Intervenons-nous

Quinze ans après la publication du rapport Mapping par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), le Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix, déplore l’absence de volonté politique en République démocratique du Congo (RDC) pour mettre en œuvre ses recommandations, dénonçant une impunité persistante qui alimente de nouvelles violences.

Publié le 1er octobre 2010 malgré de fortes pressions des autorités rwandaises, le rapport Mapping est le fruit d’un an d’enquêtes menées par des experts onusiens. Il documente 617 incidents violents commis entre mars 1993 et juin 2003 en RDC, une période marquée par des guerres régionales d’une extrême brutalité. Les investigations concluaient que la majorité des crimes recensés pouvaient être qualifiés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, et que certains actes pourraient relever du crime de génocide devant une juridiction compétente.

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Selon Denis Mukwege, ce rapport avait suscité en 2010 un immense espoir parmi les victimes et les communautés martyres, car il promettait de rompre avec la culture d’impunité qui prévaut depuis des décennies en RDC.

Mais quinze ans plus tard, « aucune initiative sérieuse n’a été menée en matière de poursuites pénales, de recherche de la vérité et de réformes institutionnelles », regrette le médecin congolais. Il dénonce le fait que des seigneurs de guerre cités dans le rapport occupent encore des postes au sein des forces de sécurité, du gouvernement et des institutions.

Le Prix Nobel de la Paix juge cette inaction d’autant plus grave que la RDC continue de subir les conséquences de cette impunité, notamment avec le retour des violences menées par le M23, soutenu par le Rwanda.

Il souligne également que la communauté internationale reste silencieuse, minée par ses « doubles standards », et que les rares mécanismes amorcés, comme les fonds de réparation aux victimes (FONAREV et FRIVAO), sont aujourd’hui discrédités par des accusations de corruption et de détournement, qui nécessitent des enquêtes judiciaires indépendantes.

« Le seul mécanisme de la justice transitionnelle qui a retenu l’attention à ce jour, à savoir les réparations, laisse un goût amer. Nous profitons de cette déclaration pour  exprimer aux côtés des victimes et des survivants notre profonde indignation suite à  des allégations accablantes de corruption et de détournements de fonds qui viseraient le Fonds national de réparation des victimes de violences sexuelles et des crimes de  guerre (FONAREV) créé en 2022 et le Fonds spécial de réparation et d’indemnisation  aux victimes des actes illégaux de l’Ouganda en RDC (FRIVAO), censé exécuter l’arrêt  historique de la Cour internationale de justice (CIJ) prononcé le 9 février 2022. Ces allégations doivent être enquêtées de manière indépendante par la justice pour éviter que la RDC n’apparaisse comme État patrimonial et prédateur insultant les victimes congolaises et la mémoire de millions de morts ».

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Mukwege rappelle que les guerres qui ont ravagé la RDC avaient une forte dimension internationale, avec l’implication de pays voisins comme le Rwanda et l’Ouganda, accusés d’avoir participé à la déstabilisation du pays et au pillage de ses ressources stratégiques. Pour lui, seule une véritable stratégie nationale de justice transitionnelle articulant justice, vérité, réparations, réformes institutionnelles et garanties de non-répétition pourra ouvrir la voie à une paix durable.

Le gynécologue congolais appelle les autorités de Kinshasa à traduire en actes les engagements récents du président de la République et du ministre de la Justice en matière de lutte contre l’impunité. Il exhorte également la communauté internationale à soutenir la mise en place de mécanismes judiciaires mixtes ou d’un tribunal pénal spécial pour la RDC, et à recourir au principe de compétence universelle pour poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves.

« Il est temps de briser le cycle de l’impunité », martèle Denis Mukwege, qui demande par ailleurs la publication intégrale de la base de données du HCDH contenant les noms des responsables présumés des crimes documentés dans le rapport Mapping.

Jean-Luc M.

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