Le journaliste congolais Pascal Chirha a été élevé, ce mercredi 19 novembre 2025 à Dakar, au prestigieux titre de Docteur Honoris Causa par l’Institut Africain de Recherche Pluridisciplinaire Appliquée (IARPA). Cette distinction honore plus de vingt années consacrées au développement du pluralisme radiophonique en République démocratique du Congo et sur le continent africain. Directeur Général de Colibri Multiservices (COMUS), Pascal Chirha a été reconnu pour son rôle de formateur passionné, ayant accompagné plusieurs générations de journalistes et contribué à la promotion d’une information libre, éthique et accessible. Cette distinction reconnaît aussi son action à travers COMUS dans l’accompagnement des jeunes dans leur quête de professionnalisation et d’autonomisation. Entre surprise, émotion et sens accru de responsabilité, le formateur et entrepreneur revient sur la portée de cette reconnaissance, les défis du secteur, son engagement pour la jeunesse et sa vision d’un paysage médiatique africain professionnel, libre et financé par les Africains eux-mêmes.
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Nous l’avons interrogé pour revenir sur ce moment historique (Interview) ?
Félicitations pour votre élévation au grade de Docteur Honoris Causa par l’Institut Africain de Recherche Pluridisciplinaire Appliquée (IARPA). Quel a été votre ressenti en recevant cette distinction à Dakar ?
Pascal Cirha : C’était une grande surprise et une grande émotion. Une surprise pour plusieurs raisons : Jusqu’au moment où j’ai été contacté par les organisateurs, je n’avais aucune connaissance de l’une ou l’autre parmi les deux institutions qui m’ont décerné cette distinction. L’Institut Africain de Recherche Pluridisciplinaire Appliquée (IARPA) d’Abidjan et le Centre de Valorisation Professionnelle de Tunis (CVPT) se trouvent dans deux pays où je n’ai jamais travaillé. Quand j’ai été contacté, j’avais cru d’ailleurs à un fait de cybercriminalité. J’avais pris du temps de vérification pour avoir plus d’informations sur ces deux institutions, sur leurs activités et sur leurs animateurs.
C’est là que je découvre que des personnalités que je connais avaient déjà reçu la même distinction par ces deux institutions. Il y avait par exemple l’ancien premier Ministre centrafricain, Monsieur Henri Marie Dondra, l’actuel Ministre de la Communication en Centrafrique, Monsieur Maxime Balalou, une Ancienne collègue chez Internews qui est actuellement Haut Cadre au FONAREV, Madame Emmanuela Zandi et bien d’autres. Dans la vérification, j’étais aussi impressionné par les types et les approches d’enseignements proposés par les deux institutions. J’avais trouvé cela innovant. L’examen des dossiers avaient pris aussi un long moment et rien de me rassurait que je puisse être sélectionné. S’agissant de l’émotion, elle a été grande du fait que cette distinction arrive dans un contexte particulier pour les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Comme vous le savez, le siège de ma structure se trouve à Gama et a été victime de vandalisme lors de la chute de la ville Goma en janvier dernier. Et comme tous les entrepreneurs dans cette partie du pays, la situation est très compliquée. Au regard de tout cela, c’est vraiment une surprise et une consolation que cette distinction arrive en ce moment précis. C’est un message fort pour dire que tout ce que nous faisons de bien, peu importe la taille de l’action, et la zone où elle se déroule, quand c’est bien fait, c’est un investissement qui peut toujours nous relever à tout moment au niveau moral, matériel ou social.
Que représente pour vous ce titre honorifique dans votre parcours professionnel et personnel ?
Pascal Cirha : Ce titre représente pour moi, trois choses. D’abord, c’est un message d’encouragement. Je comprends que les efforts que nous investissons pour le bien de la société, même quand ce n’est pas reconnu à sa juste valeur au moment de l’action ou dans la zone de l’action, il y a toujours quelque part, un œil avisé qui apprécie et de cœurs généreux prêts à récompenser quand c’est possible. De deux, c’est un appel à la responsabilité. Ce titre souligne pour moi, que la société attend encore beaucoup de moi et que je dois être un acteur pour inspirer les autres et notamment les nouvelles générations. De trois, c’est un appel à l’humilité et au sérieux dans mes actions. Je n’ai pas fait quelque chose d’extraordinaire pour mériter ce privilège. Le message ici, c’est de dire que tout ce que nous posons comme action peut impacter positivement ou négativement notre vie et la vie de milliers d’autres personnes. 
