Intervenons-nous

    Le 11 novembre 2024, comme chaque année, sera célébrée la Journée des célibataires, un événement qui, à première vue, semble mettre à l’honneur le choix de vivre seul, sans partenaire. Une journée pour briser le tabou du célibat, pour affirmer qu’il n’est ni un défaut ni un manque. Cependant, à Bukavu et dans toute la province du Sud-Kivu, cette journée, loin d’effacer les préjugés, reflète davantage les tensions sociales qui pèsent sur ce statut, surtout lorsqu’il s’agit de femmes célibataires.

    Lancée dans les années 1990 par des étudiants de l’université de Nankin en Chine, la Journée des célibataires était à l’origine un moyen de défier la Saint-Valentin, en célébrant la liberté et l’indépendance, des valeurs qui résonnent différemment selon les cultures. Cette journée, qui se déroule chaque année le 11 novembre (date marquée par quatre « 1 » représentant la solitude), a trouvé un écho mondial, y compris en République Démocratique du Congo.

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    Mais malgré ce contexte de célébration de l’indépendance, les stéréotypes et jugements restent profondément ancrés dans les mentalités, notamment au Sud-Kivu. Si être célibataire est plutôt toléré, voire valorisé, chez les hommes, pour les femmes, cela demeure un sujet de moqueries, de préjugés et de pression sociale surtout quand elles atteignent un certain âge.

    À Bukavu, une femme célibataire, quel que soit son âge, devient souvent l’objet de remarques et de moqueries. Dès qu’elles franchissent un certain âge, elles sont surnommées « Shanga » ou « Tante », un terme péjoratif désignant celles qui, selon certains, n’ont pas « réussi » à trouver un partenaire ou à se marier.

    Une femme célibataire est perçue comme une anomalie sociale, une figure qui ne répond pas aux attentes traditionnelles. Dans certaines familles, le célibat prolongé d’une fille est même source de honte, un sujet dont on préfère ne pas parler.

    « Les opinions sur le célibat varient beaucoup en fonction des familles, mais souvent, les femmes célibataires sont vues comme ayant échoué dans leur rôle traditionnel », explique un habitant de Bukavu.

    Dans un environnement où la famille et le mariage sont des piliers essentiels de la structure sociale, une femme sans mari est souvent perçue comme étant à la marge, comme une « incapable » ou une « solitaire », un terme qui n’a aucune connotation positive dans cette société.

    Pourtant, nombreuses sont celles qui refusent désormais d’être définies par leur statut marital. De plus en plus de femmes choisissent délibérément de rester célibataires, préférant la liberté qu’offre ce statut plutôt que de se conformer à des attentes sociales écrasantes.

    Une jeune femme de 27 ans, que nous avons rencontrée dans une pharmacie à Bukavu, raconte :

    « Il y a des avantages à être célibataire, notamment la liberté. Quand on est célibataire, on peut prendre son temps pour se construire, pour réaliser ses projets. À partir de 18 ans, jusqu’à 30 ans ou plus, c’est l’âge idéal pour se concentrer sur soi-même, pour voyager, pour se forger une vie. Personne ne me dit ce que je dois faire ou où je dois aller. C’est une liberté totale ! ».

    Ce discours, qui incarne une certaine émancipation, reste cependant un défi dans un environnement où le mariage est encore perçu comme un accomplissement de la vie d’une femme.

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    Alors que de plus en plus de célibataires, hommes comme femmes, utilisent les réseaux sociaux pour célébrer leur statut et leur indépendance, les femmes du Kivu continuent de porter la lourde pression de devoir « se marier » pour être pleinement acceptées dans la société.

    À l’inverse, pour les hommes, être célibataire n’est pas forcément une tare. Bien que certains puissent être jugés sur leur choix de ne pas se marier, ces stéréotypes ne sont pas aussi ancrés et virulents que pour les femmes.

    Les femmes célibataires sont, quant à elles, souvent associées à une image d’immaturité ou d’irresponsabilité.

    « Si tu n’as pas de famille, tu n’as pas encore pris ta place dans la vie », peut-on entendre dans certains cercles sociaux. Ce regard porté sur le célibat féminin vient renforcer un sentiment de stigmatisation.

    Un jeune homme de Nyawera abonde dans ce sens en affirmant que, malgré les avantages évidents de rester célibataire, les célibataires et principalement les femmes sont fréquemment perçues comme immatures ou incapables de gérer des responsabilités.

    « Le célibat n’est pas un inconvénient en soi, mais dans certaines cultures, il peut être mal vu. Si tu n’as pas encore de famille, on te considère comme irresponsable. La société te juge comme si tu n’avais pas encore compris ce que signifie être un adulte ».

    Ce stéréotype s’applique bien plus aux femmes, qui, dans le cadre traditionnel de la société congolaise, sont attendues à jouer un rôle central dans la gestion du foyer. Ne pas se marier ou ne pas avoir d’enfants à un certain âge, dans l’imaginaire collectif, est perçu comme un échec.

    Malgré ces pressions sociales, la réalité est en train de changer. De plus en plus de jeunes femmes choisissent de ne pas se soumettre aux stéréotypes et revendiquent leur droit à une vie pleine et épanouie, qu’elle soit en couple ou non.

    Elles refusent de laisser la société définir leur valeur. Sur les réseaux sociaux, elles publient des photos, des témoignages et des messages qui valorisent leur indépendance et leur liberté.

    Cependant, si cette tendance est en croissance, la pression autour du mariage, particulièrement pour les femmes, demeure encore forte.

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    Les stéréotypes continuent de dicter une norme sociale rigide, qui pèse sur les choix de vie des femmes du Kivu. La route vers l’acceptation du célibat, comme une forme de vie tout aussi valable que le mariage, reste encore semée d’embûches.

    La Journée des célibataires à Bukavu et dans le Sud-Kivu n’est pas seulement une occasion de célébrer l’indépendance et la liberté des célibataires. C’est aussi un moment pour rappeler combien le célibat, surtout chez les femmes, est encore entouré de stéréotypes et de jugements dans la société congolaise.

    Si les mentalités évoluent peu à peu, les femmes célibataires continuent de lutter contre des attentes culturelles qui veulent leur imposer un modèle unique de bonheur et de réussite. Le célibat, comme le mariage, reste avant tout une question de choix personnel, et cela, la société doit l’accepter.

    Guilaine Mutaba et Dina Mushagalusa

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