Le prix Nobel de la paix, Dr Denis Mukwege, s’est dit profondément alarmé par les révélations de Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International (AI) sur les atrocités commises en juillet dernier dans le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), où plus de 140 civils ont été exécutés par le groupe armé M23, soutenu par l’armée rwandaise. Selon HRW, le bilan réel pourrait dépasser 300 victimes, ce qui en fait l’une des pires exactions depuis la résurgence du mouvement fin 2021.
Plus de 140 civils massacrés près du parc des Virunga
Entre le 10 et le 30 juillet, les combattants du M23 ont tué des habitants dans leurs villages, leurs champs et près de la rivière Rutshuru, y compris des femmes et des enfants. HRW a recensé 141 morts ou disparus, tandis que l’ONU rapporte au moins 319 civils tués entre le 9 et le 21 juillet dans quatre localités de Rutshuru. Des informations mentionnent encore 41 exécutions début août.
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Les massacres ont frappé notamment Busesa, Kakoro, Kafuru, Kasave, Katanga, Katemba, Katwiguru, Kihito, Kiseguru, Kongo, Lubumbashi, Nyamilima, Nyabanira et Rubare, alors sous contrôle du M23. Des témoins affirment que les rebelles obligeaient les survivants à enterrer les corps ou à les abandonner, tandis que d’autres cadavres, y compris ceux de femmes et d’enfants, ont été jetés dans la rivière Rutshuru.
HRW indique que ces atrocités auraient été menées par le 1er Bataillon de la 1ère Brigade du M23, sous le commandement du colonel Samuel Mushagara et du général Baudoin Ngaruye, déjà sanctionné par l’ONU pour crimes de guerre. Des survivants rapportent des scènes de terreur : « Nous marchions en silence. Si un enfant pleurait, ils menaçaient de le tuer. Ils tuaient avec des couteaux », témoigne une femme qui dit avoir vu 47 personnes exécutées sous ses yeux au confluent des rivières Rutshuru et Ivi.
Des crimes qui rappellent les pages sombres de l’histoire
Dans sa déclaration, Denis Mukwege dénonce « le recours généralisé à la violence sexuelle comme méthode de guerre par l’ensemble des parties au conflit, notamment par le M23, dont le contrôle et la direction de facto sont assurés par les Forces de défense rwandaises ». Il alerte aussi sur des informations crédibles recueillies par HRW et AI, qui corroborent les constats du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans son communiqué du 6 août.
Ces crimes rappellent, selon lui, « les atrocités commises contre les Hutus en 1996 et 1997 lors de la première guerre du Congo et répertoriées dans le rapport Mapping des Nations Unies ». Mukwege estime que « s’ils étaient portés devant un tribunal compétent, ces crimes imprescriptibles restés impunis pourraient être qualifiés de génocide ».
Si HRW, des témoins et des sources onusiennes confirment l’implication de l’armée rwandaise, Kigali dément et rejette la responsabilité sur des groupes armés hutus, notamment le CMC-Nyatura. L’Alliance Fleuve Congo (AFC), coalition incluant le M23, a aussi rejeté les accusations de l’ONU.
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HRW considère cependant que ces massacres s’inscrivent dans une campagne militaire contre les FDLR, groupe armé hutu rwandais formé après le génocide de 1994, mais constate que la majorité des victimes sont des civils hutus et, dans une moindre mesure, nande, laissant craindre une logique de nettoyage ethnique.
L’organisation appelle le Conseil de sécurité de l’ONU, l’Union européenne et les gouvernements à imposer de nouvelles sanctions et à traduire les responsables devant la justice internationale. Elle demande également le déploiement d’experts médico-légaux pour préserver les preuves, ainsi qu’une révision de la coopération militaire avec Kigali.
Mukwege appelle à la justice internationale
Pour le Dr Mukwege, « presque 15 ans après la publication du rapport Mapping, la communauté internationale ne peut plus fermer les yeux sur cette tragédie ». Il rappelle que les États et institutions œuvrant pour la paix dans les Grands Lacs « ne pourront faire l’économie de la justice ni ignorer les millions de victimes congolaises ».
Le gynécologue réitère son appel aux Nations Unies, à l’Union européenne et aux États à « adopter sans plus tarder des sanctions fortes et coordonnées contre la hiérarchie militaire et politique responsables », et à mobiliser les ressources pour établir un Tribunal pénal international pour le Congo, des chambres spécialisées mixtes et l’ensemble des mécanismes de justice transitionnelle en RDC.
Selon Mukwege, seule la fin de l’impunité permettra d’éviter la répétition de ces crimes les plus graves, qui constituent des crimes de guerre et pourraient relever de la Cour pénale internationale (CPI), laquelle a réactivé ses enquêtes en RDC en octobre 2024, avec un focus particulier sur les crimes commis au Nord-Kivu depuis 2022.
Freddy Ruvunangiza