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Cette reconnaissance intervient lors d’un colloque sur l’innovation et le développement durable en Afrique, organisé par l’IARPA et le CVPT, en collaboration avec le Ministère de la Microfinance et de l’Économie Sociale et Solidaire du Sénégal. Comment voyez-vous l’importance de ce contexte pour votre distinction ?
Pascal Cirha : Oui, le monde fait face à beaucoup de situations critiques. Dans ce contexte, L’Afrique se présente aujourd’hui comme un véritable laboratoire d’innovation face aux enjeux majeurs du XXIᵉ siècle : changement climatique, mutations économiques et profondes transformations sociales. Ce colloque international, qui s’est tenu du 18 au 19 novembre à Dakar, s’inscrivait dans la dynamique de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et ambitionne de nourrir des réflexions éclairées ainsi que des actions concrètes autour de l’innovation inclusive, de la gouvernance climatique et de la durabilité financière. Cette distinction me place au cœur de cette réflexion. Les recommandations de ce colloque constituent en quelque sorte un cahier de charge sur lequel nous tous les nominés allons travailler en développant des synergies avec d’autres acteurs. Nous allons, bien évidemment, agir en collaboration avec les deux institutions qui nous ont honorés et nous joindre au réseau d’Alumni Docteurs Honoris Causa de l’IARPA et CVPT. Ce réseau est une communauté dynamique de personnalités influentes, investies dans l’innovation, la recherche et le partage du savoir. C’est donc un chantier ouvert et nous allons essayer de nous y investir pour apporter nos contributions et continuer d’apprendre, les uns des autres.
Cette distinction honore plus de vingt années consacrées au développement du pluralisme radiophonique en RDC et sur le continent africain. Quel regard portez-vous sur cette longue carrière et son impact sur le secteur médiatique ?
Pascal Cirha : Oui, vingt ans, ce n’est pas rien, mais lorsque la société nous donne de nouvelles responsabilités comme c’est le cas à travers ce titre, on a l’impression de répartir à zéro quand on doit affronter des nouveaux chantiers. On doit engager des nouvelles rencontres, imaginer de nouvelles stratégies, créer de nouveaux partenariats, … Oui, des nouveaux challenges !
En toute humilité, il faut une nouvelle énergie et des nouvelles stratégies. Aussi, au regard des défis auxquels le secteur de médias est confronté aujourd’hui, je dois reconnaître que pendant les vingt ans, avec mes employeurs et mes collaborateurs et grâce à l’appui de nos bailleurs des fonds, nous avons apporté des réponses selon les besoins du moment, nous avons posé des bases mais aujourd’hui, il y a une urgence de consolider ce que nous avons bâti et en même temps, réfléchir sur la manière d’aborder et de s’adapter aux nouveaux défis, de répondre aux nouveaux besoins de la profession et des communautés en matière d’information.
Vous êtes reconnu comme un formateur respecté et passionné ayant accompagné plusieurs générations de journalistes. Quels enseignements ou valeurs estimez-vous avoir le plus transmis à vos étudiants et collaborateurs ?
Pascal Cirha : Il n’y a pas de formateur respecté sans apprenants respectés et respectueux. La réussite de toute formation dépend de la complicité qui se crée entre le formateur et l’apprenant. Oui, j’ai eu la grâce de monter et de travailler sur plusieurs projets de formation des journalistes et des jeunes. J’ai noté durant ce parcours comme leçon qu’une connaissance n’a de valeur que lorsqu’elle est transmise de bon cœur, dans le respect de la dignité de la personne humaine et aussi dans le respect de règles de l’art. J’ai toujours dit aux apprenants, qu’ils sont les premiers responsables de leur formation. Ils doivent coopérer pour faciliter la tâche au formateur, ils sont aussi contributeurs, le formateur ne connaît pas tout, il apporte sa part et on met en commun nos savoirs pour avancer. Le formateur aussi doit intérioriser ces valeurs et créer des conditions pour permettre aux apprenants de pouvoir les intégrer dans leurs comportements.
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J’insiste aussi sur le fait que le savoir doit nous permettre d’avancer, mais qu’avancer seul ne sert presque à rien. On gagne plus en avançant avec les autres. A mon avis, une des sources de notre pauvreté, malgré nos gros diplômes, c’est d’avoir hérité un système d’enseignement qui nous met plus en compétition qu’en collaboration, un enseignement qui renforce des modèles de travail en solo que des modèles plus collaboratifs. C’est cela que j’essaie de déconstruire à travers mes approches de formation et de management des équipes, mais je dois avouer que ce n’est pas toujours facile d’amener le gens à s’éloigner de la tentation de l’individualisme.
