À Bukavu et dans plusieurs territoires du Sud-Kivu, les médias locaux font face à une véritable guerre de l’information dans un contexte de crise sécuritaire et économique. Coupures d’électricité, interruption de la connexion internet, retrait des partenaires financiers et précarité des journalistes et techniciens mettent en péril la survie même des rédactions, contraintes de développer des stratégies d’adaptation pour continuer à informer les populations.
Depuis la prise de contrôle de certaines zones et le départ des autorités étatiques et de nombreux partenaires techniques et financiers, les conditions matérielles des médias locaux se sont fortement dégradées à Bukavu, mais aussi dans des groupements environnants comme Walungu-centre et Kamanyola. Les premiers mois de l’occupation de la ville ont été marqués par un quasi-silence médiatique, attribué à l’insécurité, aux menaces de bombes, aux délestages prolongés de courant électrique, aux coupures d’internet et à l’effondrement des ressources financières des organes de presse.
Faute de moyens pour assurer l’approvisionnement en électricité, payer la connexion internet ou maintenir le fonctionnement quotidien des rédactions, plusieurs radios et médias ont dû suspendre temporairement leurs programmes. Dans ce contexte, des stratégies de survie ont été rapidement développées par les responsables des médias et des radios communautaires afin de continuer à informer la population. C’est notamment le cas de la mise en place d’un bulletin d’information dénommé « Habari za Mahali », un bulletin à caractère humanitaire coordonné par le Réseau des radios et télévisions communautaires du Sud-Kivu (RATECO SK), diffusé en remplacement de certains journaux supprimés dans plusieurs radios de la province.
Pour mieux comprendre la situation socio-économique, technique et humanitaire des médias locaux, une descente sur le terrain a été effectuée auprès de plusieurs rédactions. À Bukavu, Mama Radio, la radio de l’équité du genre de l’Association des Femmes des Médias du Sud-Kivu (AFEM), figure parmi les médias touchés de plein fouet par cette crise. Son rédacteur en chef, Gloire Koko Matabaro, témoigne des difficultés traversées par sa rédaction.
Selon lui, à l’arrivée de la crise sécuritaire à Bukavu, la quasi-totalité des médias ont d’abord suspendu leurs activités pour observer la situation et attendre les directives des nouvelles autorités.
« Après des harmonisations, la radio a repris ses activités en adaptant ses contenus aux normes édictées par les occupants de la ville », explique-t-il. La grille des programmes a été révisée, les horaires de travail modifiés, certaines émissions suspendues provisoirement et d’autres réadaptées afin d’éviter des contenus jugés sensibles.
Sur le plan matériel et technique, Mama Radio fait face au retrait de nombreux partenaires, contraints de fermer leurs bureaux ou de suspendre leurs financements. La fermeture des banques et la limitation des zones d’intervention ont aggravé la crise financière de la rédaction.
« Avec les moyens de bord, nous essayons de ne pas fermer les bureaux et de rester visibles, malgré tout », souligne Gloire Koko Matabaro, qui affirme que la seule option restante est l’adaptation continue, en attendant une amélioration de la situation sécuritaire au niveau national et international.
À Kamanyola, la Radio Communautaire de Kamanyola (RCKA) traverse une situation tout aussi préoccupante. Son chef technique et directeur assistant, Imani Nyongolo Emmanuel, indique que depuis février 2025, plusieurs équipements techniques ont été endommagés et ne peuvent être réparés faute de moyens financiers.
La suspension ou l’abandon des appuis par plusieurs partenaires a entraîné, selon lui, une véritable crise économique et humanitaire affectant le personnel de la radio.
Pour faire face à ces difficultés, la RCKA a été contrainte de réduire ses heures de diffusion, limitant ainsi l’accès de la population à l’information, à la sensibilisation et aux messages de cohésion sociale.
La radio lance un appel aux organisations humanitaires et aux partenaires de développement afin de soutenir son équipe humaine et technique et permettre la continuité de sa mission communautaire.
La situation est similaire dans plusieurs médias de la zone d’Uvira, mais aussi dans des radios communautaires, privées et confessionnelles de Bukavu. À la radio Mapasa, émettant sur la fréquence 94.3 FM, la crise financière a provoqué le départ de nombreux journalistes et techniciens. Aline Njofu, cheffe des programmes, explique que la radio fonctionne désormais avec un personnel réduit, composé de bénévoles.
« Jadis, la radio émettait de 4 heures à 23 heures. Aujourd’hui, nous ouvrons de 7 heures à 20 heures pour économiser le courant électrique », précise-t-elle. Les partenaires financiers ont annulé leurs programmes par crainte pour leur sécurité, tandis que plusieurs membres de l’équipe ont quitté le pays.
Sur huit bénévoles, seuls quatre (deux femmes et deux hommes) continuent à travailler dans des conditions difficiles. Elle évoque également des situations dramatiques au sein des familles du personnel, certaines ayant perdu des proches faute de moyens pour accéder aux soins de santé.
Face à cette situation, Aline Njofu lance un appel aux autorités actuelles pour qu’elles subventionnent les maisons de presse et les radios communautaires.
« Même une aide minimale, de 50 ou 100 dollars, peut faire la différence. Un est toujours plus grand que zéro », plaide-t-elle.
Cette crise économique et humanitaire affecte profondément les médias locaux, y compris les radios communautaires et les médias en ligne, dont le journalisme constitue souvent la seule source de revenus pour les journalistes et techniciens, chargés de subvenir aux besoins de leurs familles.
Dans un contexte de guerre de l’information, ces médias continuent pourtant de jouer un rôle essentiel d’information, d’éducation et de cohésion sociale, au prix de lourds sacrifices.
Cet article est produit dans le cadre du projet : Renforcement des capacités des jeunes journalistes et activistes pour la paix et la résilience dans l’Est de la RDC » soutenu par le Fonds Kris Berwouts et la Fondation Roi Baudouin.
Pacifique Lwaboshi et Appoline Kilauli

