Intervenons-nous

Félix Tshisekedi a décrété l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu depuis le jeudi 6 mai dernier pour dit-on, répondre efficacement à la menace de l’insécurité devenue grandissante dans les deux provinces.

En effet, ces deux provinces sont particulièrement en proie à une violence armée très violente qui fait des victimes civiles tous les jours.

Si la décision est à première vue saluée par des acteurs sociaux et politiques fatigués de compter les morts, les craintes sont tout de même perceptibles. Il s’agit des craintes par rapport au travail des défenseurs des droits humains, sur les questions des droits fondamentaux des citoyens, etc.

En Ituri par exemple, Christophe Munyanderu, de la Convention pour le Respect des Droits Humains (CRDH) à Irumu dans la Province de l’Ituri, soutient toute décision capable de ramener la paix dans la région. Il craint tout de même que les citoyens ne soient informés à temps afin que ces mesures soient mises en place.

« Pourvu qu’on puisse ramener la paix dans la région et pour cette population meurtrie », dit-il.

Des militaires comme bourreaux ? Des défenseurs des droits de l’homme inquiets

Des défenseurs des droits humains sont conscients que la situation dans ces régions est grave et qu’elle nécessitait une solution « extraordinaire ». Nombreux redoutent cependant que les droits, même celui lié à la vie ne soit violés.

Un activiste pro-démocratie de la « Véranda Mutsanga » dans la région de Beni dit comprendre la situation mais rappelle que des militaires « affairiste » ne peuvent pas être la solution efficace si aucune mesure n’est prise.

« La situation de Beni et Ituri est complexe. Nous saluons d’abord cette mesure prise par le Président de la République mais nous craignons que le renforcement du pouvoir des militaires ne vienne rallonger la liste des violations des droits humains. On sait que dans cette région, Certains militaires ont d’énormes internes ici et ont instauré leur loi dans la cacophonie des ADF. Que faire pour qu’ils ne deviennent plus nuisibles et qu’ils se repentent pour le bien des populations ? Espérons que les activistes ne seront pas les premiers visés au cas où on note des dérapages », dit-il.

Cette inquiétude est relayée par Steward Muhindo Kalyamughuma, Chargé de l’Information Publique au Centre de Recherche sur l’Environnement, la Démocratie et les Droits de l’Homme (CREDDHO), une organisation basée à Goma, Capitale du Nord-Kivu.

« Il est important que l’armée n’abuse pas de son pouvoir pour commencer à violer des droits »

Comme d’autres, il pense que c’est une bonne nouvelle que les autorités aient pris une mesure assez forte contre l’insécurité dans les deux provinces. Cependant, s’interroge Steward Muhindo, est-ce la bonne ?

« En tout cas beaucoup d’inquiétudes parce que les FARDC, vu leur immense pouvoir encore renforcé, ne sont pas tellement professionnelles dans la zone. On a par exemple lu le dernier rapport du BCNUDH et on a vu que les acteurs qui font plus des violations des droits de l’homme sont des militaires FARDC. Vous voyez que ce sont des gens qui sont craints par la population et ce sont eux encore eux qui vont encore avoir tous les droits sur eux » s’inquiète-t-il.

Il cite plusieurs exemples pour expliquer la situation, notamment sur la question de la justice militaire.

« On a vu par exemple que la justice militaire est plusieurs fois accusée de monnayer la justice. Comme à Beni par exemple, on a vu que la justice militaire est lente à traiter tous les dossiers auxquels elle est confrontée encore des dossiers qui sont commis par des civils. Ça signifie qu’il y a d’inquiétudes sur l’accès de ce droit à la justice, beaucoup d’inquiétudes durant cette période d’état de siège et même sur la capacité, l’efficacité de l’état de siège parce qu’il y a des problèmes structurels importants », « inquiète ce défenseur des droits de l’homme.

Cependant Steward ne compte pas lâcher prise malgré cette situation exceptionnelle que vont vivre les habitants de l’Ituri et du Nord-Kivu.

