Après des années de bras de fer judiciaire, la justice britannique a autorisé formellement ce mercredi 20 avril 2022, l’extradition du journaliste Julian Assange, fondateur de WikiLeaks.
Le tribunal de Westminster Magistrates, à Londres, a officiellement rendu une ordonnance d’extradition. Il revient désormais à la ministre de l’intérieur britannique, Priti Patel, d’approuver cette extradition aux Etats-Unis, où le journaliste serait jugé pour espionnage.
En réaction à cette décision, Amnesty International estime que si le ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni approuve la demande d’extradition visant Julian Assange, déposée par les États-Unis, il enfreindra « l’interdiction de la torture » et créera un précédant « alarmant » pour les éditeurs et journalistes du monde entier.
Dans une déclaration publiée ce mercredi, l’ONG internationale indique que l’extradition de Julian Assange serait « dévastatrice » pour la liberté de la presse, et pour le public qui a le droit de savoir ce que font les gouvernements en son nom.
«Le Royaume-Uni est tenu de s’abstenir d’envoyer la moindre personne vers un lieu où sa vie ou sa sécurité sont compromises, et le gouvernement ne doit pas se soustraire à cette responsabilité. Les autorités américaines ont purement et simplement déclaré qu’elles modifieraient les modalités de l’emprisonnement de Julian Assange dans un établissement fédéral selon leur bon vouloir. Cette déclaration expose Julian Assange au risque d’être soumis à des conditions de détention susceptibles de causer des dommages irréversibles à son bien-être physique et psychologique,» déclare Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
Pris dans une longue saga judiciaire, Julian Assange est recherché par la justice américaine, qui veut le juger pour la diffusion, à partir de 2010, de plus de 700.000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques américaines, en particulier en Irak et en Afghanistan.
Mais pour Amnesty International, la diffusion d’informations d’intérêt public est une pierre angulaire de la liberté des médias.
«Extrader Julian Assange afin qu’il réponde d’accusations d’espionnage pour avoir rendu publiques des informations confidentielles créerait un précédent dangereux et plongerait les journalistes du monde entier dans la peur constante que l’on épie leurs moindres faits et gestes. Les placements prolongés en détention à l’isolement sont monnaie courante dans les prisons de sécurité maximale des États-Unis. Cette pratique s’apparente à un acte de torture ou à d’autres formes de mauvais traitements, qui sont interdits par le droit international. Les assurances offertes par les États-Unis selon lesquelles Julian Assange sera traité de manière équitable laissent fortement à désirer et pourraient être révoquées à tout moment. L’extradition vers les États-Unis exposerait Julian Assange à un risque d’atteintes graves aux droits humains, et des assurances diplomatiques creuses ne sauraient le mettre à l’abri de telles violations,» prévient cette organisation.
Amnesty International affirme que si le Royaume-Uni permet à un pays étranger d’exercer la compétence pénale extraterritoriale, afin de poursuivre une personne publiant des informations depuis le Royaume-Uni, d’autres gouvernements pourraient utiliser le même dispositif juridique pour emprisonner des journalistes, et réduire la presse au silence loin des frontières de leur propre pays.
«Julian Assange n’aurait jamais dû faire l’objet de poursuites. Il n’est pas trop tard pour que les autorités américaines rectifient la situation et abandonnent les poursuites,» a déclaré Agnès Callamard.
Julian Assange est détenu depuis trois ans à la prison de haute sécurité de Belmarsh. Le fondateur de WikiLeaks a passé sept ans dans cette ambassade où il s’était réfugié en 2012 alors qu’il était en liberté sous caution.
Il craignait alors une extradition vers les Etats-Unis, ou bien vers la Suède, où il faisait l’objet de poursuites pour viol depuis abandonnées. Il avait finalement été arrêté par la police britannique en avril 2019 et emprisonné.
Son épouse et ancienne avocate, Stella Moris, a demandé en mars dernier Mme Patel d’empêcher son extradition, la priant de mettre fin à cette « affaire politique ». Selon l’AFP, elle a assisté ce mercredi à l’audience au tribunal.
Poursuivi notamment en vertu d’une législation contre l’espionnage, l’Australien de 50 ans risque 175 ans de prison, dans une affaire dénoncée par des organisations de défense des droits humains comme une grave attaque contre la liberté de la presse. Le 14 mars, il avait vu disparaître l’un de ses derniers espoirs d’éviter son extradition, avec le refus de la Cour suprême britannique d’examiner son recours.
Les avocats de Julian Assange peuvent encore faire appel. Sans cela, il sera extradé dans les 28 jours suivant l’éventuelle décision de la Ministre d’ordonner l’extradition.
Museza Cikuru