Votre travail a contribué à la professionnalisation du secteur médiatique et à la promotion d’une information libre, éthique et accessible. Selon vous, quels sont encore les défis majeurs pour le journalisme en Afrique aujourd’hui ?
Pascal Cirha : Comme je l’ai déjà évoqué ci-haut, l’écosystème médiatique mondial et africain est à la croisée de chemins entre les enjeux géopolitiques, les conflits ici et là, des catastrophes qui secouent le monde et les avancées technologiques. La liberté de la presse n’avait jamais été menacée comme on le voit aujourd’hui. Nous sommes face à une population qui devient de plus en plus exigeante et prête à se servir elle-même sans attendre l’intervention du journaliste pour être informée. Dans ce contexte, la qualité de l’information pose problème car la désinformation semble prendre le devant à la place de la vérité.
Nous sommes face à des gouvernements et d’autres forces qui deviennent de plus en plus intolérants pour la liberté de la presse. Nous sommes aussi dans un contexte où la précarité des médias se renforce et où les possibilités d’accès aux financements pour les médias deviennent de plus en plus rares. Tout cela met en mal le travail du journalisme en Afrique. Les défis sont donc multiples.
En tant que Directeur Général de Colibri Multiservices (COMUS), vous représentez votre entreprise à l’international. Comment cette distinction renforce-t-elle votre engagement dans le développement des médias et des initiatives africaines ?
Pascal Cirha : Depuis sa création au Cameroun, Colibri Multiservices(COMUS) a toujours inscrit sa démarche dans une logique de travail au niveau local, national et international. Je pense que cette distinction est une grande opportunité qui renforce COMUS dans cette vision de se mettre au service des communautés à différents niveaux géographiques et thématiques. C’est ici l’occasion de remercier tous les collaborateurs, nos partenaires et clients qui, à travers les différentes collaborations, ont toujours donné une certaine visibilité et de la crédibilité à COMUS. Cette distinction est aussi les résultats de leur soutien à nos actions et je pense que cela va être pour eux, une nouvelle source de motivation pour continuer de nous faire confiance.
Qu’il s’agisse du secteur des médias, de l’humanitaire, du développement ou de la promotion de la paix et de la démocratie, je souhaite que cette distinction soit pour mes collaborateurs, pour nos partenaires, pour tous les bénéficiaires de nos interventions en particulier les jeunes formés par COMUS, un élément de motivation qui renforce nos liens afin de continuer à servir les communautés qui attendent beaucoup de nos engagements et de nos expertises.
Cette reconnaissance par l’IARPA salue la contribution de personnalités africaines et internationales dans des domaines clés tels que la science, l’innovation, la culture, la politique et le développement durable. Comment voyez-vous votre rôle dans ces différentes sphères, au-delà du journalisme ?
Pascal Cirha : Au-delà d’être un titre honorifique, cette distinction est avant tout, une lourde responsabilité. Lorsqu’on vous confère un tel titre, c’est un appel à plus d’engagement pour défendre une cause ou un certain nombre de causes pour le bien de la société. Je suis engagé pour un paysage médiatique plus professionnel et plus responsable, je suis aussi engagé pour la professionnalisation et l’autonomisation des jeunes. Je vais poursuivre ces combats. Je pense que cette distinction est une grande opportunité pour me repositionner dans mon rôle d’acteur engagé pour ces causes. J’espère aussi que cette distinction me permettra d’ouvrir certaines portes pour faire avancer mes luttes à travers les diverses collaborations que je vais avoir avec d’autres Alumini Docteurs Honoris Causa des ceux deux institutions qui nous ont honorés et bien au-delà.
Quelles recommandations donneriez-vous aux jeunes journalistes et professionnels africains qui aspirent à exceller dans leur domaine tout en promouvant l’éthique et la qualité de l’information ?
Pascal Cirha : Comme recommandations aux jeunes journalistes et professionnels africains, c’est d’abord, chercher à faire bien ce qu’on doit faire, être attentif à l’évolution du monde et se mettre constamment à jour, privilégier le travail collectif et être prêt à partager collectivement dans la transparence, le bénéfice du travail réalisé collectivement. Personne n’a le droit d’être heureux tout seul pendant que les autres souffrent. C’est cela qui crée des tensions dans nos organisations et des guerres dans nos pays ! L’Afrique doit cesser d’être un continent qui avance tout le temps des plaintes et des accusations pour justifier son malheur. Elle doit être un continent qui s’appuie sur sa jeunesse pour agir, innover et transformer ses potentialités en richesses pour améliorer les conditions de vie des citoyens.