« On sait que l’armée n’est pas motivée, on sait qu’elle n’est pas suffisamment équipée, il y a certains éléments de l’armée qui collaborent avec les ennemis ; même si on décrète l’état de siège et que ces problèmes ne sont pas pris en compte, ça risque de ne pas avoir beaucoup des résultats. L’espoir serait qu’on apprenne un peu, qu’au-delà de décréter cet état de siège, les problèmes fondamentaux de l’armée sont résolus notamment cette éducation citoyenne pour s’assurer qu’elle ne devienne pas une terreur qui finalement rompra le mariage civilo-militaire qui est quand-même un ingrédient important pour rétablir la paix. Il est important que l’armée n’abuse pas de son pouvoir pour commencer à violer des droits », conclut-il.

L’administration des militaires inquiète également les avocats
Ituri-
Le Gouverneur militaire Luboya Nkashama est arrivé en Ituri

Les avocats prestants dans la ville de Beni saluent également la décision de l’état d’urgence mais expriment quelques inquiétudes face à l’attitude que va prendre l’administration militaire, vis-à-vis des dérapages qui se constatent en période normale.

Le barreau du Nord-Kivu a adressé une lettre au Chef de l’Etat quant à ce.

«Excellence monsieur le président de la République, en notre qualité de sel de la justice et de la terre, de  lumière de ceux qui redoutent une lutte sauvage pour la vie ainsi que de la raison du plus fort et de rempart pour ceux qui craignent la loi du talion et le gouvernement du talion, Nous nous faisons l’agréable devoir de tirer des maintenant la sonnette d’alarme afin d’éviter que les mesures qui seront prises dans l’ordonnance de mise en œuvre de l’état de siège annoncé ne vienne consacrer et légitimer tous les abus que nous vivons déjà ici de la part de certains éléments de nos forces armées ainsi de la Police Nationale Congolaise et que se faisant,  l’objectif poursuivi par votre excellence en décrétant l’état de siège ne soit point atteint », disent les avocats dans une correspondance lue par Maître David Bwambale

Leur crainte, disent-ils, est qu’une fois mis en place, la situation relative aux violations des droits de l’homme « ne se retrouve davantage détériorée ».

«A ce stade, notre vœu est que l’ordonnance présidentielle relative aux mesures d’applications de cet état de siège que vous allez prendre puissent plus renforcer le pouvoir répressif des juridictions militaires qui existent ici au Nord-Kivu et en Ituri et que ceux d’entre les militaires qui seront chargés de gérer,  pendant cette période, la RES publica soient choisis parmi les meilleurs des membres de ce corps prestigieux dont malheureusement l’image a longtemps été ternie par la méconduite de certaines brebis galeuses qui ont déjà presté dans ce coin de la RDC ».

Les politiques soutiennent mais restent vigilants  

Dans les deux provinces, les politiques sont fatigués par ces massacres. Ils tentent de soutenir toute décision qui donne l’impression de venir résoudre le problème.

Crispin Mbindule est député national élu de la ville de Butembo. Il appelle les Gouverneurs nommés dans le Nord-Kivu et l’Ituri à collaborer avec les populations. Il espère lui aussi que les nouvelles autorités ne viennent pas enfoncer le couteau dans la plaie.

« Ce gouverneur armé qui vient d’être nommé doit coopérer avec la population. Ils doivent aussi écouter les préoccupations de la population et certaines de leurs propositions. La sécurité est une affaire de tous. Il ne faut pas que les militaires viennent ici pour intimider la population. Ce n’est pas ça l’état de siège.  Lorsqu’un maire de ville militaire sera nommé à Beni, il sera, non pas un maire avec des lunettes et cravate pour intimider la population, mais un maire qui va chaque jour se réveiller et passer dans des communes pour voir ce qui s’y passe. Le Gouverneur militaire ne vient pas pour terroriser la population, il vient plutôt pour coopérer avec elle », a-t-il espéré.

Comme Mbindule, un autre acteur politique membre de l’Union Sacrée du Président Tshisekedi en Ituri et qui a préféré garder l’anonymat craint que des politiques « véreux » ne se règlent des comptes.

« Dans notre pays, on est habitué à se régler des comptes. Maintenant, nous espérons que certains adversaires politiques véreux ne vont pas en profiter pour enterrer les autres en les accusant de tous les maux. Vous savez que la justice de notre pays va avec le régime qui arrive. On espère sincèrement qu’un éventuel échec ne soit mis sur la tête des adversaires politiques pour trouver une bonne excuse. Tout est possible », dit-il sous le sceau de l’anonymat.

Et quid pour les provinces voisines ?

