Le cardinal guinéen Robert Sarah vient de publier un ouvrage controversé sur le célibat des prêtres, « Des profondeurs de nos cœurs ». L’homme incarne ces dernières années le camp conservateur de l’Église catholique et constitue le principal opposant aux volontés réformatrices du pape François. Ses thèmes trouvent un écho certain en Afrique. Peut-il devenir le premier pape africain ? Éléments de réponses.
Nous sommes en octobre 2015, au Vatican. Le pape François vient de convoquer des centaines d’évêques. Ce synode, consacré à la famille, doit concrétiser les volontés réformatrices du pontificat de Jorge Mario Bergoglio. Dans une salle de la Curie, 51 évêques africains se réunissent. C’est alors un rassemblement inédit. Unique. Pour la première fois, une position africaine sur la famille chrétienne se dessine dans les murs de Saint-Pierre de Rome.
Chef de la contestation
Ces évêques africains sont venus répéter, à l’occasion de ce synode en 2015, leur hostilité à toute évolution de l’Eglise sur le cas des divorcés remariés ou sur l’homosexualité, réclamée par de nombreux fidèles et ecclésiastiques européens ou américains. Un homme est le chef de cette « contestation africaine » : le cardinal guinéen Robert Sarah.
Quelques jours avant le synode, le cardinal a en effet mené la charge et coécrit avec d’autres prélats africains dont Samul Keda, l’archevêque de Douala au Cameroun, un ouvrage au titre qui sonne comme un manifeste, L’Afrique, la nouvelle patrie du Christ.
L’Afrique, selon les propos du livre, est devenue « le refuge des vraies valeurs chrétiennes ». Et Robert Sarah en est son défenseur face aux velléités de changements du pape François. Le synode sur la famille se solde, face à cette opposition de ces 51 évêques, par un échec pour le pontife argentin.
Le cardinal Sarah, par son parcours, sa position au sein de la Curie et son aura intellectuelle, s’est imposé comme une « figure presque tutélaire » des églises africaines selon Odon Vallet, politologue et spécialiste des religions. « C’est un homme de foi qui a forgé des convictions très fortes dans son histoire sacerdotale ».
Le plus jeune évêque au monde
Le cardinal Robert Sarah est né en 1945 dans le nord de la Guinée dans une famille animiste. Le jeune animiste est évangélisé par des pères français. C’est un enfant de la mission coloniale. Il décide au lendemain de l’indépendance de rentrer dans les ordres et part en France au séminaire de Nancy avec cinq autre jeunes séminaristes africains.
« Ces cinq autres camarades qui rentrent dans les ordres sont alors tous en couple. C’est quelque chose qui va le choquer et le marquer longtemps sur la nécessité de refonder moralement l’Église et notamment les églises africaines », analyse Odon Vallet. Il retourne en Guinée. Les circonstances politiques et historiques vont très rapidement lui permettre de grimper dans la hiérarchie de l’église locale.
Le régime d’Ahmed Sékou Touré, d’inspiration socialiste et marxiste s’en prend à la petite communauté chrétienne, dans un pays majoritairement musulman. Le jeune Robert Sarah remplace ceux qui ont disparu dans les purges, à des postes clés du clergé local. Il devient à 34 ans, en 1979, le plus jeune évêque au monde.
« Il se transforme, un peu sans réellement le vouloir, en une figure résistante au régime », observe Odon Vallet, politologue spécialiste des questions religieuses. « Sékou Touré n’osait pas s’en prendre à lui car l’homme commençait à avoir une petite notoriété dans les églises catholiques du continent », ajoute le chercheur.
Le Vatican le repère. Jean Paul II le nomme secrétaire de la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples, un poste stratégique au sein de la Curie.
Il devient un proche du cardinal allemand Joseph Ratzinger, chargé lui de surveiller le respect des principes théologiques au sein de l’Eglise. Joseph Ratzinger est élu pape. Benoît XVI fait de Robert Sarah un cardinal. Il est aujourd’hui en charge de ce que doit être la liturgie au sein de l’Eglise.
En quelques années, au sein de la Curie, Robert Sarah est donc devenu incontournable. Il est « une sorte de ministre d’Etat au sein du Vatican », confie le père français Christian Venar, qui l’a rencontré et a travaillé avec son entourage.
L’homme est très vite remarqué pour son intransigeance doctrinale, une volonté de revenir à des rites et des usages postérieurs à la réforme de l’Eglise catholique des années 60, connue sous le nom de Vatican II.
