Dans un contexte politique tendu et incertain, Me Kharis Olinamungu Mihigo soulève des questions cruciales sur la révision et/ou le changement de la Constitution du 18 février 2006. Alors que des voix proches du régime Tshisekedi s’élèvent pour dénoncer des abus de souveraineté, l’auteur appelle à une réflexion profonde et à une consultation réelle du peuple. Il met en garde contre les dangers d’une réforme sans consensus et insiste sur la nécessité d’unir les Congolais autour d’un projet commun qui protège et promeut les intérêts de tous. En conclusion, il recommande fermement de ne pas réviser ni changer la Constitution dans l’immédiat, afin de préserver la cohésion nationale et la légitimité des institutions. (Tribune)
Je voudrais apporter ma modeste contribution au débat sur la révision ou la modification de la Constitution du 18 février 2006.
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- Article 217 : qui violerait la souveraineté de notre pays ?
À cette question, je voudrais dire à ceux qui affirment que l’article 217 de la Constitution du 18 février 2006 est une trahison que je les comprends parfaitement. Ils souhaitent faire une lecture isolée de cette disposition en l’enlevant de son contexte. En effet, dans le cadre d’une union plus large au sein de l’UA et des communautés économiques régionales, un État peut abandonner une partie de sa compétence à un organisme supérieur pour mieux exercer cette compétence, sans qu’il soit nécessaire de parler de trahison. La RDC a, à plusieurs reprises, donné à la CPI la compétence de juger des citoyens congolais. Cela illustre bien le principe consacré à l’article 217. L’application immédiate des actes uniformes de l’OHADA, qui remplacent ou abrogent certaines lois nationales, et le fait de confier à telle ou telle organisation la régulation ou la réglementation dans certains secteurs, tels que les normes et standards (ISO, SADC ou COMESA applicables dans le commerce), sont des exemples. Je comprends aussi que les amis ne font pas d’analyses comparatives. En effet, les constitutions d’autres États africains concernant l’abandon total ou partiel de la souveraineté reprennent la disposition de l’article 217, soit telle quelle, soit avec des ajouts plus subtils.
Pour ma part, je crois que les gens doivent éviter de faire de la politique d’autruche. Cette disposition de notre Constitution se trouve soit formulée de manière identique (voir la Constitution du Sénégal), soit en allant plus loin concernant la cession d’une partie du territoire (voir les constitutions du Tchad, de la Côte d’Ivoire). Dans toutes ces constitutions, le dernier mot ou la décision de céder une partie du territoire appartient au souverain primaire, le peuple. On doit éviter que, par malice, on mette de l’huile sur le feu. J’ai toujours suggéré que les caciques qui ont été dans tous les régimes de ce pays ne peuvent pas être bons tout simplement parce qu’ils travaillent avec le Président Félix-Antoine Tshisekedi. Ce sont des gens qui retournent leur veste au premier coup de balle ou à la moindre menace de révolution.
Je suis convaincu que l’Autorité suivra le conseil de plusieurs Congolais, y compris des évêques qui ne sont pas d’accord avec l’idée ni de révision, ni de changement de la Constitution.
- Le mode de désignation des gouverneurs (question relative à la forme de l’État, matière verrouillée)
Je ne crois pas qu’avec le régionalisme politique instauré par la Constitution, on envisage d’avoir des animateurs non élus, nommés et non originaires. Le problème est que le pouvoir central, et en l’occurrence le ministère de l’Intérieur, s’immisce dans la gestion des provinces. Il est inimaginable que les conflits entre les Assemblées Provinciales et les gouverneurs soient connus des juridictions (actes politiques de retrait de confiance) ni des autorités du pouvoir central. C’est cette immixtion qu’il faut limiter. Les notions de crise persistante entre Assemblées Provinciales et les Gouvernorats des Provinces sont déjà suffisamment encadrées par la loi portant libre administration des provinces. Ce qui nuit, ce sont les « Full Stop » [Injonction du Ministre de l’Intérieur] et les interventions inopportunes de la Cour constitutionnelle.
À ce stade, rien n’interdit à un non-originaire de se faire élire gouverneur ou sénateur par les députés provinciaux. Depuis 2006, M. Moïse Nyarugabo a été élu sénateur à Kinshasa, en 2018, Éric Rubuye, Mbuguje en 2024, pourtant originaire du Kivu ; en 2018 au Sud-Kivu, Pierre Lumbi, pourtant du Maniema ; Mukamba Jonas en Équateur, pourtant du Kasaï ; Bamanisa Saïdi à la Tshopo, et pourtant de l’Ituri ; et enfin Salomon Kalonda du Maniema au Haut-Katanga.