L’insécurité déjà visible dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri affecte déjà les provinces voisines de ces entités. C’est par exemple les provinces de la Tshopo, le Haut-Uele, voisine de l’Ituri et le Sud-Kivu (voisine au Nord-Kivu).

Au Sud-Kivu particulièrement, l’inquiétude est grandissante. Des acteurs de la Société Civile craignent que la situation d’insécurité ne se multiplie déjà sur place si rien n’est fait pour encadrer l’état de siège. Alors que les armes lourdes crépitent dans les Hauts et moyens plateaux d’Uvira, Fizi et Mwenga ou encore dans le Kalehe, les acteurs sociaux espèrent que les mesures prises dans la province voisine ne « ramènent les bandits » vers le Sud.

« Des bandits pourraient faire de la province du Sud-Kivu leur refuge en attendant la fin des grandes opérations. Vous pouvez constaté l’accroissement du banditisme dans toutes les villes et agglomérations et il est visible que les armes circulent en grande quantité. Comment faire face à tous ces bandits armés qui pourraient fuir le Nord-Kivu et l’Ituri ? » s’interroge un acteur de la Société Civile au Sud-Kivu, qui demande des mesures « urgentes d’encadrement ».

Des interrogations sur certaines mesures prises dans l’état de siège

En attendant, un activiste des droits humains au Sud-Kivu dit ne pas comprendre la portée de la mesure suspendant les Assemblées Provinciales.

Jean de Dieu Mulikuza est avocat. Il rappelle que les mesures dérogatoires doivent revêtir un caractère de nécessité absolue et être strictement indispensables pour faire face au danger public. Il s’interroge sur la nécessité même de fermeture de deux assemblées provinciales. Une mesure disproportionnée, dit-il.

« L’Etat ne peut suspendre les droits et libertés garantis que dans la mesure où l’exercice de ceux-ci serait de nature à l’empêcher de faire face audit danger public. Quel est alors le lien existant entre la suspension des Assemblées provinciales du Nord-Kivu et de l’Ituri et la menace qui pèse aujourd’hui sur la paix dans ces Provinces ? Le fonctionnement de deux assemblées provinciales serait-il de nature à empêcher la restauration de la paix ? A mon avis, la mesure de fermeture momentanée de deux Assemblées Provinciales est disproportionnée », soutient-il.

Et si on revenait à la situation de Kisangani en 2000 ?

Comme en 2000, les armées Rwandaises et Ougandaises se retrouvent sur le territoire congolais et ne s’empêchent pas de se battre dans la ville de Kisangani faisant d’énormes dégâts humains.

21 après, les séquelles de ces affrontements n’ont pas arrêté de se manifester dans la région. Pourtant, à en croire des médias Ougandais, le Chef de l’Etat de la RDC a invité l’armée Ougandaise afin de l’aider à combattre les forces négatives dans la région frontalière. Le Rwanda s’est également dit prêt à tout mettre en œuvre pour en finir avec ces forces négatives, crachant au passage des millions des congolais qui sont morts à la suite des longs conflits armés créés notamment par l’activisme des groupes armés soutenus par le régime de Paul Kagame. En effet, pour Paul Kagame, il n’y a jamais eu des crimes à l’Est de la RDC.

Félix Tshisekedi a également annoncé l’arrivée des éléments de l’armée Kenyane pour venir se joindre à la lutte contre les groupes armés à l’Est et neutraliser les foyers d’insécurité.

La question pour nombreux acteurs sociaux reste : comment ces armées des pays voisins devront-elles être gérées en cas de leur arrivée sur le territoire national ? Pour beaucoup des défenseurs des droits de l’homme, Félix Tshisekedi commettrait une « erreur monumentale » car l’état de siège pourrait se transformer en un terrain de règlement des comptes et de violation des droits de l’homme.

En attendant, Félix Tshisekedi, le Président de la République dit tenir pour le retour de la paix dans sa partie Est, une région qui peine à se relever d’une situation d’insécurité et des massacres à grande échelle depuis plus de vingt ans déjà. Sera-t-elle cette fois la bonne ? C’est ce qu’espère plus d’un dans la région. Des organisations de défense des droits humains quant à elles insistent que quelques soient les efforts pour ramener la paix, le respect des droits fondamentaux des citoyens doit rester un « must ».

Jean-Luc M.

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