« Il incarne un camp que l’on pourrait qualifier de conservateur. Il estime que l’Eglise est allée trop loin dans certains domaines et il veut rééquilibrer cette évolution jugée trop à gauche si l’on devait donner une métaphore politique« , confie le prêtre français Christain Venar.
Un discours conservateur écouté en Afrique
Cette offensive conservatrice reste porteuse en Afrique. « L’un des grands thèmes du cardinal Sarah est le rappel de la nécessité du célibat des prêtres. Ce rappel à l’ordre trouve un certain écho car beaucoup de prêtres ne sont pas célibataires sur le continent même s’il est impossible de donner un chiffre fiable »,souligne Odon Vallet.
« Les églises africaines n’ont pas toujours montré l’exemple et donc la hiérarchie catholique pas conséquent est tombée dans une forme de surenchère conservatrice. Ces églises tiennent un discours figé sur les questions de société ou sur la sexualité« , ajoute, dans le même sens, Jean-Pierre Dozon, sociologue et spécialiste des religions en Afrique.
Le cardinal Sarah est devenu incontournable au sein de la Curie. Peut-il devenir le premier pape africain ?
L’idée du Vatican de faire célébrer la messe par des hommes mariés dans des régions qui manquent de prêtres, comme en Amazonie, ne passe pas auprès des évêques africains.
« Qui suis-je pour juger ? », s’était interrogé le pape. Les phrases d’ouverture du pape envers les fidèles chrétiens homosexuels ne sont pas non plus acceptées. « On ne peut pas dire qu’il existe réellement un courant catholique africain libéral ou réformiste qui pourrait être attentif aux propos du pape », note Jean-Pierre Dozon.
Les propos sur l’Église du cardinal Robert Sarah se doublent d’idées bien plus politiques et identitaires. L’Europe, selon les propos du cardinal Robert Sarah, serait « un continent en déclin, en train de devenir musulman à cause des vagues migratoires », rappelle Odon Vallet . « Le seul continent, selon Sarah, qui peut sauver la chrétienté est le continent africain », décrit Odon Vallet. Ce discours qui fait de l’Afrique le refuge du catholicisme trouve un écho auprès des fidèles africains. « C’est un discours qui met l’Afrique au cœur de la question de l’avenir du catholicisme », explique Odon Vallet. « Ces propos sur l’Europe en voie d’islamisation traduisent surtout une logique de confrontation avec les musulmans », ajoute Odon Vallet.
« Il y a une vraie peur de la progression réelle ou supposée de l’islam dans les pays africains. Au Benin, par exemple, on donne la messe, dans certaines églises, en demandant à Dieu d’être protégé des musulmans. On est très loin du dialogue interreligieux prôné par le pape François dans certaines églises africaines », analyse encore Odon Vallet.
Le clergé africain vit dans un « sentiment d’insécurité » selon le sociologue Jean-Pierre Dozon. « L’Eglise se trouve prise en étau entre la progression de l’islam et la formidable expansion des communautés évangéliques. Cette concurrence religieuse effraie et inquiète, même s’il ne faut pas parler forcément de confrontation. Le conflit en Côte d’Ivoire, dans les années 2000, n’avait rien de confessionnel. Mais c’est vrai, l’heure n’est pas au dialogue avec les autres communautés dans de nombreuses églises mais à la réaffirmation de sa foi, de son identité catholique », décrit Jean-Pierre Dozon, sociologue des religions. Les propos du cardinal Sarah, qui peuvent s’apparenter à un « discours religieux identitaire » selon Odon Vallet, s’inscrivent dans ce paysage religieux concurrentiel.
Un futur pape ?
Le cardinal Robert Sarah est de fait devenu l’incarnation du camp conservateur au sein de l’Eglise. Il est perçu comme le principal opposant au pape François. Ce cardinal de 75 ans peut-il nourrir des ambitions pontificales ? « Ces derniers mois, les rumeurs d’une démission du pape François sont réapparues. Robert Sarah se voit bien pape à la place du pape. Il rassemblerait autour de lui les cardinaux africains et les cardinaux conservateurs. Serait-il pour autant élu ? L’homme reste très clivant », estime pour sa part Odon Vallet.
Le père Christian Venar ne prête pas de telles ambitions au cardinal guinéen. « C’est un homme de foi, bien plus qu’un politique. Je ne le vois pas aussi ambitieux ». Jean-Pierre Dozon, spécialiste des religions, n’exclut pas un jour l’élection d’un pape africain. « Mais son pontificat, à l’image de ce que préconisent les églises africaines, serait marqué par un retour du conservatisme ».
Avec TV5 Monde