Le bonheur des jeunes africains est en Afrique et pas ailleurs. Nous devons y travailler. Tout cela passe par la qualité de la formation et des informations que nous consommons et que nous mettons à la disposition du public pour forger une élite plus responsable et plus engagée pour les biens de tous. L’Afrique ne va pas se construire avec une élite prédatrice qui s’accapare des richesses de nos pays en laissant la grande masse de la population dans une misère indescriptible.
Quelle est votre vision pour le futur des médias en Afrique, en termes de pluralisme, d’innovation et d’accès à l’information ?
Pascal Cirha : Je rêve d’un paysage médiatique africain qui traite avec professionnalisme, liberté et indépendance les réalités africaines avec et pour les africains grâce aux financements africains. Ça fait vingt ans que je travaille sur des projets de développement des médias africains et ma souffrance est qu’à chaque formation, je dois veiller à ce que la visibilité des financements des pays du nord soit mise en exergue, l’argent du contribuable européen ou américain ! Je me pose toujours la question de savoir si avant la fin de ma carrière dans ce secteur, j’aurai la chance et la fierté de former les journalistes africains pour traiter les réalités africaines en utilisant les financements africains !
Voilà le rêve et les inquiétudes que je porte. En tant qu’africains (dirigeants et dirigés), les nouvelles logiques qui guident actuellement les dynamiques de financements de l’aide au développement devraient nous interpeller pour prendre nos responsabilités en main. L’Afrique doit se réveiller et ses dirigeants doivent comprendre qu’il n’y aura pas de développement ou de démocratie sans médias professionnels, libres et indépendants. L’information est la richesse de richesse, priver sa population de l’accès à l’information, c’est la condamner à vivre dans l’ignorance et la misère.
Comment conciliez-vous votre rôle de leader, formateur et professionnel engagé avec votre vie personnelle et vos engagements internationaux ?
Pascal Cirha : C’est une question d’organisation et de discipline personnelle. Aujourd’hui plus qu’hier, on a plus de facilités offertes par l’évolution technologique. On peut travailler sur plusieurs dossiers à la fois et à différents endroits grâce à la magie de la technologie. Il est aussi important que dans la famille, il y ait une bonne communication sur les responsabilités que chaque membre de la famille porte au niveau interne et au niveau de la société. La famille peut être un soutien important dans l’accomplissement des engagements sociaux et professionnels. La famille peut être aussi un élément déstabilisateur lorsque la communication sur les engagements sociaux et professionnels des uns et des autres n’est pas bien claire ou lorsque ces engagements ne sont pas connus au sein de la famille.
Cette distinction représente-t-elle un encouragement à de nouveaux projets ou initiatives pour COMUS ou pour le secteur médiatique africain en général ?
Pascal Cirha : Oui, c’est un grand signe d’encouragement et de consolation après toutes les pertes enregistrées et le recul qui découle de la guerre à l’Est du pays. C’est surtout un appel à l’action, une invitation à ne pas baisser les bras.
C’est un coup d’accélérateur pour stimuler à nouveau la réflexion pour de nouveaux projets tant pour COMUS que pour mon engagement dans le secteur des médias. Je dédie cette distinction à tous mes collaborateurs et collègues, à tous mes employeurs et clients pour les consultances qui m’ont donné des multiples opportunités de travailler sur différents projets, à ma famille et aux amis, à tous les bénéficiaires de mes interventions, les journalistes, les jeunes, les membres de communautés, les autorités des pays qui m’ont accueillis en particulier, la République Démocratique du Congo, la République Centrafricaine, le Cameroun, le Burundi, la Guinée Conakry ( et bien d’autres) et qui m’ont permis de travailler à leurs côtés pour faire avancer certains projets pour le bien de nos communautés.
Je garde une pensée pieuse à l’endroit des tous les journalistes qui ont perdu la vie dans l’exercice de leurs fonctions ou par manque d’une prise en charge correcte à la suite d’une maladie. Que cette distinction reste un signe de notre engagement et de notre vision pour un monde plus juste et plus respectueux de la dignité de la personne humaine.
Propos recueillis par Honneur-David Safari

