.

Des députés et ministres à la fois?

Cette décision du président Félix Tshisekedi paraît une première dans l’histoire de la République Démocratique du Congo, dans un contexte où un pourcentage considérable des membres qui composent l’actuel gouvernement ont été élus députés soit nationaux, soit provinciaux.

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En effet, en voyant le gouvernement tel que composé, on voit des ministres devenus pour la plupart députés à l’issue des législatives de 2023.

Déjà le Premier ministre lui-même et 3 de ses vices ont été élus députés. Des ministres d’Etat, des ministres ou encore des vice-ministres du même gouvernement ont également été élus députés.

C’est ce qui a d’ailleurs motivé au bureau d’âge de l’Assemblée Nationale d’exiger de ces derniers de choisir en conformité à l’article 110 de la constitution. Un choix de conserver leurs postes au gouvernement, soit de garder leurs sièges au sein de la chambre basse du parlement.

La question qui se pose est celle de savoir si ces ministres, bien qu’ayant accepté de démissionner du gouvernement pour occuper leurs sièges à l’assemblée nationale, vont maintenant occuper les deux fonctions ?

En tout cas, à en croire la décision du Président de la République, ces derniers devraient donc être ministres et à la fois députés. C’est qui paraît, pour plusieurs, contraire à la loi.

À en croire plusieurs opinions, dans un régime semi-présidentiel où le gouvernement est responsable devant le parlement, le Président n’a pas autorité d’accorder cette continuité au gouvernement, surtout pas à des ministres devenus députés soit disant pour l’expédition des affaires courantes.

« La constitution ne lui permet pas ça, dans aucun cas », écrit Florent Mwakambaya, politologue et analyste politique.

Serge Manya lui, craint qu’un tel acte reste une jurisprudence qui aura de mauvaises répercussions dans les années à venir.

« Et, dans ce cas, la Constitution sera-t-elle violée ou pas? » se questionne-t-il, insistant sur le respect de l’article 108 de la Constitution, qui stipule :

« Le mandat de député ou de sénateur est incompatible avec les fonctions ou mandats suivants :1. Membre du Gouvernement ; 2. Membre d’une institution d’appui à la démocratie ; 3. Membre des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité ; 4. Magistrat ; 5. Agent de carrière des services publics de l’Etat ; 6. Cadre politico-administratif de la territoriale, à l’exception des chefs de collectivité-chefferie et de groupement ; 7. Mandataire public actif ; 8. membre des cabinets du Président de la République, du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale, du Président du Sénat, des membres du Gouvernement, et généralement d’une autorité politique ou administrative de l’Etat, employé dans une entreprise publique ou dans une société d’économie mixte ; 9. Tout autre mandat électif. Le mandat de député national ou de sénateur est incompatible avec l’exercice des fonctions rémunérées conférées par un Etat étranger ou un organisme international ».

Des internautes congolais ont exprimé leur inquiétude quant à la base légale de cette décision du Président de la République autorisant aux membres du Gouvernement démissionnaire de continuer à expédier les affaires courantes.  Dès lors que dans la pratique, c’est toujours le même gouvernement qui devrait expédier les affaires courantes mais pas cette fois avec des « ministres-députés ».

Vives réactions !

« Je suis curieux de savoir la base légale de ce communiqué, où le Président de République demande aux ministres démissionnaires d’expédier les affaires courantes », s’interroge Ange Kiluala sur Twitter.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs congolais parlent d’une violation pure et simple de l’arrêt rendu récemment par le Conseil d’Etat, sur la requête du Premier Ministre qui avait sollicité que son gouvernement continue d’expédier les affaires courantes.

« La décision du Président Tshisekedi dénote d’une hérésie, une violation intentionnelle et grave de la constitution pour des considérations politiciennes », dit Me Hervé Diakese, avocat et défenseur des droits de l’homme. Celui-ci accuse le régime Tshisekedi de détricoter avec une « effarante inconscience de toute l’architecture institutionnelle de l’Etat, en lui substituant le fait accompli d’une clique au pouvoir ».

« Il n’y aucun vide institutionnel et nous ne sommes pas face à une situation nouvelle ou sans précédent. Soit, les ministres députés renoncent à leurs mandats et laissent siéger les suppléants, soit les non députés récupèrent leurs attributions, ou alors les Secrétaires généraux », insiste Me Hervé Diakese.

D’autres par contre pensent que la décision du Président Félix Tshisekedi est légale et constitutionnelle même si c’est la première fois que cela se produit. Pour eux, l’Assemblée nationale va purement et simplement suspendre les mandats des membres du Gouvernement.

« Il n’y aura pas de cumul des mandats. L’Assemblée nationale va suspendre les mandats de ministres/députés et ils reprendront à la fin de l’intérim. Bien que c’est difficile à digérer mais la décision du Président de République est légale et constitutionnelle même si c’est la première fois que cela se produit », explique Emmanuel Lomba Lohaka.

Et de poursuivre :

« Comprenez que le parlement va prendre acte de cette décision et suspendre leur mandat en ouvrant la brèche aux suppléants. Ceci éviterait le conflit d’intérêts. La demande du Président de la République implique la suspension de leurs mandats au parlement, mandats qui seront exécutés par leurs suppléants pendant la période. Pas de cumul, pas de conflits d’intérêts », renchérit-il, démontrant que ce qu’ont fait les ministres en démissionnant est conforme à la loi et que c’est le parlement qui devra maintenant achever la procédure

Dilemme cornélien ?

Pour Steve Mbikayi, ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et Universitaire, cette situation met les membres du Gouvernement démissionnaire dans un dilemme cornélien.

Ces derniers se retrouvent donc devant un choix difficile à faire, opposant généralement la raison aux sentiments ou dont chacune des options comporte des devoirs, selon Mbikayi.

« Renoncer au gouvernement avec tous ses privilèges pour aller à l’Assemblée Nationale sans espoir d’ être sur la nouvelle ordonnance ou assumer le mandat obtenu du peuple et aller tourner les pouces à l’hémicycle la plupart de temps. Tel est le dilemme auquel les Ministres élus députés font face. Pas facile d’être à leur place », insinue cet ancien ministre et actuel député national.

Connaissant les rouages et les enjeux politiques du pays, Mbikayi pense que certains estiment que les trois mois de gestion qui les séparent de la nomination d’un nouveau gouvernement sont de loin bénéfiques aux 5 ans de mandat à passer à l’Hémicycle.

À cette allure, il devient donc difficile de prédire la suite des événements, mais certains congolais estiment qu’il faut respecter le mandat du peuple. Quitte aux concernés à entreprendre de nouvelles démarches pour revenir dans des fonctions gouvernementales, le cas échéant.

Dans tous les cas, c’est à contre cœur que telle ou telle autre position sera prise. Ça s’appelle perplexité.

 Plusieurs observateurs pensent que c’est ici où la cour constitutionnelle devrait intervenir pour constater la violation ou non de la loi fondamentale et ramener la nation sur la voie constitutionnelle. Mais bien évidemment, les congolais ont l’impression que les décisions contraires au vœu du pouvoir Exécutif ne se prennent que dans les pays autres que la RDC.

Bertin Bulonza

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2 commentaires

  1. Pingback: RDC: Tshisekedi viole-t-il sciemment la Constitution? - La Prunelle RDC

  2. Adonai Luango on

    C’est une violation flagrante de la constitution, Sama Lukonde et ses ministres doivent refuser cette aventure, il en va de leurs réputations

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