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Pour l’élection des gouverneurs non originaires, les exemples ne sont pas très légion, mais pas exclus. Hon. Bamanisa a été successivement gouverneur à la Tshopo et en Ituri. Tout récemment, au Haut-Uele, les contestations concernant la candidature du gouverneur Bakomito, en raison de ses origines du Bas-Uele, ont été évoquées, sans empêcher son élection au Haut-Uele. Ce sont les partis et regroupements qui ne prennent pas le risque de placer des non-originaires sur les listes des gouverneurs pour des raisons purement électoralistes, mais le droit de postuler pour les non-originaires comme indépendants n’est pas refusé par la Constitution.
- La question d’une longue période d’attente pour l’identification de la majorité et le bouclage du contentieux électoral
Encore une fois, cette question relève à la fois de la mauvaise foi de la classe politique et du dysfonctionnement institutionnel. S’agissant de l’identification, la Constitution dispose que chaque député déclare son appartenance à la majorité ou à l’opposition. Par conséquent, le rôle de l’informateur serait de consulter les chefs des différents partis et regroupements, ce qui, en réalité, ne peut pas prendre 96 heures. Mais vu l’habitude de vouloir institutionaliser tout, l’informateur devient une structure avec des budgets énormes et un personnel politique conséquent qui bloque finalement la machine.
Concernant enfin le contentieux électoral : la loi électorale donne les délais dans lesquels les dossiers doivent être déposés à la Cour. Les candidats disposent d’un temps déterminé pour déposer leur dossier de contentieux, et la Cour dispose de deux mois pour trancher. Toutefois, deux observations majeures peuvent être dégagées :
- La Cour n’utilise aucun système de filtrage des dossiers de contentieux. En effet, le juge est obligé de statuer sur des dossiers sans pièces exigées par la loi. Ce qui fait qu’il a autant de dossiers, mais si le filtrage existait, il serait face à moins d’une centaine de dossiers.
- Les actes des députés invalidés ne sont pas nuls. Et donc on ne peut pas prétexter que le fait pour la Cour de ne pas achever les contentieux dans le temps peut freiner la mise en place du Bureau et du gouvernement. Il est question d’appliquer nos textes de lois et notre Constitution.
- Le danger que court la RDC et ses institutions
Point n’est besoin de mentionner que la Constitution est un pacte qui repose en premier lieu sur un consensus au sein de la majorité, de l’opposition, des forces vives, des églises, etc.
À ce jour, la classe politique de la RDC est divisée sur l’opportunité d’une telle démarche de révision ou de changement de Constitution. En effet, la plupart des membres de l’Union sacrée, et surtout ceux qui sont habitués à la trahison, ne disent mot.
Ils attendent que le peuple se soulève pour jouer leur partition et sauter dans le nouveau navire.
D’autres, qui sont avec le Président sans être d’accord, par peur de perdre leur prestige et leurs avantages, ne diront rien jusqu’au jour où ils obligeront le Président de la République à écouter le peuple, parce qu’ils détiennent le marteau. Mais hélas, les choses peuvent prendre un tournant dont seuls le Président de la République et ses plus proches pourront assumer. L’Église catholique s’est déjà prononcée, les intellectuels le font chacun dans leur sphère, les sociétés civiles aussi, et les populations également, soyons attentifs à eux.
Que ce soit la révision de la Constitution ou le changement, il y a des risques à éviter. Il est vrai que la Constitution du 18 février a prévu les mécanismes de sa révision. Cependant, le contexte ne s’y prête pas, compte tenu du fait que nous sommes sous état de siège dans certaines parties du pays (Nord-Kivu, Ituri) et que d’autres parties sont sous une insécurité permanente comme le Sud-Kivu, le Maniema, le Tanganyika, une partie de l’ex-Bandundu et la Tshopo.
Face à une situation sécuritaire volatile, face à un manque de cohésion interne (classe politique), il est nécessaire de repousser cette initiative et de fédérer, de souder les Congolais autour de l’idéal commun d’une République qui distribue et protège tous les Congolais sur leur territoire.
S’agissant du changement de la Constitution, il n’est même pas prévu par la Constitution du 18 février 2006.
Le passage de la 3ème République à la 4ème République sans consensus fera tomber notre pays dans l’illégitimité de nos institutions actuelles et de leurs animateurs, ce qui conduira inévitablement à l’inanition de la nation. Je prie qu’on tienne compte, si au final la nécessité de réviser ou de modifier demeure, de s’assurer que le peuple et la classe politique ayant une opinion contraire ont été consultés et ont donné leur aval pour un tel changement ou révision.
Conclusion
Ma conclusion rejoindrait celle de mon estimé confrère Willy Wenga, tout en se distanciant. Les constitutionnalistes congolais sont inconstants, en raison de leurs intérêts politiques changeants et de leur transhumance. Ils cherchent à préserver leurs acquis au détriment de la science et de leurs convictions, à la recherche du lucre de leur ventre. Ils cherchent à vous noyer, Monsieur le Président de la République.
Me. Kharis Olinamungu Mihigo, avocat près la Cour, expert en Questions électorales, Démocratie et Gouvernance.
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